Minuit, 2000
Mathilde retourne dans une ferme abandonnée sur les lieux de son enfance et adolescence, pour tirer au clair un drame qui s’y est joué, et dont on n’a jamais parlé qu’à mots couverts, que l’on n’a jamais commenté. Il s’agit d’une sale histoire.
Il y avait trois sœurs : Léa, cultivée, mélomane, a reçu de l’éducation. Camille, effacée, boude tous les jours, et Lisa, pie jacassante et haineuse, assure la conversation. Les deux dernières ne sont pas du même père que Léa mais ne veulent pas qu’on en parle.
A la mort des parents, elles se retrouvent ruinées dans un grand domaine impossible à faire fructifier.
Léa fréquente secrètement Léonce, un jeune homme cultivée comme elle. Le secret leur plaît, mais le mariage est pour bientôt. La même Léa qui semble tout commander à la maison, « arrange » un mariage entre Thomas le fils des métayers et Camille, sa sœur. Thomas a toujours jalousé cette famille de propriétaires. Il aime bien la ferme et pense que l’on pourrait tirer quelque chose de ce bâtiment et de ses dépendances. Il croit aussi et surtout que les propriétaires ont de l’argent.
Il se fait avoir, s’endette, remet malgré tout la ferme sur pieds, et se venge en courtisant Lisa et délaissant Camille. Il essaie même de pervertir Mathilde, progéniture de Léonce …et Lisa. Car Léonce a fréquenté Lisa pour s’amuser et l’a mise enceinte. Tandis que Léa crève de haine, et devient la vieille fille au piano.
Léonce est malheureux en ménage, et ne sait comment aimer Mathilde avec qui il parlait des grandes choses de la vie ; Lisa est jalouse de la complicité père fille. Puis le drame se produit…
L’histoire est racontée ne une vingtaine de chapitres, courts, monologues de quelques pages. Mathilde, Thomas, Léa, Camille, Lisa, Léonce s’y expriment à tout de rôle, trois ou quatre fois chacun.
Passé et présent se mêlent dans la tête des narrateurs. Si chacun raconte bien l’histoire de son point de vue, il n’y a pas pour autant de « voix » différentes. Des façons de dire , des rythmes, phrases, vocabulaires, propres à chacun, il y en a un peu, mais pas suffisamment. C’est d’ailleurs très difficile à obtenir….
Non-dit ; un thème important. Gisèle Fournier ose parler de choses apparemment démodées tels que les mariages arrangés, forcés ( ça n’arrive pas que dans les « populations immigrées ») où ça n’arrange rien du tout, du conjoint qui voudrait partir et n’y réussit jamais ( Camille n’a pas de métier), de la jalousie dans le couple, de l’enfant qu’on ne désirait pas, d’un temps où l’on ne choisit pas. Elle ose parler d’argent, d’ambition, de classe sociale, de différences culturelles rendant la compréhension impossible au sein d’une même fratrie.
Bourdieu disait : « ce qui est obscène, ce n’est plus de parler du sexe, c’est de parler du social » .L’un dépend de l’autre, on le voit ici.
Et ce récit, intelligent, attachant, lucide et écrit de façon très classique, est tout de même publié aux éditions de Minuit.
commenter cet article …