Que ne ferait-on pas pour contempler quatre-vingt dix minutes ce grand brun frisé à la silhouette dégingandée, à l’élégance dandie, jouée avec un parfait naturel, ce faux beau ténébreux qui semble toujours vous répondre quand vous le regardez avec un peu d’insistance un Je ne vous ai rien demandé ironique ou un rien irrité.
C’est le moment où jamais : on nous dit que « le Temps qui reste » est le premier grand rôle de Melvil Poupaud.
L’histoire ? Il moura dans trois mois et on aura tout le loisir de le voir s’occuper à remplir cet espace/temps précieux et dérisoire, le temps qui lui est compté soudain avec une précision cruelle.
On pense que l’on va assister à toutes le nuances possibles d’une résistance passive et active du héros à l’énormité de son destin;
on l’imagine glacial, bourru, indifférent, coléreux, sarcastique, cynique, embarqué dans un faux dialogue ironiquement aimable avec la Faucheuse, comme il le fit avec, par exemple les deux jeunes
filles qui le draguent dans le « Conte d’été » de Rohmer.
Il pourrait aussi se fâcher, la jeter dehors, la menacer, comme il fit avec sa jeune épouse dans « Les
Sentiments » de Noémie Lvovsky ; il pourrait entr’ouvrir sa porte et laisser entrer en déclarant sèchement « je ne suis pas intéressant, je ne suis pas celui que tu
crois » comme il le signifie à Martine dans « Les Gens merveilleux n’ont rien d’exceptionnel » .
On l’a trouvé tellement juste dans ces rôles passés même les petits.
Mais Melvil Poupaud , dans son premier grand rôle n’a rien d’exceptionnel et il montre trop beaucoup trop ses sentiments.
Alors que l’intelligence de son jeu résidait dans la retenue et la gamme des attitudes défensives, il abandonne aussitôt ces ingénieux faux semblant pour se couler dans le moule de celui qui y croit. Qui croit à cette chose que je trouve la plus incroyable qui soit : sa prope mort.
Le scénario repose sur un présupposé douteux : pendant l’existence on joue une comédie fausse, et, frappé par le destin, ou par la révélation d’une vérité essentielle, on devient tout à coup sincère et vrai.
Rien n’est moins sûr ! Mais dans ce présupposé dualiste, Romain, le personnage condamné, « comprend tout », est sûr de tout. Il rompt avec son ami Sacha, renoue avec sa soeur, pleure avec sa grand-mère (Jeanne Moreau) et veut procréer. Valéria Bruni-Tédeschi est bonne dans ce rôle de femme qui cherche un spermatozoïde valide, sorti d’un « bel homme », pour faire un enfant, son époux étant stérile. C’est aussi la séquence intéressante du film que cet acte sexuel à trois, pudique, appliqué, étrangement silencieux comme un cérémonial, la jeune femme caressant à la fois son mari et Romain, le mari caressant sa femme et le donneur, Romain faisant de son mieux pour se stimuler. Mouvements lents et doux, regards baissés émeuvent.
Le reste, non.
On pourrait admettre que Romain considère la mort avec bienveillance (sa grand-mère, qui la préfigure et la représente) et que ses derniers moments sont des moments de grâce et sympathiser avec le film. Ce n’est pas à priori impossible mais ce deal ne convient pas à Melvil Poupaud.