" En lisant Tourgueniev" est Le deuxième opus de “ Two Lives”que William Trevor appelle des « romans miroirs ». Tous deux sont traduits et publiés chez Phébus ( comme toutes les oeuvres de Trevor) , de façon séparées.
Les héroïnes de ces deux romans s’opposent point par point et se rejoignent d’autant mieux.
Emily (Ma maison en Ombrie) est une femme de petite vertu, orpheline, qui a beaucoup voyagé, beaucoup bu, et s’est réalisée dans l’écriture de romans ; Marie-Louise, restée vierge malgré un mariage et une grande passion, n’a jamais quitté son village, n’a jamais bu que de l’eau, est envahie par les contraintes familiales, a vécu claustrée et s’est épanouie dans la lecture de romans. L’une et l’autre ont également subi un traumatisme… Elles ont toutes deux 57 ans lorsque leur vie nous est contée. Ironiquement opposés, leurs destins se font écho.
Les textiles « Quarry » sont l’affaire la plus prospère de Culleen, 2500 habitants. Lorsque Marie-Louise, de la ferme Dallon, se voie courtisée par Elmer le propriétaire du magasin, elle y voit des avantages : habiter en ville, travailler au magasin ce qui est nettement plus agréable que les tâches requises par la ferme. Le mari lui importe peu.
Les barrières entre protestants et catholiques sont tranchées mais la sœur de Marie-Louise, énergique et réaliste, se cherchera un mari plausible et épousera un catholique.
Marie-Louise, elle, rêve depuis toujours. Toute petite elle voue un culte particulier à Jeanne d’Arc…
Non consommé, le mariage mène Elmer honteux et confus à l’alcoolisme, et Marie-Louise chez son cousin Robert qu’elle n’a pas vu depuis l’école ; Robert a 21 ans lui aussi, condamné par une déficience organique il ne quitte pas la maison et fait partager à Marie-Louise son univers de songes : batailles avec les soldats de plomb appartenant à feu son père, contemplation d' un héron vers l’étang, lecture de Tourgueniev où l’on suit les aventures d’Elena, amoureuse d’un étranger, le Bulgare Insarov, qui meurt jeune, laissant son amie en deuil éternel.
« Elle butinait à travers les pages, ouvrant le livre au hasard. Elle adorait voir Elena Nicolaïevna , incapable de fermer l’œil, se prendre les genoux dans les mains et y poser la tête ».
Les cousins se récitent la nouvelle et l’apprennent par cœur, dans le cimetière du village auprès du caveau d’une famille Attridge.
A la mort de Robert, Marie-Louise s’enferme dans ce monde imaginaire, sous les combles de la maison Quarry. Ses deux belles-sœurs qui n’ont jamais cessé de la maltraiter moralement vont tirer partie de cette désertion.
ELT se présente de façon classique comme le choix de la troisième personne du singulier, le point de vue de Marie-Louise l’héroïne est dominant mais n’est pas le seul observé. ELT est un roman de moeurs autant que « psychologique » ; il nous fait vivre dans la petite ville de Culleen ,2500 habitants dans les années 50, et les rêveries et folies de Marie-louise alternent avec les descriptions de la vie prosaïque des habitants et de leurs préoccupations.
Les deux noces du roman font l’objet de longs récits réalistes et fouillés.
De même, dans la maison de repos où Marie-Louise séjourne, les autres pensionnaires et leurs univers décalés nous deviennent familiers.