Points Seuil, 1993, 236 pages.
Il a paru en 1878, c’est l’un des premiers romans d’Henry James, alors âgé de trente-cinq ans.
L’auteur met en place certaines des constantes de son œuvre : l’opposition entre Nouveau et Ancien monde, les problèmes d’argent et d’ascension sociale.
Frère et sœur, Félix et Eugénie viennent d’arriver à Boston. Américains, ayant toujours vécu en Europe, ils découvrent ce continent pour la première fois.
Sans fortune, Eugénie a dû contracter un mariage « morganatique » en Allemagne. Cela signifie qu’elle a épousé un prince, n’ayant pas elle-même d’origine noble.
Par ailleurs, on soupçonne aussi qu’elle n’est pas mariée légalement, puisque ledit prince veut la répudier. En tous cas, elle a fui cette situation sans issue.
Félix, son jeune frère d’un heureux caractère (comme l’indique son prénom) se définit comme un aventurier ; il a été comédien, chanteur, et maintenant dessinateur, et vit de petits jobs depuis toujours.
Leurs situations précaires les ont amenés à se souvenir de leurs riches cousins américains, dont ils espèrent tirer quelque bonne fortune. Eugénie, déjà 33 ans, pourrait se remarier correctement…
Les Wentworth vivent en banlieue.
Nous sommes au dix-neuvième siècle et ces banlieues rupines du Massachussetts sont fort agréables à Félix, un peu moins à Eugénie, qui depuis le début du récit se déplaît fort ici.
Il n’est pas facile de se présenter chez des cousins que l’on n’a jamais vus, avec des arrières pensées intéressées, et de prétendre avoir seulement envie de les connaître, sans pouvoir réellement celer qu’on est économiquement faible, comparé à eux.
Les Wentworth sont une famille austère.Ils fréquentent l’église assidûment ,n’ont guère d’imagination et vivent tristement une routine ennuyeuse. La jeune fille sur laquelle Félix a jeté son dévolu, est promise à un pasteur plutôt coincé.
Habiles, charmants, aptes aux intrigues, Eugénie et Félix s’invitent, se font héberger, courtisent et se font courtiser.
Eugénie va se faire appeler « la Baronne de Münster », et composer un personnage mystérieux, plein de bizarreries. A l’opposé, Félix adopte une spontanéité déjà presque américaine, et annonce pour tout métier «amateur », mot qui va faire effet auprès des Wentworth.
« Je n’ai jamais étudié ; je n’ai pas de formation. Je fais un peu de tout, mais rien de bien . je ne suis qu’un amateur ».
Cela faisait encore plus de plaisir à Gertrude de penser qu’il était un amateur que de penser qu’il était un artiste ; le premier offrait à son imagination des associations encore plus subtiles… Mr Wentworth, lui, l’employait abondamment, car, bien qu’il ne lui fût à vrai dire pas très habituel, il le trouvait commode pour aider à situer Félix qui, jeune homme extrêmement intelligent, actif, apparemment honorable, et cependant sans profession définie, constituait un phénomène gênant. »
Il ne cache pas son passé aventurier « bohème , et pierre qui roule » sachant l’impact que ces mots peuvent avoir sur une jeune fille élevée avec des principes, mais qui s’ennuie est et prête à la romance. Eugénie elle aussi, tente de faire le siège d’un cousin, puis d’un autre…
les caractères que James prête à cette famille américaine ( naïveté, générosité, ignorance des usages, repli sur soi , puritanisme ) ne les empêchent pas de loger leurs cousins européens, et de les écouter en dépit de leur méfiance. De nos jours, la connaissance du vaste monde leur aurait moins fait défaut et leur sens de l’hospitalité en eût été amoindri.
Lorsque j’ai lu Daisy Miller ou Les Ailes de la colombe, les portraits des américains tels que les voit Henry James m’ont paru vraisemblables, et ceux-là un peu moins !
Le séjour d’Eugénie et Félix près de Boston, leurs marivaudages incessants, ne manquent pas d’intérêt. Il y a beaucoup de parties dialoguées, avec de courtes répliques, bien plus que je n’en ai relevées dans mes précédentes lectures de l’auteur. Des métaphores amusantes et inédites, et des situations cocasses le récit n’en manque pas, mais il n’est pas tout rose, loin de là !
L’ensemble est une lecture agréable, sans être aussi intéressant que mes précédentes lectures de James.