Texte de 1977, lu en 1988, relu à présent.
L’écrivain narre la vie de sa mère, utilisant le pronom « on » pour la désigner, sans ironie, car il s’agit d’une histoire tragique. « On » c’est pour signifier son peu d’identité. Ensuite, ce sera « elle » lorsqu’il aborde cette période de sa vie où elle commence à travailler moins, à avoir du temps libre.
C’est de devenir elle-même qu’elle périra, lorsque son individualité commencera à la gêner.
Handke hésite entre les « formules frappantes » , le récit documentaire neutre , des descriptions d’instantanés, et la narration linéaire, se demandant comment l’écrire, cette vie qui s’achève par un suicide , et que, six ou huit mois après, il va s’employer à retracer.
Inutile de se plaindre que je « spoile ». Handke annonce d’emblée l’issue fatale.
La vie de cette femme fut tristement banale..
Je me souviens dans »la femme gauchère » du personnage de femme traductrice d’ »un cœur simple » de Flaubert. La mère d’Handke, telle qu’il l’a pressentie, ressemble à cette Félicité qui avait ému la femme libre qu’était la traductrice.
Le personnage de la traductrice jouissait d’une liberté dans le couple, pouvait exprimer une agressivité contenue, avait une aptitude à gérer les conflits, le droit de quitter son conjoint lorsque cela n’allait plus, sans provoquer de catastrophe, ni cesser toute relation avec son « ex ».
La mère de Peter Handke n’a rien connu de tout cela. Elle fut la victime du sort épouvantable réservé aux femmes dans les milieux modestes, en l’occurrence celui des cultivateurs pauvres, et des petits propriétaires en Autriche, au début du siècle. Elle a feint de supporter son sort, sans oublier ses désirs, autres que ceux de ses consœurs , et que, probablement, elle retrouva intacts et non réalisables à la fin de sa vie.
L’auteur fut son fils naturel, et elle dut épouser un autre homme, dur, alcoolique, et avoir d’autres enfants. De cette place de fils naturel qu’il occupe, l’auteur peut se rendre compte à quel point cette vie de famille fut inauthentique.
Ce n’est pas seulement que le monde ait été indifférent ( gleichgültig ?) à cette femme, c’est qu’elle est devenue indifférente à elle-même, et habituée à tenir le faux-semblant pour le vrai. Lorsque les contraintes auxquelles elle se soumettait, le semblant qu’elle assumait, n’ont plus eu lieu d’être, il ne lui est rien resté.
Peter Handke n’est pas à ce moment là ennemi de l’indifférence. Impersonnalité, et indifférence à soi, sont présentes dans son œuvre. Il y cherche non seulement une écriture, mais une éthique. Plus tard, ce sera seulement une mise à distance.
Ici, il se demande comment supporter cette approche de la vérité à travers un cas négatif. Une vérité qui ne mène à aucune découverte réelle. Ce livre n’explique pas le suicide de sa mère. Il suggère seulement des hypothèses. Dont la principale : elle a voulu garder( ou acquérir) sa dignité en se suicidant.
Surpris et éprouvé par cette mort, il n’ignorait pourtant pas qu’elle fût possible. Sa mère lui en avait déjà parlé.
La littérature autrichienne a beaucoup souffert aussi, pareillement écrasée, venue tard au monde, souvent confinée à la description de paysages de montagne. Tenue pour médiocre par l’Allemagne, elle engendre des écrivains révoltés privés d’expression, qui deviennent écrivains dans le dépouillement comme l’auteur lui-même.
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