Sabine Wespieser, 294 pages.
La narratrice Amy vit dans un petit pavillon de la grande banlieue de Chicago avec sa mère, sa tante Babette, son oncle brésilien, et son cousin Victor. Il apparaît aussi dans l’histoire un petit frère qui vient vivre avec eux. Sa mère et sa tante ont vécu à Paris où très jeunes, elles ont échappé aux camps d’extermination. Tous les autres membres de la famille y ont péri. Les deux femmes ont émigré aux USA, et ce sont installées à Bay City, petite ville sans caractère. La maison est en tôle, elle a été construite en peu de temps, semble fragile et artificielle, comme tout le quartier. Les deux femmes, en plus d’être déracinées, et orphelines, se sont trouvées déclassées par rapport à leur niveau de vie d’enfants dont la tante Babette se souvient très bien. Babette a épousé un catholique latino (l’oncle, bienveillant avec Amy) et tient à pratiquer cette religion.
Amy est désespérée depuis toujours. Née avec un problème respiratoire, elle a survécu, et à 18 ans, pourrait être presque comme toutes les jeunes filles de son âge. Sauf que … non désirée par sa mère, et connaissant peu son père qui ne fait rien pour elle, Amy vit très mal. Elle est hantée par les souvenirs des camps de la mort qu’elle n’a pas connus, mais dont elle se sent dépositaire : Du corps de mes parents, de mes oncles de mes tantes, nous continuons à respirer les restes, poussés par les grands vents, lui dit sa tante Babette. Sa tante connaît le passé, et ne le dissimule pas. Mais curieusement, Amy déteste sa tante autant que sa mère....
Amy rejette tout et tout le monde. Y compris certains morts : sa sœur aînée Angie, mort-née qui repose au cimetière.
Le jour de ses dix-huit ans à Bay City, la maison a brûlé et tous les habitants avec, sauf Amy. Elle s’accuse de l’incendie et de l’avoir prémédité, mais on ne sait si on doit la croire.
En effet, sa vie, qu’elle nous relate, se lit en chapitres alternés : tantôt la vie à Bay City dite avec un réalisme cru et haineux, son enfance et les jours juste avant l’incendie ; tantôt l’existence d’Amy après cet événement, complètement délirante. A mesure que la narration de sa vie "avant" s’approche du jour fatidique, le délire s’installe ; Amy vit avec les fantômes de ses grands-parents déportés, qui l’auraient aidée à mettre le feu. Elle se drogue copieusement…
La malédiction poursuit la narratrice : en faisant brûler tout le monde, elle recrée la déportation, perpétue non seulement le souvenir mais le désespoir et l’inhumanité de cette période, mais ne se débarrasse pas des fantômes qui la hantent, ni ne se venge des rescapées oublieuse de leur judéité (Ma mère et ma tante ont fait d’elles et de nous, avant même notre naissance, des rescapées du désastre)
Après, elle a passé du temps dans une unité psychiatrique, prétend avoir été en Inde, y avoir eu une fille Heaven, et une existence vouée à diverses quêtes, (dont celle du Nirvana, rien que ça !!!)… avoir été pilote de ligne, et bien d’autres choses…
Cependant, à la fin du récit, dans la maison qu’elle habite avec sa fille, les morts reparaissent, et les repères spatio-temporels sont vite brouillés. La réalité, on ne sait où elle commence, où elle finit…
Le récit repose sur l’absence de Dieu, le désir de croire en quelque chose. Le ciel est mauve des fumées de cheminées, ou rouge du soleil qui se couche, parfois violet, et aussi souvent « vide » comme celui de Baudelaire.
Le ciel n’est pas les cieux, mais c’est ainsi pour tout le monde. Le ciel est l'affaire des humains, et les cieux, c'est pour dieu les anges et cie avec lesquels il faut garder ses distances.
L'auteur a fait le choix d'une écriture très primaire, faite pour provoquer des réactions vives. Ce lyrisme violent et désespéré ne me touche pas
vraiment.
Elle écrit à ciel ouvert, voulant tout dire sans rien suggérer. Souvent avec une provocation très adolescente( elle fait ingurgiter son sang menstruel à ses petis amis, évidemment très nombreux, notre désespérée est une tombeuse, et Dieu comme ils aiment ça...) d'autres fois avec une curieuse naïveté sentimentale« Je veux mourir sans arrière-pensée. M’offrir au Gange lascivement et laisser mes cendres balayer amoureusement sa surface. Qui sait ce que mes restes poussiéreux pourront alors caresser ».
Des phrases comme celles-là me font sourire ! Je les aurais prises au sérieux si j’avais eu dix-huit, vingt ans.