Métailié, 2009, 208 pages.
Dans un pays abîmé et muselé par une dictature, une jeune femme prend le tramway, qui va la conduire au lieu de sa convocation. Convoquée, elle l’est au moins tous les deux jours. Là ba l’attend le commandant Ablu qui valui faire subir un insupportable baisemain, s’arrangeant pour lui blesser les doitgs et les couvrir d’une sordide salive. Ensuite ce sera l’interrogatoire toujours les mêmes questions, toujours les mêmes réponses, toujours la même angoisse.
Reviendra-t-elle chez elle ce soir ? Ablu ira-t-il plus loin dans la persécution ?
Pendant le trajet, elle se remémore son passé ancien et récent, et observe les passagers du tramway. Des scènes minuscules prennent de l’importance, le conducteur qui mange un bretzel, une vieille dame qui s’impatiente, un homme avec un petit garçon, une femme qui mange des cerises, des hirondelles dans le ciel. La narratrice lutte jour après jour, pour ne pas s’effondrer psychologiquement, pour jouir de quelques petits agréments "son bonheur bancal". Cette résistance est sa fierté, et une raison de vivre.
En se remémorant le passé, elle nous apprend pourquoi elle est ainsi convoquée. Empployée dans une usine de confection, elle a plusieurs fois glissé dans la doublure de pantalons masculins des petits messages de détresse s’adressant à l’homme qui porterait le vêtement et y laissant ses coordonnées… la narratrice a-t-elle vraiment cru qu’un italien viendrait ainsi la délivrer ? En de certaines circonstances, on jette des bouteilles à la mer.
Son geste découverts, elle a eu beaucoup d’ennuis, chantage sexuel de la part du chef de rayon, accusations diverses, renvoi de l’usine, pour en venir à ces convocations.
Dans ce que nous supposons être la Roumanie de Ceausescu, nombreux sont les gens qui ont tenté quelque chose d’interdit, soit pour améliorer leur existence misérable, soit pour quitter clandestinement le pays, et dans l’entourage de la narratrice, ils l’ont chèrement payé…. La jeune femme vit avec Paul, ouvrier dénoncé, renvoyé d’une usine pour avoir volé du matériel qu’il revendait. Elle se remémore Lilli son amie de toujours, une belle femme qui voulait vivre, abattue en train de passer la frontière avec un homme. Le corps de Lilli morte, comme un tapis d'étranges coquelicots arrachés.
Les récits de son grand-père, déporté dans un camp, sur ordre d’un chef zélé« le communiste parfumé au cheval blanc », un personnage sinistre que je vous recommande. La narratrice s’est rendue ,le jour de son , que son beau-père serait cet individu, son grand-père l'ayant reconnu à la fête…
Il y aura bien d’autres remémorations de fêtes ratées, et de moments durs : on découvre aussi une population en proie à la malnutrition( les dictateurs affament les gens pour les affaiblir), la nourriture a beaucoup d’importance : elle a un goût affreux et si vous n’avez pas une légère nausée après tout ce que la narratrice se rappelle comme festin, vous aurez de la chance ; pourtant on est avide de ces produits avariés. Le moyen de faire autrement ? les hommes se saoulent et ça compte beaucoup pour tenir.
On vit la dictature au jour le jour et sans fioritures, chaque scène débute avec un détail trivial, sordide parfois, ou banal, qui se révèle petit à petit recouvrir une situation particulière souvent terrible.
Cette façon de présenter les choses est originale et efficace. Elle nous fait réellement plonger dans un quotidien particulièrement horrible.
Un style vraiment personnel, et un grand livre.
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