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29 septembre 2006 5 29 /09 /septembre /2006 22:10
supervielle-bis.jpgAlter ego
 
Une souris s’échappe
(Ce n’en était pas une)
Une femme s’éveille
(Comment le savez-vous ?)
Et la porte qui grince
(On l’huila ce matin)
Près du mur de la clôture
(Le mur n’existe plus)
Ah ! je ne puis rien dire
(Eh bien vous vous tairez)
Je ne puis pas bouger
(Vous marchez sur la route)
Où allons-nous ainsi ?
(C’est moi qui le demande)
Je suis seul sur la terre
(Je suis là près de vous)
Peut-on être si seul
(Je le suis plus que vous,
Je vois votre visage
Nul ne m’a jamais vue).

                                      Jules Supervielle (« Les Amis inconnus »)

 


Le poème est tiré du recueil Les Amis inconnus que l’on peut trouver dans la petite collection Poésie / Gallimard, sous le titre «  Le Forçat innocent suivi de Les Amis inconnus ».


Le recueil « Les Amis inconnus »  est publié en 1934 ; Jules Supervielle a cinquante ans. Ses œuvres les plus célèbres, le recueil « Gravitations »  son roman «  le voleur d’enfant » et ses contes lui ont déjà apporté plus qu’un succès d’estime.   Dans le dictionnaire des œuvres de Laffont et Bompiani, il est ,dit à propos  des «  Amis  inconnus »:

« ici… le côté franciscain de Jules Supervielle l’emporte ici sur le côté Guanamiru ».


Guanamiru est le héros de l’Homme de la pampa, premier roman de Supervielle : un aventurier, avide d’alcool et de sensations fortes.  Aimant la nature comme toujours chez Supervielle, il une préférence pour les volcans. Le mot de Guanamiru est aussi associé au célèbre poème «  A Lautréamont ».  Quoique très différent de Lautréamont, dont il est loin de partager le goût pour les outrances et le lyrisme provocateur et flamboyant, Supervielle voit en lui un frère : tous deux sont poètes, nés et ont vécu à Montevideo, originaires du midi pyrénéen. Je tiens à parler de ce poème un autre jour.


Quant au côté franciscain, je n’en ai pas la moindre idée !


Le recueil débute par un poème dont on peut citer deux vers«  il vous naît un ami, et voilà qu’il vous cherche

Il ne connaîtra pas votre nom ni vos yeux. »


Tous les textes parlent d’êtres, souvent des animaux, voire des végétaux, parfois des entités inidentifiable, des voix , une âme, un organe d’un corps magnifié, un souffle de vent qu’habite quelque esprit, quelque chose qui veut s’approcher de vous, qui insiste, et qui reste étranger à vous, tout en manifestant un genre de familiarité. C’est là tout le charme de Supervielle. Il est sensible à l’altérité, à l’autre, pas celui que l’on connaît trop bien, et attend, mais celui qui surgit, insiste, en provoquant malaise et dérangement, que l’on veut chasser, et retenir aussi bien…

Cela se traduit dans nombre de poèmes par un dialogue.


D’un point de vue métrique, les poèmes sont en vers libres ; ils riment de façon assez lâche mais réelle. Le vers comporte souvent six ou sept syllabes, rarement plus de huit. Jamais d’alexandrins qui ne conviendraient pas à un ton aussi intimiste. La longueur est très variable ( d’un simple quatrain à une trentaine de vers).

 

Autre exemple l’Oiseau :

« Oiseau, que cherchez-vous, voletant sur mes livres,

Tout vous est étranger dans mon étroite chambre »


-          J’ignore votre chambre et je suis loin de vous

-          Je n’ai jamais quitté mes bois, je suis sur l’arbre

-          Où j’ai caché mon nid, comprenez autrement

-          Tout ce qui vous arrive, oubliez un oiseau.

 

L’oiseau est une façon de désigner un messager…mais il faudra dépasser l’animisme ( oubliez un oiseau)


Alter ego fonctionne de la même façon en un dialogue pas très aimable et surtout humoristique, entre l’être entre parenthèse et le moi du poète, troublé par une insaisissable et moqueuse présence étrangère, qui s’entend à le contredire ; cela conduit à une note assez proche de la détresse. L’alter ego est un autre soi mais il dérange l’ego… puisqu’il l’altère justement.. sans le désaltérer.

 

 


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commentaires

J
Tu sais, Goffette, le rédacteur en chef de "crossroads" (la revue dans laquelle je travaille), c'est l'arrière petit-fils de Supervielle.
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D
Oui, notre poète a eu une belle progéniture.

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