Sous titré « Essai sur les mots et le monde » Actes sud, 2003.
C’est un recueil de textes paru dans diverses revues, certaines ont d’abord été proposées sous forme de discours à l’occasion de conférences, causeries, ou colloques. Le sujet du livre n’est donc pas très bien cerné : « les mots et le monde »cela me paraît assez vague. Mises en exergue de chaque texte, les citations tirées d’ « Alice » doivent former un fil conducteur ; elles n’ont fait que m’égarer davantage ! Pauvre inculte que je suis…
Alberto Manguel considère Alice comme un livre essentiel dont il effectue des relectures régulières en y trouvant toujours du nouveau.
Le premier texte parle de nomination » la tâche de nommer incombe à tout lecteur ». Le débat sur le mot et la chose est posé sous la forme du dialogue entre lecteur et œuvre, « les livres que nous lisons nous apprennent à nommer une pierre ou un arbre, un moment de joie ou de désespoir… » .
Le second parle de judéité et contient des éléments d’autobiographie. Dans une famille peu pratiquante et où l’on ne parlait pas de religion, l’auteur se découvre juif le jour où un camarade d’école lui dit « ton père est juif, donc il aime l’argent ? » Comment assumer sa judéité lorsque l’on n’est pas religieux, que l’on n’a pas connu la guerre, et perdu aucun membre de sa famille dans l’holocauste ? A partir d’une telle question, il sera beaucoup question d’assumer sa différence lorsque l’on fait partie d’une engeance souvent confrontée à l’hostilité. Comment assumer d’être gay ?
Manguel interroge le concept de littérature gay, constate qu’elle n’a pas que des avantages ; on s’y définit, certes, mais on s’y enferme aussi.
Ensuite viennent des textes sur les auteurs argentins que Manguel lit et relit , et auxquels il rend hommage - Jorge –Luis Borges en tête. Revenant sur sa fréquentation de Borges, alors qu’il était apprenti libraire et lecteur, il raconte Borges et les femmes. Le maître était chaperonné par sa mère ; en dépit de cette dépendance, plusieurs femmes ont compté pour lui. De là on en vient au fantasme de Borges « ce n’est pas le labyrinthe mais bien l’aleph, un lieu où l’on puisse embrasser tous les lieux ; un moment où l’on puisse tous les contenir … « la bibliothèque de Babel qui contient tous les livres possibles, y compris le récit véridique de ma mort ». Ce serait une bibliothèque réduite à un seul volume, l’univers même, telle la carte de la nation des cartographes, suppose Manguel.
Et dans L’immortel, un homme qui a été tous les hommes, qui a vécu toutes les strates de l’histoire universelle.
C’est là un fantasme de toute-puissance, sur lequel Borges revient dans toute son œuvre.
Les autre argentins célèbres dont il est question : Che Guevara, ici réhabilité, un homme de grand courage, vrai héros, idéaliste mais lucide, Cortázar avec des éléments biographiques, Vargas-Llosas et ses contradictions politiques, un auteur difficile à comprendre dont l’évocation entraîne Manguel à relater un épisode autobiographique bouleversant : adolescent, Manguel eut un professeur de littérature remarquable et fascinant. En 1968, et jusqu’en 1982, l’Argentine fut mise à feu et à sang…
D’autres textes parlent de l’editor, le « lecteur de maison anglo-saxon » qui intervient dans l’œuvre de sorte que la notion d’auteur devrait être partagée.
Nous avons aussi des réflexions sur la muséologie : comment sont nées les collections d’œuvre d’art , comment se sont développées les expositions pour le public et quel regard cela suppose-t-il sur les œuvres ? Comment se faire une réflexion personnelle hors-contexte sur une œuvre d’art ?
Un ensemble riche, quoique un peu verbeux et chaotique. Chacun aura ses préférences…personnellement j’ai surtout aimé les épisodes sur les auteurs argentins ( sauf celui consacré à Cortázar qui n’apporte rien de plus que ce que l’on savait) l’épisode autobiographique sur la jeunesse troublée de l’auteur, et les chapitres sur les musées.
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