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16 août 2006 3 16 /08 /août /2006 15:55

 

Résumés des ch. préc.

Guillaume, jeune bourgeois vaguement artiste, inconséquent et prudent, a connu une brève et première liaison d'une exceptionnelle intensité avec Nelly Fischer (blonde et lègère, mais pas trop ; a laissé partir son amie jugée encombrante. Comment survit-elle? Nous sommmes le 2 août ( 1969)elle fête ses dix-huit ans le deux c'est la saint Julien. A la Saint Julien chacune trouve le sien dit le proverbe...

 

 

Lorsque l’on tambourina à la porte, Nelly sauta sur ses pieds, saisie d’une frénésie intense. Elle lâcha son agenda intime qu’elle écrivait, non sans peine, en anglais et allemand afin que ses géniteurs indiscrets ne pussent le déchiffrer. Elle jeta un rapide coup d’œil sur le texte lyrique et haineux qu’elle avait commis, repoussa les dictionnaires qui retrouvèrent leur place contre le mur entre les autres volumes qu’elle faisait tenir entre deux gros serre-livres en bois clair. Le tiroir de la table s’ouvrit en grinçant pour accueillir le document. Les coups se répétèrent, trois petits chocs méticuleux séparés chacun d’une demi-seconde.

Sur le côté gauche de la table gisait  le paquet éventré d’où émergeaient un soutien-gorge garni de dentelle rose pâle et le slip correspondant qu’elle avait commandé dans un catalogue. Elle empoigna le tout se dirigea vers la penderie : la fermeture-éclair crissa, deux cintres furent écartés, le paquet disparut dans l’étroite ouverture pratiquée.
Elle se rapprocha du visiteur, attendit un instant devant la cloison, prit conscience d’ une fièvre plus intense que ces derniers jours.

La porte s’ouvrit pour laisser entrer Anne.

 

Elle était perchée sur des sandales noires à haut talons, lacées aux chevilles de larges lanières croisées plusieurs fois, qui l’élevaient au mètre soixante, et vêtue d’une petite jupe plissée écossaise et d’une chemisette bleue genre tennis.
Nelly marqua un temps d’arrêt qui ne pouvait passer inaperçu, puis elles s’embrassèrent avec élan. Anne la suivit dans la cuisine, d’une démarche légère, sortit elle-même des tasses. Les deux jeunes filles s’observèrent avec un soupçon d’embarras.

 
 

la cafetière électrique vide et maculée déplut à l'amie  qui  répara l’erreur, tout en relatant d’un ton badin à peine forcé deux semaines passées dans le sud, voile, baignades, discothèque et lecture avec agonie des trois Thibaud. Tandis qu’elle s’affairait, et que le café moulu répandait son odeur toutes deux retrouvèrent une sincère jovialité. « Je n’étais pas encore partie, l’informa Anne, lorsque je t’ai aperçue en galante compagnie et n’ai pas voulu intervenir ».

 
 

- Oh, fit Nelly avec une négligence mal étudiée, ce n’était que Guillaume Wilson.

 

- Quelle calamité ! » plaisanta Anne.

Cette année scolaire s’était accompagnée d’un arrivage de « secondes » sexuellement plausibles. Mais Guillaume n’était pas vraiment un nouveau venu : durant les trois ans qu’Anne avait passé au lycée, période qui venait de prendre fin, elle l’avait souvent aperçu dans les parages, soit à la bibliothèque derrière un livre quelconque d’où il observait les allées et venues des filles, intervenant parfois maladroitement dans les conversations, soit dans le préau en train de pincer les cordes de sa guitare où même de chanter des romances démodées. C’était un grand gamin rêveur et efflanqué qui faisait un peu trop partie du paysage et tenait ce rôle ingrat sans ostentation. Il avait fini par achever sa puberté. Anne n’ignorait pas que son amie avait été quelque peu touchée du résultat.

 

-Il n’a que seize ans, continua Nelly. Que… pouvais-je faire ?…
Ce tronçon de phrase énigmatique fut interrompu par des contractions de gorge, préliminaires à de violents symptômes d’affliction.

 

 

 

Lorsqu’ils s’apaisèrent, Anne apprit, comme elle le soupçonnait, que des liens s’étaient formés entre Nelly et cet adolescent auquel on donnait volontiers dix-huit ans, et que cet attachement avait pris fin parce qu’elle s’était crue amoureuse. Et  s'était sottement déclarée.

 

 

 

Elle se jurèrent de devenir aussi libertines que possible, et de cultiver la froideur et le détachement.

 

 

 

Pour se distraire, davantage que par nécessité, elles emplirent la baignoire de la salle de bain et s’immergèrent. Anne se plaçait le dos au robinet parce qu’elle était prudente et économe de gestes et savait éviter les obstacles invisibles.

 

Elles étaient physiquement très différentes : Nelly plutôt grande, charnellement bien développée, et Anne petite et mince, ne portant de soutien-gorge qu’en hiver, juste pour la décoration. Elle s’invectivèrent plaisamment comme à l’accoutumée, Anne lui faisant des observations à son amie sur son buste provocant, Nelly répliquant à l’adresse d’Anne qu’elle n’irait pas loin avec ses minuscules protubérances…elles s’insultèrent mutuellement, firent monter le ton, s’aspergèrent, feignirent de se noyer l’une l’autre, cessèrent parce l’eau nécessaire aux ablutions viendrait à manquer si elles persistaient dans leurs excentricités.

