Le roman se présente comme la biographie du père de l’auteur, que l’on connaîtra sous le nom d’Abbas Khemiri.
Le héros est né en Algérie dans les années 50, et a vécu en Tunisie, rencontré Pernilla, une suédoise, émigré à Stockholm, et vécu une existence de travailleur immigré, père de famille, mal intégré, rêvant de devenir photographe comme Robert Capa ou Robert Frank, et s’y préparant avec obstination, tâche qu’il fait partager à son fils Jonas. La seconde partie sera consacrée au conflit père / fils, que Kadir pourrait éventuellement atténuer.
Le récit, ce sont deux voix principales : Jonas fils d’Abbas, et Kadir « le plus vieil ami de ton père ». Le prologue fortement ironique à propos de son père ce héros, est de Jonas, et l’épilogue, fort contrarié, de Kadir. Le récit, c’est aussi, accessoirement, quelques lettres d’Abbas traduites par Kadir, donc un troisième narrateur, qui parle à peu près comme Kadir.
Le contraste entre ces deux voix nous est agréable : Kadir s’exprime dans un suédois mâtiné d’arabe, rempli de métaphores inédites et d’inexactitudes linguistiques qui sont autant d’inventions.
« Ne sois pas un péage sur la large autoroute que l’on appelle amour »
« Je me suis promené le long de ma vie comme on se promène le long d’un corridor fraîchement coloré »
Jonas s’exprime à la deuxième personne du singulier et nomme son père « les papas », écrit un langage plus vif, au débit plus rapide, violent, avec de l’ironie, (quand Kadir préfère largement l’humour…). Tout cela pour exprimer le désarroi d’un petit garçon qui se rend compte, en fréquentant l’école, que son père est très différent des autres : tempérament méditerranéen, expansif, bavard, bruyant, qui parle un suédois si étrange que Jonas l’appelle « le Khémirois , une langue qui mélange toutes les langues, une langue où il y a de tout, des semi-voyelles et des noms propres composés… une langue faite de gros mots arabes d’interrogatifs espagnols, de déclarations d’amour françaises, de citations de photographes anglaises et de jeux de mots suédois. Une langue où le « g » et le « h » grommèlent tout bas dans le ventre… »
Les emails de Kadir sont très variés, exhortations pour que Jonas s’attelle à la biographie de son père, souvenirs de l’enfance et du jeune âge de Kadir et Abbas en Tunisie, des conseils pour l’écriture du futur roman de Jonas, et des textes que Kadir veut voir figurer tels quels dans ce récit :
« Écris ceci : « A Jendouba, se trouvaient des immans et des figues, des femmes moustachues et du houx, des bœufs fatigués et des tempêtes désertiques régulières… »
Le texte voulu par Kadir apparaît donc dans le récit final, mais l’injonction n’est pas supprimée, ce qui produit sur le lecteur divers effets (comiques surtout…).
Les deux biographes se contredisent, s’accusant mutuellement et avec impétuosité, d’exagérer, voire de mentir, et ce que nous avons comme récit terminé, est également un échange de propos conflictuel, et un récit en construction, dont l’exactitude ( « la vérité de la réalité » dit Kadir) est loin d’être avérée.
Au final, une œuvre vraiment intéressante, beaucoup d’habileté dans la construction, un récit dynamique et dense, des propos truculents, une lecture qui semble facile à première vue, mais est plus complexe qu’il n’y paraît.
Un livre conseillé par Keisha, et que j’avais aussitôt noté….
Et le tigre, le tigre du titre ??? Eh bien, non, je ne me souviens d’aucun tigre. Les animaux qui jouent un rôle dans l’histoire (et pas des moindres) sont des chiens. Le tigre, je ne vois pas… j’ai dû rater quelque chose!
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