Circonstances entourant l’écriture de l’œuvre.
Commencé en 1914, au moment de la rupture de ses fiançailles avec Felice Bauer. La famille de cette jeune femme considère cela comme un délit et le convoque en présence d’un avocat, pour le forcer à se marier tout de même.
C’est ce que dit Elias Canetti dans » l’Autre procès » . Ces circonstances ont fourni à Kafka un argument, mais si nous disons qu’il a fait ici son propre procès, nous réduisons la portée du roman.
Inachevé, le Procès ne peut être résumé. Surtout que j’ai toujours été incapable de faire des résumés.
Le début et la fin sont entièrement rédigés et « finis » ; mais les chapitres intermédiaires pourraient être mis dans n’importe quel ordre. De son vivant, Kafka fit publier « La cathédrale ; devant la loi » sorte d’apologue qu’un prêtre raconte à Joseph K. visiblement pour lui signifier quelle est sa place dans le monde et surtout quel sens peut avoir sa vie. Ce chapitre est placé presque toujours en avant-dernière position.
La traduction à laquelle je me réfère est celle que fit paraître Bernard Lortholary en Garnier-Flammarion, en 1983 ; c’est lui qui a rafraîchi la traduction du texte, lui donnant une nouvelle interprétation différente de celle de Vialatte. Dans la préface, le traducteur dit avoir été frappé
Par le fait que le Procès est fait « d’un certain nombre d’hypothèses fragmentaires ». Lortholary a également insisté sur le fait que Vialatte, dont la traduction faisait foi jusque là, n’a pas suffisamment pris en compte l’aspect comique du Procès. C’est donc à une autre relecture que Lortholary nous conviait ? Que je ne fais qu’aujourd’hui !
Depuis lors, l’encre a encore coulé à propos de ce Procès….
On ne peut lire le Procès naïvement, lorsque l’on a pris connaissance d’n certain nombre d’avis et de textes sur le sujet. On ne peut pas non plus se rappeler toutes les lectures que l’on fit et qui influencent la nôtre. On ne peut pas en faire une lecture vierge. On voudrait bien tenter de se poser des questions pragmatiques, tenter de jouer le jeu, sans oublier la portée symbolique…
On fait tout de même.
L’incipit « Il fallait qu’on eût calomnié Joseph K. car un matin, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté ».
On se demande qui est ce narrateur qui nous informe là.
Joseph K. est victime d’une « arrestation » comme nul n’en a jamais vue : deux messieurs frappent à sa porte et entrent (pourquoi n’est-ce pas fermé à clef ?) dans la chambre qu’il occupe chez sa logeuse, et le prennent au saut du lit pour lui signifier ladite arrestation ; ils ne possèdent aucun mandat d’arrêt, aucun chef d’accusation, et pas d’uniforme ( des messieurs en costume de voyage…)mais ils connaissent le nom de Joseph K. Ce dernier affecte de prendre les choses à la légère mais cette intrusion le désempare tellement qu’il se laisse manger son petit déjeuner par les intrus, ne sait plus comment s’habiller, voudrait téléphoner au procureur Hasterer( un véritable ami…) puis y renonce et ne le fera jamais.
Les deux messieurs ( les gardiens)un soi-disant lieutenant, et trois jeunes gens de la banque où il travaillent, réussissent ainsi à l’importuner. K. pense que c’est une plaisanterie mais il est décidé « à jouer la farce jusqu’au bout ».
Or, ce sera une farce tragique. Un an après jour pour jour, K. habillé de noir attendra « deux messieurs » qui l’emmèneront aux confins de la ville pour l’exécuter. « Deux acteurs de seconde zone » notera-t-il. Il ne fera rien pour se défendre, acceptera d’aller avec eux et leur facilitera la tâche.
Entre ces deux événements, Joseph K s’occupe de son affaire :
Il est appelé au téléphone pour se rendre à un interrogatoire,
Le juge se trompe sur son métier, ignore son nom, mais K. parait tout de même être attendu. Il se plaint de la justice et refuse d’être interrogé. On lui dit qu’il se prive « d’un interrogatoire ».Il fait un discours devant un auditoire en ignore la portée. La semaine suivante, il revient, au « tribunal », se trouve mal et deux employés le conduisent dehors.
Il est témoin d’une correction donnée à la banque où il travaille par « un bourreau » aux deux gardiens qui l’avaient arrêté.
Ce spectacle se répète chaque fois qu’il ouvre ce petit cabinet à la banque, d’où le fait qu’il renonce à l’ouvrir à nouveau.
Son oncle qui a appris son procès lui recommande un prétendu avocat, Maitre Huld toujours au lit et atteint d’une mystérieuse maladie. Il décrit les principales requêtes à effectuer pur le procès tout en soulignant qu’elles sont aussi nécessaires qu’inutiles.
K. se laisse distraire par Leni la jeune maîtresse de l’avocat. Il obtiendra aussi l’adresse du peintre du tribunal Titorelli. Ce dernier lui apprend que l’acquittement n’est pas possible, qu’il peut seulement faire traîner son procès. A condition de s’en occuper sans cesse.
