Ce roman a été publié en 2001 par Marie N’Diaye qui a reçu le prix Femina pour cette œuvre.
Rosie vient d’atterrir à l’aéroport de Pointe à Pitre avec Titi : c’est son petit garçon ; ce pourrait être un chat ou un animal en peluche…maltraité.
Tout va mal pour elle qui débarque de France sans un sou. Elle espère que Lazare, son frère aîné, qui possède une grande villa, avec "une piscine élisabethaylorienne » dans son jardin, va les héberger.
Elle n’y croit pas trop, et nous encore moins. A t-on jamais vu Lazare riche ?
Nécessiteuse, Rosie voit le luxe insolemment déployé des touristes insouciants aux vêtements bariolés.
Elle a honte d’elle-même, de « Titi » mal nourri, mal vêtu. « Les deux volatiles sans qualités Rosie et Titi ».
Elle est en pleine déréliction : « elle éprouva l’angoisse qui enveloppait continûment le cœur et l’esprit de Titi, cet effroi morne et secret sauvage qui ne trouve aucun apaisement que dans la croyance lugubre, amèrement satisfaite, en l’inéluctable tristesse de la vie »
Rosie ne fait qu’un avec son enfant. Elle pense à travers lui, se hait à travers lui…
Alors qu'elle n'espère plus l'arrivée de Lazare, vers le soir, se matérialise un grand jeune homme noir vêtu d’un polo blanc, La…grand , plutôt que La...zare, qui prend sa valise, et que Rosie doit suivre car elle ne sait où aller ; Elle ressent de la haine pour Lagrand et sa belle voiture, « un jeune homme gâté, quoique convenable, bien élevé, et jusqu’à la nuance de sa peau qu’il semble avoir choisie par coquetterie, pour aller avec la Toyota et les mocassins de daim ».
Je me souviens de « Rose Mélie Rose » publiée par une autre Marie ( Redonnet) à Minuit, 15 ans plus tôt. C’était déjà une orpheline qui avait connu la détresse, la dérive, de dures tribulations, jetée seule dans le monde, sur une île, avec un livre de légendes, à la suite de la mort de sa grand-mère.
Rosie Carpe n’a pas eu de bonne grand-mère ni de légende à se raconter. Aucun passé n’est agréable à Rosie, « une rose jaune » couleur de la fausseté avec un passé teinté d’une « brume jaunâtre », le souvenir flou d’une existence « safranée », excepté son frère Lazare, qui, lui, se souvient d’un magnolia blanc , tandis que Rosie doit renoncer à « La Guadeloupe, un rêve poudré d’or ».
Car Lazare ne résiste pas à la confrontation avec sa réalité guadeloupéenne délinquante, et le seul personnage favorable à Rosie, Lagrand, cesse de l’être, car « noir et blanc » il ne saura pas nuancer ni supporter que Rosie soit une « mauvaise mère » rejetant son fils, comme lui a été abandonné par la sienne. Or, que Rosie soit une mauvaise mère, la lectrice le comprend aisément.
« Carpe » semble indiquer une famille muette « les quatre Carpe » à Brive nous apparaissent comme des poissons tassés dans un bocal. Les parents Carpe ne fréquentaient personne n’ont rien légué à leurs enfants ni lien social ni désir ni joie. Carpe c’est aussi carpere (profiter, jouir).
« L’impression éprouvée durant longtemps, de se mouvoir, elle et Titi, à côté du récit, en dehors d’une vaste et complexe histoire que les autres, même les moins bien lotis, vivaient activement »
Marie N’Diaye avait déjà écrit En famille, réécriture inspirée du roman que lisent les fillettes à propos d’une des leurs abandonnée. Le thème est revisité dans Rosie Carpe avec plus de force parce que l’écriture est plus dense, on ne subit pas le découpage de la narration en petits segments tronqués d’une chronologie difficile à repérer qui font que le lecteur retournait sans cesse sur ses pas pour retrouver un segment antérieur.
Mais Rosie et Fanny se ressemblent et subissent les même sévices : la mère (ou celle qui en tient lieu) refuse sa progéniture ; l’héroïne sans ressources trouve un job dans un hôtel où on la garde moyennant la libre disposition de son corps par le patron ou son fils.
Le fil de la narration est simple à suivre :
I Rosie arrive en Guadeloupe, est accueillie par Lagrand et découvre une famille qu’elle ne connaissait pas et une vieille bicoque poussiéreuse.
II Rosie évoque son enfance à Brive et son errance à Paris et dans la banlieue
III Lagrand se raconte son histoire personnelle pendant que le séjour de rosie en Guadeloupe risque de tourner au drame.
IV Epilogue, vingt ans lus tard, Titi devenu actif principal et Rosie plus souffre-douleur que jamais.
Un roman dominé par la détresse socio-économique, mentale et existentielle ; détresse, mot qui convient pour presque tous les personnages du roman même ceux qui s’accrochent passionnément (Lagrand) ou furieusement (Mme Carpe) à des signes extérieurs avantageux mais illusoires…ou à des vengeances étranges : Titi à qui Lagrand a servi de modèle paternel, survit avec force et en martyrisant sa mère qu’il a décrétée « intouchable » ce qu’elle accepte.
Rosie enceinte mais elle ne sait pas de qui ni comment ni quand « c’est une conception immaculée, la graine jetée par un parfait esprit un soir ou un autre de décembre…mon saint enfant… la pure énigme qui barbote en moi »
Aux préoccupations réalistes et sociales de Rosie concernant son existence, à sa haine de la société qui l’a abandonnée, se mêlent une riche perception physique d’elle-même « elle percevait sa respiration bruyante et se sentait sale, importune, surabondante » des réflexions métaphysiques, et le déploiement d’une expression poétique juste, qui donne consistance au propos.
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