Hier lundi, j’ai encore été à la fnac je ne sais rien faire d’autre ; j’ai pris le même en cas que d’ordinaire un café allongé et un muffin ; c’est ce qu’il y a de moins cher lorsque l’on veut boire ; bien sûr je me sentirais moins coupable si je prenais de l’eau minérale (non gazeuse pour éviter le sel) mais cela ne rendrait pas ma prose plus intéressante. Je ne sais ce que j’aurais dû faire sans doute disparaître dans un trou de souris.
Pour me racheter j’ai pris avec moi « Souvenirs pieux » de Marguerite Yourcenar ; Je ne lis pas volontiers marguerite Y. parce que j’ai des préjugés : cette femme aurait été de droite, conservatrice. Elle représente une sorte de dix-neuvième siècle dans le vingtième etc. Mais comme je n’ai plus guère d’espoir de comprendre et d’aimer la littérature dite d’avant-garde, je suis ouverte à toutes les possibilités…
Heureusement ces souvenirs n’ont rien de pieux. Les personnages, des nobles belges au début du vingtième siècle sont dépeints souffrant d’une bêtise quasi flaubertienne : le père de Marguerite joueur, dépensier, plein de préjugés, les oncles Octave et Théobald aristocrates désoeuvrés et faibles ne faisant rien de leur vie…la redoutable belle-mère Noémi très lâche cependant…
Le grand mystère c’est que, malgré tout, ils ont engendré marguerite…
J’ai lu le premier chapitre « L’accouchement » ; c’est vivant d’une lecture agréable et avec un arrière-plan ironique teinté de mélancolie. Les derniers jours de vie de la mère sont rapportés sobrement par le compte rendu d’une feuille de température tenue par le mari de Fernande. Ces notations sont plus pathétiques que n’importe quel témoignage d’affliction.
Plus loin, elle évoque ses ascendants et surtout Fernande, sa mère, dont elle tente de reconstituer le caractère et les états d’esprit à travers les étapes de son existence qu’elle reconstitue. Comme toutes les filles, elle cherche éperdument un témoignage que sa mère a eu son idylle avant d’être prise dans le carcan du mariage et compose la scène : « … leurs audaces n’allèrent pas très loin, mais fernande du moins a posé sa tête sur l’épaule d’un homme ; elle s’est abandonnée à cette violente douceur qui bouleverse tout l’être. Elle sait désormais que son corps est autre chose qu’une machine à dormir à marcher et à manger, autre chose aussi qu’un mannequin de chair qu’on couvre d’une robe. La suave sauvagerie sylvestre la transporte dans un monde où n’ont plus cours les petites fausses hontes qui la paralysent dans sa pension de famille ». Cette découverte est touchante.
Un enfant est né : marguerite ; un autre est mort : pauline.
Armée pour le pire, j’ai parcouru
« Tous les enfants sauf un » de Philippe Forest
depuis l’Enfant éternel, que j’avais lu, terrorisée, il y a peu, je mets le nez dans chaque nouveau livre de Forest, même si le propos ne concerne pas le drame qui a eu lieu, comme si je voulais prendre des nouvelles d’amis dans le pétrin. Même l’essai « un roman est-il encore possible ? » paraissait vouloir dire « un enfant (ou « une vie ») est il/elle encore possible ? et je n’avais rien retenu de l’argumentaire ! …impossible de considérer Philippe Forest comme un écrivain, de prendre son style en considération. Non. On vient prendre des nouvelles des suites du drame, on ne peut se tenir à bonne distance.
Et là encore une fois je me surprends à des considérations qui n’ont rien de littéraires ; va-t-on nous annoncer qu’on a tourné la page qu’il y aura un autre enfant ? Bien que le titre démente entièrement cette possibilité et que, de toute manière, s’il y a un autre livre, c’est qu’il n’y a d’autre enfant que Pauline l’enfant unique frappée par le mal dont on nous parle depuis dix ans de telle façon qu’on a l’impression que ça nous est arrivé plus qu’à moitié.
Et l’auteur raconte à nouveau ce malheur d’une façon plus sobre plus ramassée quoique avec tous les détails essentiels que l’on connaissait.
Il en profite pour dire que le cancer n’est pas une maladie psychosomatique et qualifier d’ignominieuse la théorie de Fritz Zorn qui dans « Mars » explique son cancer par la névrose, comme si ce cancer était ce que Freud avait nommé en son temps (et qui est peut-être dépassé mais je n’ai pas d’autre mots) une « hystérie de conversion ». Il prend appui sur les idées de Susan Sontag qui a longtemps lutté contre la maladie. Le hasard existe : la maladie n’a rien de psychosomatique. Eux qui la veulent ainsi cherchent à se protéger contre l’absurdité de la maladie ; non seulement elle nous frappe mais elle n’a absolument aucun sens, c’est ce qui la rend insupportable : pour l’humaniser pour donner un sens à ce processus, on l’intègre aux désirs inconscients de la personne affectée : c’est moi lui elle qui l’ai voulu…punition ou manifestation des dits désirs par le symptôme.
Rien de scientifique ne vient corroborer ces affirmations.
Il y a du vrai là-dedans ; et pourtant le mal qui affecta Pauline a frappé fort à l’âge où les parents songent souvent à une autre naissance. Elle restera une enfant unique, inoubliable, et avoir un autre enfant après elle paraît à ses parents un sacrilège une hérésie, un non-sens, comme si par ce geste on voulait la remplacer.
Il n’est pas question d’être infidèle à son souvenir.
Dans la bibliographie de l’auteur figure aussi « Erotique du deuil au temps de la mort sèche » de Jean Allouch : ce dernier défend la thèse que le deuil est inachevable mais non pas qu’il est impossible de changer son fusil d’épaule…