Actes sud 2010, 139 pages.
C'est la première fois que je lis cet auteur. Et c'est son dernier livre.
L'idée m'en est venue en lisant lecture-écriture. Don Dellilo est l'auteur du mois choisi par Sibylline.
Je lis peu d'auteurs américains ( en dehors de Paul Auster, et de certaines romancières).De temps à autre je me met en devoir de lire un de ces grands auteurs, avec des fortunes diverses. Je n'ai jamais réussi àm'intéresser à Philip Roth, par exemple.
Le texte consiste en une introduction et une conclusion intitulées Anonymat 1 et anonymat 2 ; au milieu, le récit proprement dit en 4 parties.
Dans « Anonymat » un homme regarde « 24 heures psycho » de Douglas Gordon, œuvre –vidéo qui consiste à projeter le film d’Hitchcock « Psychose » au ralenti, de telle façon qu’il dure 24 heures. Sans le son, faut-il préciser.
Cette œuvre est ce que l’on appelle de nos jours « une installation ».
Elle occupe une salle d’un grand musée de New-York. Voir l’œuvre en continu n’est pas possible, car le musée ferme tous les soirs à 19 heures. L’homme en question considère que cette expérience de voir le film au ralenti « c’était comme du film pur, du temps pur. L’horreur du vieux film d’épouvante était absorbée dans le temps. Combien de temps allait-il devoir rester là combien de semaines ou de mois, avant que le temps du film n’absorbe le sien ». On voit qu’il aspire à une expérience plus ou moins métaphysique, en tout cas capable de changer radicalement ses habitudes de pensée et de perception des choses.
Le spectateur est « privé de tout recours à l’anticipation ». La narration et l’histoire racontés dans le film disparaissent. A une époque où l'idée que l'espace et le temps puissent se confondre nous est familière, on est intéressé par toute tentative d'approcher un tel mystère. On pense aussi aux deux formes d'appréhension du temps dans la philosophie grecque? l'aion( le temps cosmique) et le chronos( le temps linéaire). Bref,cela peut nousentraîner bien loin!
Imaginant moi-même ce que peut donner un ralenti d'une telle intensité, il me semble que le résultat doit être déréalisant, voire angoissant pour le spectateur. Le ralentissement tend vers la mort...
L’homme réfléchit en regardant ces mouvements étirés en longueur »Moins il y avait à voir, plus il regardait intensément, et plus il voyait… C’était le but du jeu. Voir ce qui est là regarder, enfin, et savoir qu’on regarde, sentir le temps passer, avoir conscience de ce qui se produit à l’échelle des registres les lus infimes du mouvement. »
La deuxième partie du récit commence, alors que "l’homme" n’a pas terminé son investigation. A présent, nous sommes dans une région désertique, un pays tropical, près d’un bungalow de fortune. Un jeune cinéaste Jim Finley est venu interviewer Richard Elster, 73 ans, qui fut employé au ministère de la guerre pour y déployer son savoir en géopolitique. « Division des opérations spéciales, troisième étage du Pentagone, disait-il. Le muscle et la frime. »
A présent, retraité, il vit dans son bungalow, sans autres repères temporels que ceux fournis par la nature.
Jim Finley est l’auteur d’un film atypique dans lequel il filmait « des extraits de films et des programmes télévisés des années 50 « représentant « Jerry Lewis jour et nuit et jusqu’au lendemain, héroïque, tragicomique, surréel ».
Jim ne sait pas si Elster va consentir à se laisser interviewer. Il est son hôte depuis douze jours, ils parlent ,mais la négociation n’avance pas.
Puis arrive la fille du maître, Jessie, et cela lui fait une compagnie.
Cette partie est faite de propos apparemment décousus, mais toujours en relation avec cette réflexion sur le temps :
la façon de le ressentir bizarrement, a chronologiquement. Jessie raconte « qu’elle s’est engagée sur un escalator immobile et, ne parvenant pas à s’adapter, elle avait dû fournir un effort conscient pour gravir les marches… une espèce de marche, mais qui donnait l’impression de n’aller nulle part parce que l’escalator ne bougeait pas ». C’est là une expérience banale ( et assez déroutante ) que tout le monde a faite un jour ou l’autre…
Elster voudrait que le tout soit contenu dans un seul instant. Le haïku l'inspire comme forme d'art.
Bientôt il sera aussi question de l'oeuvre « 24 heures psycho » que les protagonistes ont également vu, et ce qu’ils ont ressenti….Elster évoque sa formation « j’étudiais l’œuvre de Teilhard de Chardin…il disait que la pensée humaine est vivante, qu’elle circule. Et que la sphère de la pensée humaine collective approche de son terme, de l’explosion finale ».
Le texte est donc, vous l’aurez compris une longue méditation sur les grandes questions élémentaires qu’est l’homme comment peut-il vivre, comment trouver un sens à la vie promise à la mort ect…Elster semble penser que l’espèce humaine veut retourner à la matière inorganique.
Elster pense-t-il réellement comme ce théologien que l'homme doit rejoindre dieu en un point oméga?
Ses interlocuteurs ne le contrent ni ne l'approuvent. Nous ne lisons pas une discussion suivie, ni une suite de dialogues où chacun défendrait un point de vue argumenté. Chaque personnage parle pour son propre compte, sans véritablement répondre à un autre, chacun enfermé dans son monde, même si tous les trois semblent parler de la même chose...
Là-dessus, Jessie disparaît, seul événement survenant dans ce récit....
Nous avons là beaucoup de réflexions intéressantes sur lesquelles le lecteur peut argumenter à sa manière suivant ses expériences et convictions personnelles.
Pour découvrir Don Dellilo romancier, il faudra que je me tourne vers un autre titre.