Folio, 2011 1ere publication 1997
145 pages.
A partir d’une annonce de disparition lue dans un vieux journal du 31 décembre 1941, L’auteur se met en quête de la jeune fille dont il était question, Dora Bruder, âgée de quinze ans au moment de ce qu’il identifiera comme une fugue.
Ses parents étaient des juifs immigrés d’Autriche et de Hongrie et tous trois vivaient dans une chambre d’hôtel du boulevard d’Ornano.
Au cours de son enquête complexe, pour laquelle il reçut l’aide du grand avocat Serge Klarsfeld, L’auteur identifie peu à peu Dora Bruder , l’invente comme un personnage, la réinvente plutôt, puisqu’elle a existé.
Outre ses mêmes origines juives, il se découvre des affinités avec Dora Bruder ( ce patronyme signifie « frère ») d’autant plus que le quartier de Clignancourt, où elle a vécu lui rappelle bien des souvenirs. Etant enfant, il s’y rendait avec sa mère.
« je me souviens du boulevard Barbès et du boulevard d’Ornano déserts, un dimanche après-midi de soleil, en mai 1858. A chaque carrefour, des groupes de gardes mobiles, à cause des événements d’Algérie. »
Rue Championnet. 1965. « je n’étais rien, je me confondais avec ce crépuscule, ces rues ».
Ce que j’ai pu attendre dans ces cafés… très tôt le matin quand il faisait nuit. En fin d’après-midi à la tombée de la nuit. Plus tard, à l’heure de la fermeture …
Les hivers se mêlent l’un à l’autre. Celui de 1965 et celui de 1942.
Petit à petit, on apprend que Dora fréquentait un établissement pour jeunes filles, rue Picpus ( Le Cœur de Marie), qu’elle s’en est enfuie, et a disparu quelques mois avant d’être victime avec ses parents des rafles nazies.
L’auteur ayant lui aussi fugué d’un internat à l’âge de dix ans trouve de nouvelles coïncidences entre Dora et lui.
« la fugue-paraît-il- est un appel au secours et quelquefois une forme de suicide. Vous éprouvez quand même un bref sentiment d’éternité. Vous n’avez pas seulement tranché les liens avec le monde mais aussi avec le temps. »
De très belles phrases poétiques sur l’extase de la fugue.
La fugue de Dora ayant duré plusieurs mois, en plein hiver, rigoureux, elle a dû être hébergée quelque part ; à mots couverts, il lui souhaite d’avoir pris du bon temps (le peu qu’elle pouvait en obtenir en ce temps-là).
Nous sommes dans le Paris de l’Occupation, et la situation des juifs y devient de plus en plus intenable. » Cette ville de décembre1941, son couvre-feu, ses soldats, sa police, tout lui était hostile et voulait sa perte. A seize ans, elle avait le monde entier contre elle, sans qu’elle sache pourquoi ».
Le narrateur ne se contente pas d’accompagner la jeune fille, dans la plupart de faits et gestes, devinés, supposés, inventés ; il l’associe également à quelques célèbres figures de la littérature telle Cosette, cachée par Jean Valjean dans ce quartier de Picpus, dont Hugo invente quelques rues et un couvent.
A partir de récits divers, il étoffe son héroïne, et ce destin, tout en préservant pour tous les personnages (lui-même y compris) une certaine impersonnalité qui se mêle aussi à des scènes très familières et souvent déchirantes.
Un ensemble d’une grande beauté ! C’était ma première lecture de Modiano. Il me semble pourtant le connaître depuis longtemps.
Nous voilà au cœur de l’hiver, soixante dix ans après que Dora Bruder ait disparu (j’ignorerais toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait…) franchissons l’année nouvelle…
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