Philippe Rey, 2009, 378 pages.
(Black Girl, White Girl, 2006.)
A la rentrée 1974, Genna Meade intègre le Schuyller College pour y débuter ses études supérieures. Cette université a été fondée par une ancêtre de sa lignée paternelle dans l’intention d’y cultiver un harmonieux mélange des races. Genna espère y trouver ses repères. Le foyer familial qu’elle a connu était confus et instable : son père, activiste gauchiste se voue à des causes généreuses, mais verse dans la délinquance, et il est toujours en fuite. Sa mère est de mœurs très libérales. La maison était envahie en permanence par des amis squatters, drogués, fêtards, hippies… on suppose « que le FBI les espionne » .
Au contraire de Genna, sa camarade de chambre, Minette, vient d’une famille hyper conservatrice son père est pasteur, sa mère à la maison. Elle est croyante et très pratiquante, lit la Bible et prie. Peu fortunée, alors que Genna a toujours eu de l’argent.
L’autre différence, annoncée dans le titre c’est que Genna est blanche, et Minette noire.
Deux jeunes filles que tout oppose, et qui pourtant ont un point commun, la dépendance mortifère à leurs pères respectifs. Minette se récite la Bible toute la journée, Genna se récite le catéchisme du militant révolutionnaire, voulant être à la hauteur des idéaux de son père, dont elle ignore les dérapages.
Genna voudrait être l’amie de Minette. Et de toute sa famille, si différente de la sienne. C’est même chez elle une obsession. Or Minette la tient à l’écart, s’aperçoit à peine de sa présence, pas plus que de celle des autres filles, parmi lesquelles d’autres jeunes noires, apparemment plus sociables que Minette. Laquelle n’est guère aimée. Genna ayant remarqué les difficultés de sa camarade, se consacre à sa protection.
Quelques temps après son arrivée, Minette remarque un carreau fêlé à la fenêtre, devant son bureau. Cela pourrait être la tempête qui a sévi hier. Mais pour Minette, manifestement il s’agit d’un acte malveillant qui la vise. D’autres suivront : on a déchiré son anthologie de littérature, volé un de ses gants, puis se commettent des actes à connotation ouvertement raciste. Là encore, Genna intervient pour « protéger » Minette, contre son gré semble-t-il.
Minette est persécutée : qui peut lui en vouloir ? Pourquoi les autres jeunes filles noires ne se plaignent-t-elles de rien ?
Le roman ne donne pas toutes les réponses. Chacun interprète à sa façon.
Nous avons là un huis-clos entre deux jeunes femmes, comme dans « Solstices », dont l’une fragile psychologiquement, est fascinée par l’autre, qui souffre d’une pathologie différente.
Ici, par la voix de Genna, revenant sur son passé, quinze ans plus tard, Oates réussit un portrait bouleversant de Minette, jeune étudiante noire, inadaptée, perdue dans un monde hostile, que sa situation incline à s’identifier à ses ancêtres réduits en esclavage, et de sa descente aux enfers sous le regard impuissant de sa camarade qui peut-être ne fait qu’aggraver les choses… L’agitation bien-pensante autour de Minette et des persécutions racistes dont elle se plaint, sont dénoncées avec vigueur comme des manifestations de vaine bonne conscience.
On regrette toutefois que la défense des droits de l’homme, le socialisme, la justice sociale, soient représentés dans ce roman par des êtres aussi irresponsables que les parents de Genna !
Genna dont l’existence, vouée à la personne de son père, son travail qui ne témoigne pas non plus d’un choix personnel, nous navre presque autant que la tragédie de Minette.
Malgré ses grandes qualités, encore un roman très pessimiste !