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27 octobre 2006 5 27 /10 /octobre /2006 10:47

Chant de mort.

 

La Fortune aux larges ailes, la fortune par erreur m’ayant emporté avec les autres vers son pays joyeux, tout à coup, mais tout à coup, comme je respirais enfin heureux, d’infinis petis pétards dans l’atmosphère me dynamitèrent et puis des couteaux jaillissant de partout me lardèrent de coups, si bien que je retombai sur le sol dur de ma patrie, à tout jamais la mienne maintenant.

La Fortune aux ailes de paille, la fortune m’ayant élevé pour un instant au-dessus des angoisses et des gémissements, un groupe formé de mille, caché à la faveur de ma distraction dans la poussière d’une haute montagne, un groupe fait à la lutte à mort depuis toujours, tout à coup nous étant tombé dessus comme un bolide , je retombai sur le sol dur de mon passé, à tout jamais présent maintenant.

La Fortune encore une fois, la fortune aux draps frais m’ayant recueilli avec douceur, comme je souriais à tous autour de moi, distribuant tout ce que je possédais, tout à coup, pris par on ne sait quoi venu par en dessous et par derrière, tout à-coup, comme une poulie qui se décroche, je basculai, ce fut un saut immense, et je retombai sur le sol dur de mon destin, destin à tout jamais le mien maintenant.

La Fortune , encore une fois, la fortune à la langue d’huile, ayant lavé mes blessures, la fortune comme un cheveu qu’on prend et qu’on tresserait avec les siens, m’ayant pris et m’ayant uni indissolublement à elle, tout à coup, comme déjà je trempais dans la joie, tout à coup la Mort vint et dit : « il est temps. Viens. » La Mort, à tout jamais la Mort maintenant

 

 

Henri Michaux «  Lointain intérieur : difficultés ». (1930).

 

 

C’est en 1938 que Henri Michaux fait paraître pour la première fois «  Lointains intérieurs » que termine « Un certain Plume » l’histoire chaplinesque en treize récits d’un personnage clé dont les aventures étranges tragiques et dérisoires sont symboliques des parcours de l’écriture et du désarroi de l’être au monde.

Ces récits d’humour noir sont ce qu’on connaît le mieux de son œuvre.

 

Le recueil comprend en outre, « Entre centre et absence »  «  La Ralentie » «  Animaux fantastiques «  « l’Insoumis » et « Je vous écris d’un pays lointain »  séries de séquences en prose poétique où le poète  s’introspecte  à l’aide de récits imaginaires. 

La seconde partie « Poèmes »  comprend treize compositions qui sont plus proche du vers libre que de la prose poétique. le poète en découd avec l’angoisse en phrases précises et rythmes dodelinés.

 

« Difficultés » est la troisième partie constituée d’autoportraits (Le Portrait d’A.)

 

«  Le défaut d’être qu’il éprouve conduit Henri Michaux à n’apparaître que multiple et éparpillé, quoique souvent campé avec violence par sa révolte intime. Nulle certitude centrale, hormis celle de sa faiblesse ou de l’insoumission, nul appui, mais le vertige et la chute en de « successifs abîmes » intérieurs… Michaux s’effondre sans cesse en lui-même ». (Jean-Michel Maulpoix : « Michaux, passager clandestin » Champ Vallon)

 

 Voir Poezibao  le site de Florence Trocmé et rechercher Michaux pour en savoir plus. 

 

Unique en son genre, Henri Michaux (1899-1984) se situe tout de même dans une sorte de tradition, celle de Rimbaud et surtout Lautréamont «  Vous mes copains Ruysbroek et toi Lautréamont qui ne te prenait pas pour trois fois zéro… » .

 C’est la lecture des « Chants de Maldoror«  qui le décide à écrire en 1922. Il est pris par l’énergie qui se dégage de ce texte, l’affirmation,  non de soi mais d’une « conscience », qui résiste par le langage et dont la violence est plus satisfaisante que les langueurs mélancoliques des poètes qui ont exprimé le mal du siècle.

Ruysbroek traduit son attirance pour le mysticisme.

