Mardi 27 mars, J’ai regardé le téléfilm « Miss Harriet » sur A2 d’après la nouvelle du même titre publiée en 1884.
C’est l’histoire d’un vieux peintre qui raconte comment dans, dans sa jeunesse alors qu’il vivait en nomade, s’arrêtant dans des auberges pour peindre à la façon impressionniste, tout occupé alors de son art et aussi de goûter la liberté d’une existence au jour le jour où l’on fait ce qui vous plaît sans obligations, il lui arriva de prendre pension chez la mère Lecacheur, en Normandie, près de la mer, et d’avoir pour voisine une anglaise de cinquante ans, vieille fille, qui adore la nature que dieu a faite, faute de trouver un homme car « son corps est disgracié »
On jase dans le village ; l’anglaise est taxée tantôt d’ »athée » tantôt d’ »hérétique » parce qu’elle distribue des images pieuses. Elle a passé sa vie à voyager parce que « sa famille l’a chassée… »
Au lieu d’être seule et libre, comme le peintre, elle est considérée comme une anomalie parce qu’une femme n’a pas le droit de vivre seule : on doit se marier, entrer dans les ordres, se prostituer ou faire la demi-mondaine : miss Harriet ( c’est un prénom pas un nom…) n’est rien de tout cela
On la montre du doigt.
« une de ces vieilles bonnes filles insupportable qui hantent toutes le tables d’hôtes de l’Europe »
« Sa figure de momie encadrée de boudins de cheveux gris roulés, me fit penser à un hareng saur qui aurait porté des papillotes »
Cependant ses penchants artistiques lui font observer les humains d’une façon inédite, et il abandonne bientôt les préjugés.
« celle-là me paraissait tellement singulière qu’elle ne me déplaisait point ».
Miss Harriet surnommée « la démoniaque » soigne et nourrit un crapaud qu’elle garde dans sa chambre. On pense au crapaud des contes censé se transformer en jeune homme.
Bizarre, d’abord farouche, elle prend plaisir à accompagner l’artiste, et admire ses toiles en présentant son exaltation devant l’oeuvre d’art comme hommage au divin.
Mais lorsque le jeune homme lui montre une toile où il a voulu représenter deux amants s’embrassant dans la brume, à peine visibles et d’autant plus présents, elle manifeste un émoi qui laisse à penser qu’elle s’est éprise de lui.
Miss Harriet se jette dans le puits.
Il raconte alors longuement la manière dont il s’est occupé du cadavre, l’a lavé, veillé, contemplé, peut-être peint (sans le dire). « Ce regard spécial des cadavres qu’on dirait venu de derrière la vie »
L’ensemble du texte est parcouru de formules saisissantes dont certaines sont rapportées par la voix off du peintre évoquant la passion qu’il fit naître et à laquelle il n’était pas question pour lui de répondre.
Miss Harriet, dont on ne sait rien, dont on ignore le pourquoi de sa solitude mal assumée, doit en passer par le trépas pour faire l’objet de soins attentifs de la part d’un homme bien de sa personne.
Aussi vaine et pitoyable dans sa virginité forcée que des femmes dont on use et abuse.
« Quels secrets de souffrance et de désespoir était enfermé dans ce corps disgracieux dans ce corps porté ainsi qu’une tare honteuse durant toute son existence enveloppe ridicule qui avait chassé loin d’elle toute affection et tout amour ? »
Le téléfilm montre le peintre tout le temps en train de peloter la servante devant Miss Harriet
ce qui énerve
dans la nouvelle, il glisse discrètement que ceci n’est arrivé qu’une fois la veille de la mort de miss Harriet, comme une défense de sa part contre la mort qu’il pressentait.
Pas de vrai sujet, ou peut-être simplement la mort, ( que miss Harriet préfigure) c’est ce qui fait la force d’une telle nouvelle.
Bien qu’une femme y voie forcément aussi l’injustice de la condition féminine.