L’Olivier, 2010.
Plusieurs mois durant la journaliste Florence Aubenas a enquêté à Caen, pour nous faire connaître les conditions du travail précaire et du chômage, dans une région sinistrée. La Saviem une grosse usine du coin, 6000 ouvriers à la chaîne pour les camions Renault n’a cessé de licencier du monde depuis les années 60. Les luttes sociales y ont été fortes mais actuellement l’activité y est tout de même très réduite. Il y avait aussi la SMN ( société métallurgique de Normandie) Jager, Citroën, la Radiotechnique, Blaupunkt. Toutes ces sociétés ont fermé l’une après l’autre, Moulinex la dernière en 2001.
Elle s’est fait passer pour une « précaire » afin de mieux observer la situation. Elle a prétendu devoir chercher du travail après que son compagnon l’ait quitté au bout de vingt ans de bons et loyaux services de femme au foyer. Elle se présente donc comme sans qualification, et l’ANPE estime qu’elle ne peut faire que des ménages. Des heures de ménage, pas un vrai travail. Et encore, bientôt ce ne sera plus possible, car un baccalauréat option arts ménagers va bientôt se mettre en place.
1er chapitre : Florence Aubenas a obtenu un entretien dans une famille de la classe moyenne qui cherche une gouvernante. Une gouvernante pour tenir compagnie à l’épouse, lui faire les courses, cuisiner lorsqu’elle n’en a pas envie. Tenir compagnie au mari qui espère une nouvelle maîtresse, faire le lit de la fille de 34 ans qui vit encore avec eux, bien que travaillant et dont la chambre ressemble à celle d’une adolescente…
C’était bien parti pour une nouvelle version du Journal d’une Femme de chambre !
Mais Florence Aubenas n’a pas voulu d’une telle place.
Ensuite, le bureau d’aide à l’emploi, le Pôle-emploi. On y répète tout le temps que « vous avez des droits mais aussi des devoirs. Vous pouvez être radiés ».
Florence Aubenas a suivi un stage de » propreté », refait son CV un million de fois, s’est fait embaucher quelques heures ici et là à nettoyer des ferries boat, des mobil home, des bureaux, à un train d’enfer, sans avoir le temps de déjeuner, payée très en dessous du smic horaire.
Rien ne nous étonne vraiment dans ces témoignages, on savait plus ou moins tout ce que vivent les « précaires » . Beaucoup de ces personnes (presque toutes des femmes) vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Les femmes de service sont méprisées, ne sont que le prolongement de leur aspirateur.
On est toutefois ulcéré de voir de quelle façon les femmes sont traitées par les travailleurs de gauche censés être progressistes.
Deux femmes syndiquées autrefois à la CGT, racontent à quel point les hommes du syndicat les traitaient mal, comme des bobones.
Le chapitre 10 « Le Syndicat » nous éclaire sur ce point.
« Victoria et Fanfan avaient crée la section des précaires qui devait réunoir la masse montante des travailleurs aux emplois éclatés, les employés d’hypermarché, les intérimaires, les femmes de ménage, ou les sous-traitants. Le syndicalisme n’était pas une affaire facile dans ce monde d’homme, organisé autour des grosses sections, les métallos, les chantiers navals, les PTT. Pour parler d’eux-mêmes, ils proclamaient « Nous on est les bastions ».Les reste ne comptait pas. Dans les manifestations, certains avaient honte d’être vus à côté des caissières de Continent ou des femmes avec un balai. C’était leur grève à eux , leur marche à eux, leur banderoles à eux, leur syndicat à eux…. Les gars se marraient quand des précaires prenaient la parole. Victoria avait l’impression de ne pas vivre leur belle lutte de classe … Il faut un intellectuel pour représenter dignement le syndicat, disent les permanents On ne peut quand même pas envoyer une caissière ou une femme de ménage aux réunions».
L’hypermarché où ces femmes syndiquées travaillaient les a davantage prises au sérieux, en les virant de leur emploi. Le syndicat ne les a pas soutenues. Pour toute aide, les responsables leur ont proposé… de nettoyer les locaux du syndicat pour quelques deniers !
J’ai beaucoup aimé les témoignages de ces deux femmes retraitées, qui ont participé à toutes les luttes sociales, contraintes de lutter aussi contre les hommes et leur conduites inqualifiables.
Dans l’ensemble, ce témoignage est intéressant, même s’il a ses limites, en ce sens qu'il ne ne nous apprend rien de neuf. Peut-être que l'anecdote prime trop souvent sur l' analyse politique.
On ne parlera jamais assez de la vie des travailleurs précaires, de ces millions de français que l’on cherche à exclure de plus en plus de la société.