C'est flippant !
Donc, revenons en 2004, pour commencer :
Dans mon lycée, je suis en classe de première dans la section « reconquête des savoirs», une des plus successfoule s’il vous plaît, et je cherche un homme.
En descendant le perron, je vois Jack Lang, un grand brun mince bouclé dans les cinquante, qui cela pourrait-il être d’autre que Jack? Il distribue des prospectus Jack, pour son parti, je parie, il est vachement cool, avec sa cravate blue pervenche.
Je lui souris, il me salue, tiens ? Je le connais ? Où s’est-on vus ?
Le soir commence à tomber. Jack et moi, descendons la rue, et nous engouffrons dans la même troquet.
Toutes mes amies sont là devant leurs consommations, l’air de s’ennuyer tellement qu’elle font attention à tout ceux qui rentrent : c’est le moment! je l’embrasse sur la bouche le Jack. Il n’est pas coopérant. Il fait à peine semblant d’y répondre.
Je commande un café avec un mètre de crème chantilly, me disant qu’il va me payer ça tout de même. Il sort une cigarette ce n’est pas une mauvaise idée de recommencer à fumer, j’en pends une.
Jack n’utilise pas de fume-cigarette. Enfin, tant pis.
Je jette un coup d’œil circulaire pour vérifier si mes compagnes de classe ont toujours les yeux vrillés sur cet improbable mais vrai couple.
Il ne faudrait pas qu’elles aient constaté que Jack refusait mon baiser.
Mais les consommatrices ont l’air de nous considérer sérieusement.
Je me donne une contenance parce que Jack n’a pas du tout l’air empressé. J’ouvre mon livre d’allemand pour faire la version dont le titre est « Ein Mann hat Langeweile » j’y comprends rien dis-je à Jack tu pourrais m’aider ? Jack fait une moue boudeuse qui lui va très bien, répond que Hat c’est chapeau et que Mann c’est homme. Puis il s’extirpe du siège, dit devoir rentrer chez lui.
Je me dis c’est pas possible ce mec sait l’allemand il me prend pour une idiote.
Tout de même, pensé-je, ce n’est pas mauvais d’être vue en train d’embrasser le premier ministre.
Comme j’émerge à l’air libre, la nuit est bien tombée, c’est une voûte de ciel curieuse avec de grosses taches rouille sur du gris anthracite , comme des signes de vieillesse. C’est un crépustule, phénomène climatique rare auquel il m’est donné d’assister. Rare mais pas gai.
C’est la nuit, je rentre chez moi : il me reste des cigarettes que j’ai piquée au paquet Jack, des Lucky, je suis bien contente je les fume. Je souhaite recommencer, me rends chez la buraliste, et, ne voulant pas en fumer beaucoup, je demande des cigarettes au détail. Je n’ai pas la monnaie désirée, on me donne un étui pour un morceau et des pièces en cuivre. Pour passer le temps je fume, je fume, et j’imagine la suite d’une liaison avec Jack Lang. J’habite au huitième comme dans ma jeunesse, la chambre mansardée. Mais soudain : la cigarette, maman va la sentir ! Que faire ?
J’allume la radio : en écoutant les nouvelles j’entends que Le premier ministre n’est pas Lang mais Raffarin. Lang n’est même pas dans le gouvernement.
Mais si je suis vue en compagnie de Raffarin, tout premier ministre soit-il, ça ne fera aucun effet sur mes copines, je ne pourrais pas fumer, et je ne retrouverais pas ma chambre d’étudiante.
Mieux vaut se prendre un petit ami comme les autres.