Actes sud 2011, 236 pages
A Berlin, j’ai vu des noms projetés sur un mur. Ma classe avait quitté le lycée pour visiter le mémorial consacré aux juifs exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale. Une liste interminable de noms… j’avais lu beaucoup de noms et tout à coup, j’ai commencé à les entendre.
Une voix répétait ceux que j’avais déjà oubliés.
… depuis ce jour de janvier 2007, les voix ne se taisent pas souvent…ces voix m’effraient. Je ne connais pas ces timbres de femmes, d’hommes, et d’enfants.
Dans sa détresse, Frédéric a perçu les voix des déportés juifs, et les a entendues de l’extérieur.
Deux ans plus tard Frédéric quitte Berlin pour Tel Aviv, et c’est le début de ce récit. C’est le récit du combat mené par l’adolescent contre les agressions d’une psychose qui le mine, le récit du questionnement qu’il poursuit pour comprendre le monde, pour se situer quelque part. Frédéric a dix-sept ans, est français d’une mère suisse. Depuis qu’il est au monde il voyage souvent, au hasard des déplacements professionnels de son père. Ses parents ne sont d’aucune aide. Il dissimule tant bien que mal ses symptômes, sentant le danger supplémentaire que représenterait une intervention de sa famille.
Il ne saisit plus ce que disent les autres à l’oral, et les enregistre au dictaphone, pour les retranscrire ensuite, y mettre de la distance. Ses premiers moments dans la capitale administrative d’Israël sont difficiles, mais il voit une porte de salut à apprendre l’hébreu, langue si différente de celles qu’il a apprises. Elle se lit de droite à gauche, l’alphabet est totalement autre. S’appropriant la langue, pourra-t-il intérioriser les voix ?
Bientôt, il découvre Benjamin Herlz et ses écrits, s’en fait un ami, noue de bonnes relations avec ses voisins quoique toujours avec le dictaphone, interroge les passants dans la rue sur le sens du mot « territoire ». Les gens sont sympathiques et lui répondent. Il y en aura un pour lui dire je n’ai pas de territoire. C’est aussi le cas de Frédéric. En s’immergeant à sa manière dans les écrits de Benjamin son ami, il continue paradoxalement à s’enfoncer dans le délire.
C’est avec plus que de l’intérêt que l’on suit les pérégrinations mentales de Frédéric. Le personnage plongé dans la déréliction et ses courageuses et ingénieuses tentatives de tenir le coup suscitent l’empathie. Le récit est bien mené avec ses phrases courtes, tantôt questionnement, tantôt dialogue souvent impossible avec sa famille, possible avec ses voisins, tantôt constat. Les phrases qu’il énonce évoluent vers des sortes de « mantras » protecteurs, plutôt que de prières, lorsque la situation l’exige…
D’autres personnages que Frédéric interviennent dans le récit à la troisième personne. Son père, son frère ( il s’appelle César !) sa mère… des personnes assez
insignifiantes, mais non dénuées de pouvoir, qui n’approchent pas du monde de Frédéric. Ils ne font que souligner son extrême solitude.
Merci à Sybilline sans qui je n'aurais pas découvert ce récit.
Lectrice des trois premiers romans de Denis Lachaud, je ne l'avais plus suivi après " Comme personne" et je vois que j'avais tort.
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