 

Henri Michaux est aussi héritier du surréalisme ; il en a le penchant pour la rupture, la libre association, mais aucune inclinaison pour l’esprit de groupe.  D’après ses textes, le  monde est une somme de conspirations, de machinations pleines d’hostilités  et l’humour poétique naît  d’une prise de conscience qu’il faut lutter contre cette animosité, et  d’une somme de petits combats remportés   sur l'inimitié  grâce à  l’arme du langage.

Poésie agressive dans la mesure où le monde est attaqué comme par un acide, par le langage qui le nomme pour l’exorciser. Cette poésie est aussi faite d’humour noir et lyrique ; le célèbre «  Contre » ( In « la Nuit remue ») qui est  un manifeste  poétique de «  Contre création » veut être une affirmation de la rupture de l’esprit à ce qui le menace, et de même une approbation  à tout ce qui le « sauve » (mais pour HM il n’y a pas de salut) amis d’éphémères moment de grâce.

«  Je mes suis uni à la nuit à la nuit sans limite ». (In Poèmes)

 

« Difficultés » rassemble  7 récits de  prose poétique (1930) « Le Portrait de A. » qui l’ouvre, est une sorte d’autobiographie à la troisième personne d’un être qui se conçoit comme une espèce de boule imparfaite. Ce n’est pas exactement la vie d’un être mais celle de l’humanité puisque « il » devient « nous » : «  La chute de l’homme est notre histoire …notre histoire est notre explication ». Et aussi «  A. : l’homme après la chute ».  

Les deux textes suivants « La Nuit des embarras » et « La Nuit des disparitions » font l’amalgame de toutes sortes d’objets et de situations à priori saugrenues qui empêchent l’homme de se trouver une unité et une cohérence dans le chaos de l’existence. D’autres textes de la même section reprennent le texte de l’existence chaotique et entravée (« Naissance » , une  mise au monde  sans cesse recommencée et avortée) «  Destinée » aussi : bien des textes ressemblent à des corps morcelés où les constantes poétiques ( répétitions, allitérations) se trouvent sans cesse bousculées et mises à mal par d’étranges interventions.

 

« Chant de mort » nous y voilà ! se distingue de ces sept textes : à priori il est  le plus satisfaisant: il ressemble davantage à un poème en prose ; sa forme est simple et plus enlevée avec ses quatre longues phrases souples , progressant à l’aide de nombreuses virgules, et   qui reprennent chacune le même départ «  La Fortune + complément attribut et se termine par une chute ( le sol dur, ) et des locutions adverbiales qui reviennent «  à tout jamais » ; «  maintenant » .  Les quatre phrases se développent de façon identiques : un moment de bonheur prévu dès le départ ironiquement éphémère (« par erreur » ; « pour un instant ») se trouve contré par un obstacle d’une forte hostilité ( pétard, couteaux, groupe armé) ou par un accident ( décrochement,), provoque la chute.   Chaque phrase s’élève avec une grâce ( dont peut-être l’auteur n’est pas coutumier) parce que la fortune a des ailes au moins dans les premières phrases ce qui est conforme à une tradition mythologique,(encore que « la fortune aux ailes de paille »n’élève pas si on la considère dans le détail)et que  ces ailes nous préparent à des attributs plus curieux : « aux draps frais » incite au sommeil aux songes et aux illusions le décochement qui se produit incite à penser que l’infortuné narrateur est tombé du lit. 

La fortune  « comme un cheveu qu’on prend et qu’on  tresserait avec les siens 

 m’ayant pris et indissolublement uni à elle » cette comparaison entraîne l’évocation d’une Parque ou d’une Moire : ces divinités filent le destin ; l’une d’elle représente la Mort.

La fortune n’est  pas toujours bonne, à la quatrième reprise, c’est elle-même qui mène  

à la Mort répétée trois fois et majuscule. De  la première phrase à la dernière nous voyons la fortune de devenir progressivement suspecte ; dès le début de l’ultime phase «  la langue d’huile » ne cesse d’inquiéter même si elle  mène tout en douceur vers la fin.

C’est un poème fortement ironique, dont la forme classique, élégante et le trait peu forcé  se rassemblent pour un équilibre que Michaux approuve peu, même s’il y cède : dans sa postface au lecteur il s’insurge contre l’équilibre la synthèse, parle de la » foule qui est en lui » du « monde » dont il est constitué, insiste sur l’éparpillement.

 

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