Emma Beaufary tient un blog dans la catégorie "Journal intime", elle y relate ses lectures et ses malheurs : l' interminable vie
conjugale avec Charles, préparateur en pharmacie, un pov' mec qu’elle endure au jour le jour, dans la petite ville de Tostes-La Funèbre, perdue au milieu d’une Normandie hostile
où il pleut six jours sur sept.
Son blog s’intitule Miss Eve et elle signe Emmeline. Elle ne vérifie pas l’orthographe, ça ne lui apporterait rien de plus. Elle ne fait pas trop attention à ce
qu’elle dit : Charles se sert d’un ordinateur que comme d’une machine à écrire. Le Web, la blogosphère, il ne connaît pas.
Malgré ses efforts elle s’ennuie ferme ; elle reçoit des commentaires de lectrices lui disant Oui c’est super ce truc! moi aussi je vais le lire, j'le
commande à mon libraire ou merci de m’avoir prévenue du dernier opus de Machin(e). On la remercie également de sa rubrique Relire les Classiques : Paul et Virginie, Manon
Lescaut, c’est elle qui leur fait une pub d’enfer !
Elle reçoit aussi, il est vrai les commentaires venimeux d’une certaine J’Hanneton qui la menace de sa faucille, lui dit moi j’ai des
vrais amants en chair et en os, la traite de petite provinciale de timorée, de glandouilleuse, et de dragueuse à la mode d’il y a deux siècles.
Qui cela peut-il être ? A n’en pas douter une de ses copines friquées et moches, jalouses d’on ne sait quoi.
Et si c’était sa fille, aux traits ingrats, sa fille Léa, chômeuse professionnelle, qu’elle reçoit toutes les semaines et qui lui soutire à
chaque fois un petit chèque en bois ?
Pour se venger, Emma ( Emmeline) charge un maximum chacune des ses amies détestables, racontant leurs frasques à demi imaginaires et décrit avec
une fielleuse détermination leurs intérieurs pleins d’objets, de colifichets complètement artificiels, ainsi que les relations qu’elle entretient avec ces dames : vides et sans âme.
Pourtant, elle commence à recevoir des commentaires d’un certain Lionel, discret mais insistant, qui lui fait de vagues compliments sur sa prose
virtuelle, et en même temps, un bonheur n’arrive jamais seul, un autre admirateur s’est manifesté : Rodolphe. Lui, il trouve ses articles carrément divins, beaux
et inspirés (alors que pour Lionel c’est son charme romantique et désuet qui fait la différence).
Deux correspondances démarrent. Emma préfère Rodolphe, qui se définit comme un jeune retraité, retiré des
Affaires avec un tout petit pécule. Il est curieux d’elle, veut tout savoir à propos de son lamentable entourage, réclame des détails et la flatte autant qu’il la
plaint.
Lionel, n’est que professeur de collège, finit par l’ agacer à parler de ses classes et de sa vie grisâtre. Pourtant elle se garde ses deux
correspondants.
Une éternité plus tard, elle va rencontrer ces messieurs, un vendredi matin à Paris, gare Saint-Lézard : c’est Rodolphe
qui le premier lui a fait une proposition. A 15 heures à L’Oiseau Mouche.
Lionel lui a fait l’offre de la rencontrer le jeudi parce qu’il est libre ce jour-là. Elle s’est fait tirer l’oreille et a fini par obtenir qu’ils se
voient le lendemain. Elle fait d’une pierre deux coups. Malheureusement c’est Lionel qu’elle doit rencontrer d’abord à 11heures devant le Monument aux Morts. Elle n’a pu s’arranger
autrement.
A moins d’un miracle, elle ne s’attend pas à ce que Lionel lui plaise. Si le miracle n’a pas lieu elle ne se fera pas connaître.
Elle a prévenu Charles qu’elle allait voir sa vieille tante qui se morfond dans une maison de retraite de la banlieue parisienne. La tante Jeanne.
Emma a correspondu par lettres avec elle, espérant une petite donation. Il y a bien deux ans que cette vieille pingre est décédée mais Charles l’ignore. Emma apprécie de passer un
week-end tous les quinze jours à Paris. Donc, officiellement, elle continue à voir ( feue) sa vieille tante. Charles j'en ai pour plusieurs jours peut-être, et je
dormirai à l'hôtel ; la Jeanne a des choses importantes à me dire...
Quelle plaie! Comme tu vas me manquer... Emma serait plus
heureuse si elle disposait de sa mini-cooper orange, qui lui a été retirée pour six mois en raison d'un excès de vitesse.
Tant pis, elle prend le train à Rouen.
Léon tient un blog sur Internet, catégorie « inclassable ». C’est le Lionel’s book note. Léon trouve que
"Lionel" c’est plus stimulant et puis ça veut dire la même chose, non ? Il y raconte son mal de vivre, implicitement, à travers des considérations laborieuses sur le cinéma, la
littérature, la musique et la société, sans compter des récits de vie quotidienne, et quelques plaintes discrètes en passant sur sa pauvre petite carrière de fonctionnaire.
Sur le blog d’Emma il a trouvé une lecture de Manon Lescaut si naïve et ardente à la fois, que sa souris n’a pu s’empêcher d’effectuer quelques corrections en
deux ou trois clics. Et le voilà avec une correspondante qui ne le lâche plus! A moins que ce ne soit lui ? Il a fini par s’y faire et même y prendre goût. Sa femme est impossible,
elle ne le comprend pas et l’espionne. Sa vie sentimentale est un chaos d’où ressortent deux ou trois aventures minables et des frustrations en série. Il ne sait plus quand cela a commencé.
Il sait que ça continue.
Emeline en est au même point . Elle lui raconté qu’elle n’avait pas pu partir en vacances parce que C. (Charles qu’elle ne nomme pas) n’a pas les
moyens. Elle se plaint de ses amies riches et avaricieuses, relate des soirées et des après-midi chez ces femmes sans cœur. Ses descriptions sont lassantes, et ses malheurs sans
surprise. Léon a l’impression d’avoir de l’influence sur elle cependant. Il pense qu'elle le trouve intelligent, et, par empathie, commence à s'attribuer lui-même des bons
points. Donner un rendez-vous à Emeline. Pourquoi pas?
Il a précisé qu’il s’appelait Lionel Du Puits ; ce n’est pas fameux, mais qui voudrait d’un Léon Dupuis ?