27 octobre 2006
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j’ai poursuivi ma lecture d’ « Une très vieille petite fille » un roman de Michel Arrivé depuis longtemps à la fac de Nanterre où il enseigne
la linguistique ; moi, pas encore partie !
Ce n’est pas un livre dont on parle ni dont on parlera : c’est à l’inverse le type même du livre qui sera oublié dans un petit coin ; il me
ressemble, voilà aussi une raison d’en parler.
Geneviève, quatre-vingt onze ans, depuis longtemps veuve, voyant peu sa descendance, jouissant d’une bonne santé, a un idéal devenir immortelle.
Elle suit les cours de Madame Bertrand ( 85 ans) qui dirige le cours d’ »Astrologie et de graphologie transcendantale » : elle paie très cher ses cours du mardi. et une
partie de sa retraite d’institutrice est engloutie par Madame Bertrand pour des consultations de soixante euros en particulier pour ses conseils de longévité.
Mme Bertrand fait payer cher ses conseils. Elle lui demande même de petits services comme de lui réserver une chambre d’hôtel. Aux frais de la pauvre Geneviève ça ne fait
rien se dit Geneviève : j’ai reçu une lettre me disant que j’avais gagné un gros lot… Geneviève est comme toutes ces vieilles dames crédules ; elle reçoit de la pub par la poste.
Vous avez gagné trois cent mille euros et elle y croit. Mais voilà ! Elle s’y croit et fait de nouveaux frais .Car elle adore se faire des cadeaux.
Puis voilà que Madame Bertrand lui dit « Geneviève, vous savez si vous voulez vivre longtemps encore il ne faut plus écrire ! »
Encore une fois, Geneviève se laisse berner . Mais elle écrit depuis toujours ( son père lui disait d’écrire une page de son journal chaque jour.
Geneviève a toujours observé cette consigne et ne peut s’en passer ! Alors ?
Alors lui dit Mme Betterave le seul moyen c’est de désécrire : la mort dans l’âme Geneviève s’y prête : elle commence à désécrire ce à quoi elle tient le
moins dans ses anciens cahiers. Supplice ! Mais elle tient bon.
Il y a là comme un souvenir de la Peau de Chagrin de Balzac : chaque fois que Raphaël manifestait un désir la peau qui représentait son espérance de vie
rétrécissait. Cette peau qui était un parchemin où l’on aurait pu écrire. Là c’est comme si l’espérance de vie éternelle de Geneviève, était matérialisée et menacée en même
temps sous la forme de cette aigrefine de Mme Bertrand et s’amoindrissait chaque fois qu’elle note : écrire correspondrait donc à manifester un désir et à prendre du plaisir ( même
problème que Raphaël…).
Cette vieille dame me ressemble en ce qu’elle se laisse berner : se croyant importante pour Madame Bertrand qui lui laisse croire qu’elle occupe une place
importante dans le cours de « graphologie et astrologie transcendantale » qu’elle y figure comme sujet irremplaçable. Mme Bertrand se sert d’elle à ne rien lui laisser,
la fait souffrir. Mme Bertrand gagne de l’argent et du prestige à raconter des histoires de bonnes femmes à un tas de vieilles dames qui craignent de voir la mort approcher.
Au fil du récit nous suivons les efforts de Geneviève pour désécrire, supprimer ses anciens registres, qui contiennent un exposé de son existence :
un sacrilège sa page tous les jours , elle n’y avait jamais manqué.
elle se débarrasse de vieilles notes et de vieux souvenirs. Les fait revivre : on s’aperçoit que cette ancienne institutrice, toujours respectueuse des
rites religieux et laïques a su profiter de la vie en douce, sans problème de conscience. C’est que Geneviève vise l’efficacité et le plaisir. Elle y parvient par des chemins
détournés.
Mais le jeu consiste aussi à éliminer les vieux écrits : nul ne doit pouvoir les récupérer même dans sa poubelle. Et à écrire le moins possible moins
qu’elle ne désécrit : l’opération doit toujours comporter un moins du point de vue de l’écriture.
Geneviève commence à se méfier de Mme Bertrand : cette dernière lui avait affirmé que sa vie était menacée par l’écriture car elle avait le même thème astral
que des poètes morts jeunes : Rimbaud, Jules Laforgue et Alfred Jarry ; Mme Bertrand fait une incursion à la bibliothèque et consulte une encyclopédie qui donne les dates de naissantes
des écrivains : elle constate que les poètes cités ne sont pas nés le même jour qu’elle ; pire : ils ne sont pas du même signe ! Elle va demander raison à Mme
Bertrand de cette anomalie… esquive de la part de cette dame. Vous savez Geneviève, le problème c’est l’astrologie chinoise… Geneviève réfléchit : qu’est ce qui est dangereux dans
l’écriture ? Sont-ce les lettres qui la menacent ? Non ; mais les gens dont elle parle. Ce qu’il faut supprimer , ce ne sont pas les lettres mais les gens…les gens dont elle parle
dans ses écrits : on a cru que le mot tuait la chose ; Geneviève estime que c’est l’inverse : ses écrits rendent les êtres si présents qu’il en deviennent maléfiques. C’est
donc Mme Bertrand, depuis plusieurs années objet de ses écrits puisqu’elle faisit un peu office de passeport pour l’immortalité, qui la menace et il faut la supprimer. En effet, ce
serait une bonne action que de faire disparaître cette vieille harpie profiteuse. Mais Geneviève ne réussit pas dans son entreprise. Voulant empoisonner son ennemie avec des somnifères dans
du thé, elle la voit reparaître au prochain cours d’astro, fraîche comme un gardon ! Que s’est-il passé ? C’est le toubib de Geneviève qui est en cause : il lui fait prendre du
Dormital depuis des lustres, l’ayant assurée que cet inoffensif petit calmant est un puissant somnifère !
On voit là une réflexion sur l’acte d’écrire ; le livre a été jugé naïf … par les naïfs. Geneviève est apparu comme un personnage ingénu qui se
laisse rouler. ( à suivre)