Le troisième opus d’Almodovar qui a retenu mon attention( " Parle avec elle", film
sorti en 2002), met en scène des couples hommes/ femmes.
Veuf de sa mère, Benignio se réconforte en suivant par sa fenêtre les évolutions d’Alicia, qui prend des cours de danse dans un local en face de chez lui. Il la suit dans la rue, fait des avances répétées. Contrariée, elle traverse une rue trop vite et se fait renverser par une auto.
Marco, journaliste, interviewe une autre danseuse, Lydia, qui se produit dans les arènes aux côtés des taureaux. Marco et Lydia entament une liaison houleuse. Troublée, Lydia est victime de la bête.
Devenu son infirmier, Benignio s’occupe d’elle enfin et en priorité ; la nettoie lui enduit le corps de crème… non seulement il lui parle ( titre) mais il ( se ) lui répond.
Il parle à Alicia de ce qu’il croit savoir lui plaire, lui raconte en détail le film muet qu’il a vu, l’Amant qui rétrécissait ; ce film dans le film est aussi d’Almodovar : un homme qui a pris un breuvage de drogues devient semblable à Gulliver, escalade les mamelons d’une géante, entre dans son sexe pour y passer le reste de son âge.
Dans la chambre contiguë, Marco reste prostré devant le corps inerte de la belle torera. A observer Benigno au service d’Alicia, il ressent curiosité, répugnance, admiration. Benignio est un homme heureux : « Alicia et moi, formons un couple parfait »
Dans les arts de l’image, l’attrait pour le corps inanimé est une évidence et il a suscité de très belles œuvres. Mais lorsque je cherche à me repasser le film, je n’ai qu’un vague souvenir d’Alicia .
Lorsque la belle au bois dormant se réveille, Benignio n’est plus à son chevet. Son infirmier lui ayant fait subir quelques sévices, elle a fait une fausse couche, et il a été interné. On ne saura jamais ce qu’elle en a perçu ou conclu. Alicia n’a pas la parole.
Le film est, dans une première approche, une variante radicale du « sois belle et tais-toi ». C’est un penchant typiquement masculin : que pourrait faire une femme d’un homme dans le coma, je vous le demande !
On laisse entendre que Benignio a vécu un grand amour, qu’il a sauvé Alicia, et en est mal récompensé ! Marco, devenu son ami, se sent coupable de la mort de Lydia parce qu’il n’a pas eu les « qualités nécessaires » pour supporter le corps comateux et s’entretenir avec lui !
Le vrai message du film ( Almodovar l’a pressenti…mais en est-il conscient ?) c’est que l’on ne peut s’adresser à un interlocuteur en disant « tu » sauf à passer par soi-même, et que l’interlocuteur fait toujours le mort ; cette situation de communication entre Benignio et Alicia gisante est le lot quotidien que vit chacun de nous.
Ce qui fausse le jugement du spectateur c’est que cette situation est ici présentée comme exceptionnelle alors qu’elle est commune.