Mon matelas a trente ans.
Je le trouve bien mal en point pour un trentenaire. Il est vrai que son existence peut être considéré comme difficile ; il a reçu un grand nombre de secousses d’intensité et de forces diverses ( je ne les ai pas comptées), mais je doute qu’aucune d’entre elles puisse être prise en considération sur l’échelle de Richter. Il a déménagé une dizaine de fois. Cependant il n’a jamais séjourné sur un trottoir plus d’une dizaine de minutes ; bon : je concède une heure à tout casser.
Mon matelas est crevé : une partie de la toile qui le tendait s’est volatilisée. Aux quatre coins de la paillasse la bourre déborde. Elle est constituée de matériaux divers : des filaments ondulés mince comme l’horreur à peine visibles à l’œil nu entremêlés en écheveaux denses que traversent des fils plus épais de toutes les couleurs, des fils dont la longueur peut atteindre sept centimètres de long. Ce n’est pas tout : parfois les fils sont plus consistants on jurerait de la cordelette. Et même de petites masses de coton encore blanc d’une infinie douceur au toucher. Mais jamais de plumes.
Je les ramasse à terre mais parfois je passe la main dans les trous de la toile, pour en recueillir cette matière ; j’ai dans la main des tas de grosseurs différentes tous ressemblant ; cependant j’ai souvent la chance de recueillir, au milieu des composants habituels, de vrais petits morceaux de tissu, des chutes : certaines sont assez jolies et une ménagère avisée et économe les prélèverait pour les laver, couper l’entour effiloché et les coudre ensemble pour en faire un patchwork : quelqu’un de très habile réussirait à confectionner un débardeur, voire un chemisier qui sait ? Je n’en suis pas là !
La poussière gris foncé s’est accumulée dans le sommier. Les ressorts sont tous visibles et brillent d’un acier agressif au milieu des flocons gris.
Tout cela donne chaud.
Dans la salle de bain, la tête du robinet est une tête de coq en métal qui étincelle de mille feux ; Pour actionner le robinet il faut mettre ses doigts dans le bec du coq qui a été façonné ouvert comme pour chanter ou mordre. Une seule solution : utiliser la douche ; sur le dessus de ce robinet là je vois dessiné un zigzag rouge indiquant qu’il est dangereux d’y toucher, haute tension, sous peine d’électrocution…