Enfin après avoir retiré son affaire au juge, il va dans une cathédrale pour retrouver un italien, selon le directeur de la banque, il doit la lui faire visiter. C’est un prêtre qu’il rencontre et qui l’appelle par son nom : il se désigne comme l’aumônier des prisons et lui dit l’apologue « devant la loi » sorte de définition de la condition humaine qui s’achève sur une pointe : un gardien est là pour surveiller la porte de la loi afin que l’homme soit dissuadé d’y pénétrer et fer me la porte à sa mort « car cette entrée seule lui était destinée ». K. semble dégoûté d’une existence passée à attendre l’issue de son procès. Aussi, un an plus tard, il se laisse mener et décapiter par les eux messieurs qu’il attendait et arrivent curieusement bien qu’il n’ait pas été prévenu.
Joseph K est interpellé, importuné, par plusieurs personnes qui connaissent son nom, alors qu’elles n’ont aucune raison pour cela.
Il est accusé on ne saura jamais de quoi ni par qui. Les personnages rencontrés et désignés comme faisant partie du tribunal ne sont guère convaincants comme tels. On ne sait jamais de quoi on parle. K. s’en soucie de moins en moins. Il déclare plusieurs fois devoir prouver qu’il est innocent. Mais de quoi puisqu’il n’a pas vu dans les événements de sa vie ce qui était susceptible d’être litigieux, et par rapport à quoi ? Il n’est pas plus coupable qu’innocent.
Ce procès est à la fois abstrait et tout plein de détails hyperréalistes.
Nous ne voyons les choses que du point de vue de Joseph K. Lorsqu’un autre narrateur arrive il adopte le point de vue de K. Ce serait au lecteur d’interpréter et de commenter.
Les détails grotesques et ridicules étonnent de la part de K. qui est si sérieux. Les personnages n’ayant aucune consistance, aucun passé, même pas Joseph K, il faut compter cependant sur ces détails qui donnent au procès sa singularité.
Relevé de quelques détails : le tribunal siège dans des greniers irrespirables pleins de poussière , de papiers, où peu importe ce qu’on écrit, pourvu qu’on écrive (c’est l’avocat qui le dit !). Des requêtes sans objet, car on ne se préoccupe pas d’accuser de « quelque chose » ; le fait se suffit à lui-même.
Bloch l’accusé type, son alter ego, lui apprend que la vie d’un accusé est faite d’humiliations de servilité et que « le procès « remplit la vie toute entière comme une maladie grave. Le procès, c’est la vie…
Un avocat vous reçoit au lit cloué par une maladie mystérieuse, et à qui une maîtresse, sans doute mineure, apporte sa soupe devant les accusés.
Dans la salle du tribunal une femme lave du linge d’enfant dans un baquet. On dit que c’est la femme de l’huissier et c’est la femme de tout le monde au tribunal ( Leni aussi…)
Cette salle a tout d’un théâtre, mais les spectateurs sont des vieillards à barbe blanche.
Deux gardiens se font rosser dans un débarras à la banque où travaille K. Scène magique obsédante qui se produit chaque fois qu’il ouvre la porte.
Donc la justice est vraiment en dessous de tout, et Titorelli le peintre donne de l’artiste une idée caricaturale. Les femmes du tribunal sont toutes des putains (femme de l’huissier, Leni, fillettes qui ont leurs entrées chez Titorelli) le nommé Bloch donne une idée navrante de l’accusé, soumis et rampant.
Si la justice comme on la comprend fonctionnait, le peintre et l’avocat pourraient être accusés de détournement de mineures ( Leni la maîtresse de l’avocat, et les fillettes du peintre sont bien trop jeunes…).
L’aumônier des prisons seul, raconte une histoire susceptible d’intéresser Joseph K. On peut penser que c’est une mise en abîme du Procès. L’homme de la campagne, c’est lui, Joseph K. Il a rencontré « la loi » sous la forme d’un gardien qui suggère un lieu au-delà de lui, et prétend qu’il faut une autorisation pour y entrer. Le gardien fait la loi, comme les gardiens venus arrêter Joseph K lui ont dit que la loi existait, pour lui Joseph K. à compter de ce matin-là, où ces messieurs sont arrivés. Et la vie de Joseph K. sera comme celle de l’homme de la campagne, dépendante de la loi. Lorsqu’il meurt, on ferme.
La grande porte de la loi est toujours ouverte
Cette entrée t’était seule destinée.
Entrer dans la loi serait donc la seule chose susceptible de donner un sens à la vie ? Mais entrer dans la loi, c’est inimaginable, parce que la loi n’est pas localisée quelque part. Aussi l’homme ne voit-il que son représentant ( le gardien) et une vague lumière au-delà. Si on ajoute foi à la parole du gardien, on se tient devant comme devant un objet sacré à contempler, et on attend, sachant que rien n’arrivera que la mort, au bout d’un certain temps.
Si l’on s’irrite de rester devant un gardien, que l’on ne trouve pas cette contemplation satisfaisante, on se dit : celui-là qui pose un interdit, une limite à ne pas franchir, c’est un baratin bien connu, mais pas suffisant, car pourquoi serait-il interdit d’entrer ?
Les interdictions d’entrer se font par rapport à des lieux concrets. Donc cela ne vaut pas pour « la loi ». Pour se rendre compte de ce qui est au-delà, il faudrait vérifier qu’il y a quelque chose, il faudrait s’en prendre à ce gardien. C’est le seul obstacle visible.
En ce qui concerne Joseph K., il n’imagine pas s’en prendre au gardien, et ne veut pas attendre la mort, sans autre forme de procès que celui présenté par Bloch et le prêtre.
Il opte pour une fin précipitée.
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