Quelques jours s’écoulèrent: ardeur, moustiques, ping-pong,
postes de radio et électrophones qui clamaient Je t’aime moi non plus et Cétextra , étreintes rudimentaires avec Bénédicte, trop charpentée, la peau rude et les seins comme des entonnoirs, suffocations insidieuses.
On pouvait s'accommoder de tout ou presque, mais pas de Mathieu. Guillaume l’entendait gémir la nuit, quand il revenait de chez la
belle et se plaindre jusqu'au matin. Il restait assis devant la tente, toute la journée, inactif, et s'enfuyait parfois sans indiquer sa destination.
Un matin, il l’avait découvert à moitié enfoui dans une dune derrière des cabines de plage. Seuls se voyaient la tête et les bras. Il fait encore un peu frais là-dedans, disait-il d'une voix mourante. Il écrivait sur un agenda .avec un stylo à encre plaqué or.
" Dommage pour le stylo, dit Guillaume. Qu'est-ce que tu écris?
Mathieu laissa échapper un sanglot bref :
" Tout le mal que je pense de toi.
-Tu m’aimes toi non plus ?
-Tu m’as chassé. J’ai cessé d’exister. Y'a plus rien de réel. C’est l’enfer."
-Si c’est l’enfer, grillons une dernière cigarette.
Mathieu se reprit à sangloter et lui dit de partir.
Il ne parlait pas beaucoup excepté pour dire : "Je deviens fou" ou " Je vais retourner chez ma mère".
-Moi vivant, tu n'iras pas!" lui lançait Guillaume dans ses moments glorieux.
Puis il l’avait emmené chez un docteur. Consulter pour une maladie de l’âme, sous une chaleur tropicale, et dans une station estivale où ils ne resteraient que quinze jour ou trois semaines, s'avéra difficile. Dans la salle d’attente, voyant que Mathieu le regardait l’air sévère, Guillaume lui avait dit : Je sais ce qu’il nous faudrait : une sorte de consultation poético-philosophico-pragmatique. Avec un code de déontologie vraiment rigoureux. Et le...praticien devra être intelligent. Intuitif. Humoriste…Ce devrait être une véritable aventure de l’esprit…
-Tu veux répéter ? fit Mathieu, d’un ton acerbe. Pas trop fort, on pourrait nous entendre.
En son fort intérieur, les paroles de Guillaume pénétrèrent ainsi que ses efforts généreux d’apprenti penseur, sa sympathie le toucha et il commença de se sentir mieux, même s’il ne pouvait le montrer.
La salle d’attente était bondée, regorgeait d’insolations, de crises de foi, d’entorses, d’enfants criards et de vieux excités. On tombe souvent malade en vacances. Guillaume ne répéta pas. Il se sentit singulièrement oppressé. Le médecin dut s’occuper davantage de lui que de Mathieu, lui fit même une piqûre. Ils repartirent vers leur tente avec deux ordonnances et beaucoup de potions dont la magie laissait à désirer.
Guillaume resta alité une demi-journée. Mathieu marmonnait quelque chose du genre « la vacance, c’est ça le mal. Trou béant. »
Vite rétabli, Guillaume partit définitivement sous l'autre tente retrouver Bénédicte, en laissant l'adresse, c'était à cent mètres. Il allait parfois en reconnaissance, vers l'endroit où Mathieu était resté seul sans protester d'ailleurs, le voyait sortir et rentrer, le saluait. L'autre lui faisait un signe bref. Difficile d'évaluer la situation. Il l'avait laissé avec un tas de saletés de médicaments délivrés par ce toubib du coin. La demoiselle le savonnait : Renvoyez-le chez sa mère, comme il dit. Il n'y a que sa famille qui puisse s'occuper de lui dans un cas pareil. Quand il aura avalé un tube entier d’Atarax on dira que vous êtes responsable. Même les braves peuvent être suicidaires.
Guillaume lui rétorquait, il ne doit pas retourner chez sa mère : tout le mal vient de là. J’ai confiance, je connais assez Mathieu
pour savoir qu’il ne tuerait personne. Même pas lui.