Deuxième nouvelle de " Tous les feux le feu" ( 1966),je brûle d'en faire un billet séparé...
L’humour noir y est prédominent, davantage encore que dans la précédente : Il s’agit aussi d’une situation courante mais pathologique. Les membres d ‘une famille entretiennent la vie de leurs morts par discours lettres et pensées. Les vivants sont les vrais morts. Dans cet univers carcéral, quitter la mère, c’est mourir : (Ceux qui ont quitté la maison familiale succombent à des accidents) Alexandre le fils, ayant terminé ses études, a pris un avion pour Buenos Aires où l’attend une bonne situation. L’avion s’écrase sans survivants…
L’agencement ingénieux du récit c’est de le débuter sur Célia qui va mourir puis de faire un long flash-back sur Alexandre.
On a caché à maman ( diabétique, dépressive) la mort d’Alexandre qu’elle n’aurait pas supporté de savoir. Garder le mort en vie pour la mère, se révèle un avantage : Charles prend la place de son frère plus brillant …et mort. Maintenant il faut lui dissimuler la mort de Célia dont les malaises et le passage de vie à trépas sont évoqués entre parenthèse ou par petites phrases rapides pour laisser place au grand jeu : comment maintenir une morte de plus en vie pour maman ?
Les filles se racontent à l’envi « la vie des morts » qu’elles inventent pour en faire le récit à maman. Il y a aussi ces lettres innombrables que les vivants doivent écrire pour en faire la lecture à maman et qui remplacent les visites que les morts remettent toujours à plus tard grâce à d’ingénieux prétextes. C’est aussi ce que fait l’écrivain avec ses personnages pour le lecteur. La création littéraire est souvent montrée dans ces situations apparemment sans rapport.
C’est un thème fréquent et on l’exploite pour montrer que le « disparu » dont on veut cacher le décès par égard pour quelqu’un n’est mort pour personne surtout pas pour les mystificateurs, très heureux de maintenir sa présence ! On se souvient du film « Good Bye Lenin » où c’est la chute du mur de Berlin qui est cachée à la mère dont la santé chancelante ne pourrait le supporter… à grennd renforts de moyens audio-visuels sophistiqués ; plus récemment, on pourrait aussi évoquer le film de Julie Bertuccelli « Depuis qu’Otar est parti » qui exploite le même thème avec autant de talent que Cortazar me semble t’il.
La pointe qui clôt le récit est l’une des meilleures jamais trouvées. L’une des filles survivantes reçoit une lettre d’Alexandre ( écrite à l’intention de maman par son frère sa sœur ou elle ) la lettre d’un mort qui s’adresse à une morte puisque maman elle aussi s’est éteinte, rendant inutile la comédie qu’ils se jouaient . Mais comment vivre si les morts doivent être vraiment morts ?
Aussi la jeune femme qui reçoit la lettre se demande spontanément : « comment annoncer à Alexandre la mort de maman ? »
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