Mon front est bref, les cheveux plantés bas .
De profil, ce front-là disparaît encore davantage. Je déplore une sorte d'écrasement, le nez aplati dans le dessin de la lèvre supérieure, l'œil à peine visible sous la proéminence de l'arcade sourcilière et le sourcil charbonneux qui donne l'impression du maquillage, ambiguïté fort mal venue. Pour finir, j’ai un menton qui fuit lourdement.
De face, mon nez s’épate. Sans que ce soit vraiment saugrenu, c'est grossier. Les yeux n’expriment rien. Une sorte de bleu-vert marécageux dépare l’iris. Ma. bouche est un peu large et charnue mais le dessin en est correct. J’ai une mâchoire forte, mais non exempte de mollesse, parce que le cou tourne court. La forme de mon visage hésite entre le sphérique et la quadrature. Les traits sont dans l'ensemble réguliers mais le détail, terne, voire rustre et vil, n'appelle pas le commentaire et ne retient pas l'attention.
Ah! Si je pouvais arborer un pli amer et désenchanté, un air blessé et orgueilleux, une certaine fermeté , de la morgue... Si seulement j’étais pâle comme un linceul, mais le rose vient trop souvent colorer mes pommettes. Mes cheveux bruns et bouclés assez abondants pourraient être un atout mais ils renforcent la flaccidité et l'aspect rudimentaire des traits alors qu'ils auraient adouci à merveille une authentique physionomie avec un rien de subtilité.
Ah, avoir un Visage... Pourquoi pas une "gueule " comme on dit.
Je dois me méfier de mon sourire qui m’arrondit les joues et me donne un air de bonne santé un peu niais. Et le rire, déformation traîtresse, accentue la grossièreté de l'ensemble.
Si je veux m'élever au-dessus de mon statut social et culturel et mettre fin aux malentendus qui me valent le plus souvent la compagnie des fâcheux de tous poils, si je veux un jour intéresser d'autres filles que de simples grisettes, il me faut que je me crée une aptitude à l'expressivité, au geste subtil et à la figuration .
Pour le corps je ne suis décidément pas grand, sans être petit, aucun moyen de sortir de l'ordinaire. Ma morphologie me paraît assez débile :l'ossature est mince, la carrure moyenne mais les épaules tombantes. la poitrine n’a guère d’amplitude, la taille est marquée certes mais le buste trop court par rapport aux jambes.
Mon sexe n'est pas aussi grand que la moyenne ( nationale? Européenne? Mondiale?). Je le sais depuis que j’air lu la réponse d'un docteur X à la question d'une lectrice dans le magazine des Djeuns. La lectrice se plaignait avec une fierté ostentatoire des douloureux labourages de son ami, et apprenait que les pénis en érection mesuraient en moyenne entre quatorze et dix-huit centimètres.
Quatorze-dix-huit. C'était de très mauvais goût.
D'ailleurs je n'obtiens que douze ; c'est aussi ma moyenne de classe. Impossible faire mieux, inutile peut-être... et pourtant ce qui me cause du tort, ce n'est pas le sexe, car les possibilités expressives du membre viril se limitent pour tous à un changement de forme et de malléabilité qui ne varient guère d'un individu à l'autre. Pourquoi en faire toute une histoire?
Ce que j’ai réussi à faire pour éviter de ne montrer que des sensations primaires de bonne santé et de satisfaction animale, se résume à l'adoption d'un air chagrin plus ou moins marqué. Je souffre, au vrai, d'un manque total d'ambivalence. J’ai bientôt dix-sept ans, ce doit être un peu moins du cinquième de mon existence si j’atteins l'âge de mon grand-père lequel a économisé une douzaine d'année déjà sur l'espérance moyenne de vie.