27 octobre 2006
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Il y eut quelques intermèdes. Un soir après les cours, nous allâmes au cinéma Nelly et moi assister à la projection d’ « Un soir…
un train » film d’André Delvaux : professeur d’université, Yves Montand , en crise avec ses étudiants et sa femme, s’endort dans un train, se réveille dans le même train mais dans
un autre monde, arpente la campagne avoisinante avec des compagnons plus que bizarres rencontre des paysans qui n’en sont pas, entend des langages qu’il ne saisit pas et aussi du silence,
prend part à une étrange fête villageoise, danse avec une étrange serveuse … se réveille une nouvelle fois dans le premier train déraillé auprès de sa femme morte. On a utilisé pour ces
films l’expression « réalisme magique », qui servit aussi pour désigner certaines fictions latino-américaines (Alejo Carpentier, Julio Cortázar, Juan Rulfo…) dont je devins également
friande bien plus tard. Nelly déclara que c’était un bon film et je m’en étonnais car si je lui reconnaissais du bon sens, de l’intelligence, de l’humour et beaucoup d’habileté, je la
supposais dépourvue d’imagination. Je trouve fort étrange aujourd’hui que ce soit ce film là que nous vîmes ensemble et que, pendant cette projection, je n’entendisse pas une seconde le
bruit de ses mastications d’habitude incessantes ni les claquements des chewing-gums.
Cependant Nelly n’avait pas sa pareille pour obtenir des renseignements sur les gens, sans les interroger ; Quoiqu’elle dise à l’époque vouloir devenir
comédienne, l’espionnage lui aurait convenu. Elle réussit à savoir que je redoublais la seconde, alors que mon âge ne le laissait nullement supposer.
A quelque temps de là, Nelly m’invita à passer quelques jours au sud-ouest de la France : le programme qu’elle me le
présenta consistait à prendre le train jusqu’à une certaine ville dont j’ai oublié le nom, puis circuler à vélo pendant la journée et s’arrêter la nuit dans des fermes ou chez des gens
de rencontres ; je ne comprenais pas très bien comment nous pourrions être logés pour la nuit dans n’importe quelle maison de rencontre, et n’imaginai pas que ce devaient être des
militants, que par conséquent ces vacances prendraient un tour particulier, que nous serions un groupe de vélocipédistes mus par d’ activistes ardeurs . Dans ma grande naïveté, je présumai
qu’elle appréciait enfin ma compagnie et souhaitait passer des vacances seule avec moi créant l’occasion de nouer de vrais liens… ma mère refusa, au motif qu’elle aurait des
ennuis à me laisser partir seule, malheureusement cria-t-elle, je suis responsable de toi.
Un dimanche hivernal, je partis avec un groupe où se trouvait Nelly et son frère aîné ou son cousin. A Noisy- le-
sec, chacun s’en fut avec une dizaine de gazettes sous le bras et une liste de personnes intéressées chez qui nous devions nous rendre pour leur vendre un exemplaire et expliquer
les bienfaits et les avantages de la lutte révolutionnaire telle que l’entendait L.O. Je n’avais jamais encore arpenté une ville de HLM de ce type là : ces blocs de béton semblaient endormis
ou figés, aucun magasin n’était en vue, personne ne marchait dans les rues. Fuyant les ascenseurs en forme de boîte, je dus gravir un escalier jusqu’au dixième au moins. Le sympathisant
voulait acheter L.O. mais pas avant d’avoir discuté ; toute sa petite famille était réunie devant la télé. Je me sauvai et ne trouvai nul courage pour affronter d’autres escaliers et
adeptes ; plusieurs journaux furent déposés dans une poubelle et j’en gardais deux ou trois pour prétendre n’avoir pas trouvé les personnes à qui ils étaient destinés. Quant aux
exemplaires jetés, je dus les déclarer vendus et les payer de ma poche.
Je décidais alors de cesser cette coûteuse activité qui ne m’avait pas permis de me faire des amis. On n’avait le droit de parler que de politique. Si l’on partait en vacances ce serait en groupe et j’y craignais une espèce de scoutisme.
Je décidais alors de cesser cette coûteuse activité qui ne m’avait pas permis de me faire des amis. On n’avait le droit de parler que de politique. Si l’on partait en vacances ce serait en groupe et j’y craignais une espèce de scoutisme.