" Que puis-je pour vous ?
Penché sur son calepin, le serveur se mit à griffonner avant même de connaître les désirs les consommateurs. Cela fit hésiter Guillaume. Les autres consultaient la carte comme de vrais clients qui ont de l’argent à dépenser. La présence d’Andrew conditionnait cette attitude.
-Une Bitter-knave, dit Guillaume.
Fiord écarquillait ses petits yeux clairs : "Dites-donc les mecs, vous ne vous refusez rien" objecta t'elle en se tortillant sur sa chaise.
« Ce n’est qu’une bière, objecta Guillaume. Je ne supporte pas beaucoup l’alcool. Ca me rétrécit les bronches.
- Comment se plaisent-elles avec la fumée ? s'informa Andrew.
Fiord saisit la carte à son tour et laissa errer son regard, fronçant les sourcils comme pour déchiffrer un texte compliqué. " Un pastis », lança t'elle d'une voix ferme, au stylo qui attendait, maintenant suspendu en l'air. Son propriétaire secoua la tête, dubitativement.
« Alors quoi? dit-elle en signe d'incompréhension. Un pernod" précisa-t-elle :" Un per-nod".
-Es-tu sûre de pouvoir commander ce genre de boisson à ton âge ? objecta Guillaume souriant malicieusement.
Anne qui occupait le siège voisin arbora un sourire trop large qui rendait un peu agressif son visage avenant. Les deux parties de sa lèvre supérieure étaient largement séparées par une dépression en V ce qui la rendait irrésistible, mais bizarre lorsqu’elle élargissait fort ses lèvres.
Fiord se répandit en considérations sur le manque de liberté accordé aux jeunes et de toutes ces conneries d'à tel âge, tel droit. Elle avait seize ans moins cinq jours, se dit Mathieu. Mesurait un mètre soixante-six, se rappela t'il. Elle n'était pas grande pour une Wilson. Anne, nettement plus petite, portait une robe bleu marine en tissu léger parsemé de minuscules pois jaune vif, qui masquait un corps délicat, pensait-il encore, il l'avait déjà vue en pull et pantalon. De toutes petites formes, mais quelle grâce!
Anne ressemblait à Twiggy, le mannequin dont les nonchalances androgynes s’affichaient dans Paris-Match, quelques années plus tôt . Oui, mais avec une semblable bouche, un pareil sourire, elle avait plus de caractère.
Déjà il avait renoncé à la regarder dans les yeux avec insistance. Nelly était son amie intime.
Frugalement, les deux filles commandèrent des boissons ordinaires, café et chocolat. Le sobre Andrew, voulait un milk shake : il fut gratifié d’un « lait fraise ».
Il se tenait très droit comme un petit soldat et rejetait fréquemment la tête en arrière pour se maintenir à niveau. Son accent avait du panache, en anglais comme en français. C’est à son excellente éducation, qu’il tenait ses airs avantageux dont Guillaume s’amusait. Andrew frôlait savamment le rebord de la table comme si elle était pourvue de touches de clavier.
- Une anisette, précisa Guillaume, c'est pour moi. le serveur fit un signe de tête affirmatif.
Nelly et Anne ouvrirent un magazine et commencèrent à parler des « trois cents quarante-trois ».
Guillaume s’énervait:" Ne vous tracassez pas; s'il n'y a pas le compte exact, je vais signer aussi, sous un pseudonyme".
Indignée, Nelly le sermonna « Fais le pitre, les obstacles te rattraperont ». Andrew s'en mêla aussi. Que pouvait-il penser dans ses sphères éthérées?
Inquiet. Mathieu baissait la tête.
Les boissons furent déposées sur les tables avec de grands gestes d'importance. Ici, on servait deux fois plus vite, et on payait deux fois plus cher. C'était le charme de l'Oiseau-Mouche.
Andrew devait être reçu avec un minimum de luxe lorsqu’il se rendait chez les Wilson qui faisaient figure de parents pauvres. Andrew
régalerait.
A 23 ans, il était rentier, peut-être pour toujours. C’est à dire qu’il travaillait beaucoup,le croque-note, mais pas pour la frime.
Pas métro-boulot-dodo.
Du vrai travail.
Rien que pour lui.
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