Folio, 1990.
1ere publication en 1962.
Ce titre qui désigne le 18eme siècle européen gouverné par la raison, est ironique ; on ne verra que des lumières s’obscurcissant.
C’est le seul roman historique de Carpentier qui veut montrer les effets de la Révolution française importée dans les Caraïbes.
L’action débute en1789, et s’achève à l’insurrection des espagnols contre Napoléon en 1808.
Un action très riche en péripéties de toutes sortes, qui vous emmène de Cuba à La Guadeloupe, de Paris à Bayonne, de Pointe-Pitre à Parimambos, de la Havane à Madrid, en passant par la bagne de Cayenne, et j’en oublie…
Le roman débute par un prélude non daté mais que l’on pourra aisément resituer à la lecture du livre. Ce texte consiste en rêveries sombres d’un narrateur désenchanté, sur un navire, la nuit, à propos de « la Machine » instrument qu’on reconnaître aisément ( mais qui est aussi métaphore de l’Histoire ).
Ensuite, nous sommes à la Havane, vers 1789. Trois adolescents, Sofia, Juan et Esteban viennent d’enterrer le père des deux premiers et oncle du troisième. Ils vont vivre un temps dans la grande maison familiale, seuls, dans un hui-clos. Les domestiques s’occupent d’eux et du commerce des grains que l’adulte a laissé en plan. Vie trépidante, pleine de rêveries, de lectures et d’expériences enivrantes, de théâtre et carnaval improvisé. Le paradis prend fin avec l’arrivée de Victor Hugues commerçant à Port au Prince, qui s’installe chez eux en père et grand frère en même temps. Victor Hugues leur plaît car il ressemble à un aventurier. Il se met à gérer leurs affaires, une bonne chose, car ces jeunes rêveurs se laissaient ruiner sans le savoir.
Les jeunes gens s’ouvrent à une vie sociale, gagnent une sorte de maturité. Sofia délaisse son cousin pour l’homme fait,pas vraiment contente mais fascinée tout de même. Les adolescents érpoouvent des sentiments ambigus pour Victor, mais dans l’ensemble, une admiration éperdue domine.
Le but de Victor Hugues, qui est de les gagner à la cause révolutionnaire qu’il est décidé à importer dans les Antilles, semble gagné. Le quatuor quitte la Havane pour Santiago, par les voies navigables. Esteban est fasciné par l’aspect fantastique du réel végétal, de la nature luxuriante, presque autant que par l’action sociale…
C’est pour moi une relecture que ce Siècle des Lumières, et je le trouve toujours aussi réussi. Roman complexe et ambitieux qui traite plusieurs sujets, l’engagement politique de l’artiste , les événements de la Révolution française et leur impacts aux Caraïbes ( comment faire pour que la Révolution soit plus qu’une fête ou un mythe, comment faire pour que la pouvoir n’avilissent pas ceux qui s’en emparent ?) , la formation des jeunes gens ( Esteban et Sofia) leurs évolutions, espoirs, déceptions , mûrissements, régressions ; des descriptions magnifiques, de la nature ( c’est là qu’on se met à l’aimer), des mouvements de foule, des mouvements d’âme ; la transformation réussie de Victor Hugues, qui a réellement existé, en un personnage de fiction, sans compter des histoires d’amour pas du tout mièvres et très bien rendues. Dans l’ensemble, une écriture superbe.
Lu dans le cadre du" mois cubain" organisé par Cryssilda et Lamalie
Alejo Carpentier ( 1904-1980)
De père français et de mère russe, Alejo Carpentier n’en passa pas moins son enfance à La Havane, et les Caraïbes sont sa vraie patrie. Cependant, il émigre à Paris et découvre la culture européenne, en particulier le mouvement surréaliste , auquel il collabore, et qui enchante sa jeunesse. Les quelques années qu’il passe à Cuba, dans les années 20, en tant que journaliste, il les vivra dans les prisons du dictateur Machado. Ses séjours à Cuba le mèneront fréquemment à l’exil, jusqu’en 1959, où il devient ministre des affaires culturelles sous Fidel Castro. Cependant, plusieurs de ses romans dénoncent la tyrannie (comme celui que je viens de chroniquer) et c’est souvent à Paris qu’il les écrit.
Carpentier est aussi un musicologue émérite qui écrivit un ouvrage sur la musique cubaine et un roman ( Concert Baroque) se déroulant à Venise au 18eme siècle.
Il obtient le prix Médicis étranger en 1979, pour « la Harpe et l’ombre » un roman qui se situe aussi à l’intersection du Nouveau Monde et de l’Ancien. Car le héros en est Christophe Colomb, reconstitution et interrogation sur cette figure historique. Je lirai probablement celui-là d’ici la fin juin.
On lui a célébré des funérailles nationales à Cuba en 1980, en dépit de ses critiques contre les régimes de dictature latinos, particulièrement évidentes dans son roman, le Recours de la méthode...
Sources : Encyclopédie Universalis, édition 2007.
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