 

Pour occuper la chambre –salon elle rabattirent le divan escamotable et les deux tables de chevet. Anne prépara deux grands verres de coca et rhum blanc où flottèrent des glaçons.

Des informations télévisées, elles retinrent que Gabrielle Russier, ce jeune professeur qui, l’an passé, avait pris pour amant un de ses élèves, dont la famille l’avait poursuivie en justice, était à présent interdite d’exercer à l’issue d’un nouveau procès. Elles avaient suivi l’affaire, surtout depuis que Gabrielle avait été fouillée nue par la Justice un froid jour de décembre. Toutes deux s’indignèrent du sort qui lui était imparti, mais Anne dit qu’elle avait été imprudente, qu’une telle liaison aurait dû rester clandestine tandis que Nelly accusait violemment la famille de ce Christian et ce garçon lui-même …

 

« Au fait, s’informa Anne, est-ce qu’il était vierge ?

- Tu ne te gênes pas pour me questionner ! » lança Nelly, froissée.

 

D’habitude, elles se disaient presque tout sur leurs aventures, qui n’en méritaient pas le nom. A présent, elle voulait garder le secret qu’on ne lui avait pourtant pas demandé.

 

« Guillaume, c’est un choix, s’écria –t-elle soudain. . Avant lui, j’acceptais des propositions d’ individus modérément plaisants pour différentes raisons : si nous partions en vacances avec un ou des couples, on me dégottait un copain ; si je me trouvais en état d’ébriété, je ne disais pas toujours non ; si j’étais à jeun, parfois oui.

 

-Y-a t'il un avant et un après lui ? Anne s’inquiétait.

 

-  !

 


 

Elles regardèrent distraitement défiler des images sur l’écran, puis s ‘en lassèrent et reprirent la conversation.

 

Nelly avait trouvé pour le mois d’août un poste de caissière au Monoprix.  Elle était soulagée d' avoir collés ses parents dans  une  deux-pattes en route pour la Bretagne, pendant un mois : bronzage, ennui sous le soleil, trempette minable dans les vagues, romans insipides.
« Ma mère, dit Nelly, m’a confié vouloir que mon père ait une maîtresse, juste pour lui fiche un peu la paix. »

 

Aimable, quelque peu facétieux , mais sournois, M. Fischer, le père de Nelly était un personnage difficile à cerner.

Avec elle, il avait toujours eu des gestes quelque peu déplacés, des manières onctueuses et trop douces, les propos surtout. Elle s’en était vraiment avisée à la puberté. 
Maintenant le scabreux de la situation avait été cassé. Nelly avait  dix-huit ans, une vie personnelle et une méchante humeur.   Ce papier peint aux coquelicots, sur les murs, elle ne pouvait plus le supporter.

 

Anne observa le décor incriminé : c’était un peu chargé et d’un rouge soutenu mais gai. Elle se souvint que Nelly avait elle-même choisi ce papier peint, agréé par ses parents et qu’elles l’avaient collé toutes deux, l’an dernier, pour remplacer les envahissants végétaux jaunes et vert qui écrasaient la pièce exiguë.
Une parole s’était élevée contre les délicats coquelicots aux tiges graciles ; une parole que Nelly avait entérinée et dont elle ne dirait rien. Une parole proférée par le jeune homme qui avait des idées sur l’esthétique des papiers peints !

« Que veut-il faire dans la vie… ton ami ? risqua Anne. Je l’ai seulement entendu chanter dans le préau. Avec une belle voix profonde, ajouta –t-elle amicalement.

 

Le fait est que Guillaume alliait son apparence de fragilité avec une surprenante voix de baryton.

 

Nelly lui rappela avec irritation que tout était fini et que cette voix était celle du traître.

 

Anne pensa que ce qui était grave, traître et méchant, c’était cette maladie chronique que son amie développait et contre laquelle on était impuissant. Elle proposa le cinéma, se mit à étudier l’Officiel des spectacles en quête d’un film sans la moindre allusion à une quelconque velléité amoureuse. Un western sans femme ? Un Tex Avery ? Un documentaire ? Une comédie ?

 

Lorsqu’elles eurent gagné leurs strapontins et que le titre « Ma Nuit chez Maud » s’afficha sur l’écran, elles admirent définitivement leur échec à se garder de toute aventure sentimentale.
Le dépaysement les enchanta. Ce fut noir et blanc. Ce fut gris. Ce fut l’hiver, le vingt-six décembre, ce furent les montagnes enneigées, ce furent un homme et une femme de trente ans qui allait sûrement leur en apprendre sur la vie.
 

 

Après la séance, Nelly dit à son amie qu’elle trouvait agréable que, dans ce marivaudage pascalien, la position de l’homme soit ici celle qu’on réserve d’habitude à la femme. Ne pas baiser sans une raison sérieuse, résister ou se donner, c’est dans le film l’affaire de l’homme.

 

« Mais non, répliqua Anne, c’est tout le contraire ! Ici comme toujours, la femme est tentatrice, et l’homme décide, qui a ce qu’il voulait au départ. Ou plutôt n’a pas ce qu’il ne voulait pas. Quant à  la fille rencontrée à l'église, elle assurera les vertus domestiques et la sexualité hygiénique.

 

Anne savait raisonner. D’autant que, ne voulant jouer aucun des deux rôles précités, elle se gardait pour elle-même.

 

 

 

 

 

 

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