Rivage/ Thriller, 2012, 378 pages.
Titre original : Memory
C’est un des tous premiers romans de l’auteur, que ce « Memory » qui fut écrit au début des années 60 ( Westlake avait une petite trentaine d'années) et publié à titre posthume, en 2010.
J’étais prévenue que ce Westlake n’était pas drôle du tout, et que c’est même pour cela que sa parution a été si tardive. C’est avec curiosité que j’ai voulu savoir comment Westlake écrivait sans ses gags ordinaires.
Voici donc Paul Cole, un jeune homme qui sort du coma à l’hôpital, dans une petite ville anonyme. Il a été surpris avec une femme par le mari de celle-ci et violemment tabassé. Il Victime d’une commotion cérébrale, il a perdu la mémoire, pas complètement, mais tout est devenu flou. Il sait qu’il est acteur, et a tourné dans des téléfilms et des pièces ; pas de grands rôles, mais c’était son métier. En dépit de son handicap, on lui enjoint de quitter l'hôpital, quasiment sans le sou, car il a dû payer les soins. Le capitaine de gendarmerie lui fait la morale et l'expulse de la ville. Paul n’a plus de quoi revenir à New-York car c’est là qu’il résidait d’après son permis de conduire. Lui ne se souvient de rien de précis : quelques flash, quelques prénoms, personne à qui demander de l'aide.
Il se retrouve à Jefford une petite ville, à 1500 km de NY, et se fait embaucher à la tannerie, au service expédition, en attendant d’avoir de quoi retourner chez lui. C’est provisoire, la mémoire lui reviendra à NY , il en est sûr. En attendant, il se rend compte que sa mémoire du passé n’est pas seule à lui jouer des tours. Ce qu’il vit au présent disparaît aussi plus ou moins vite de sa conscience. Les noms les adresses, les lieux, les images, les personnes… Son cerveau ressemble à un tamis qui laisse passer les informations…
Cela ressemble beaucoup à la maladie d’Alzheimer. Et c’est une lente descente en enfer que relate ce roman. En même temps, l’auteur décrit fort bien la vie et
les mœurs des groupes sociaux que Paul traverse, et qu’il tente de fréquenter ; les ouvriers de la tannerie, la pratique de l’usure, les hôtels minables, puis le milieu du
cinéma de série B, à NY, et la férocité des anciennes connaissances de Paul qui le rejettent sans aménité, une galerie de personnages odieux témoignant d'un pessimisme intégral que l'on
peut trouver dans des romans comme le Couperet, mais aucune situation cocasse ne vient ici compenser la détresse du héros.
Plus le roman avance, plus le lecteur s’angoisse : il finit par savoir plein de choses sur Paul que celui-ci ne se rappelle pas, et anticipe ses malheurs futurs. Il y a pourtant des trucs bizarres que, pas plus que Paul, le lecteur ne parvient à élucider : c’est ce petit carré de métal lisse et brillant, que les flics ont montré à Paul, vous avez perdu ça ? Paul constate qu’il peut parfaitement s’y mirer mais qu’a-t-il à voir avec ce bout de métal ? Est-ce une pièce à conviction ? Que faisait-il dans son autre vie, n’a-t-il pas eu d’autres ennuis ? ….
Un roman réaliste, angoissant, très noir, l’humour est présent mais il est plus que noir lui aussi. L’ensemble est puissant et d’une grande vérité.