LP, 1997.
1er publication Gallimar ( L’Infini) Prix Femina.397 pages.
Cette histoire pourrait figurer dans le livre de Ginette Raimbault « Lorsque l’enfant disparaît » où elle évoque les cas de plusieurs familles , personnes célèbres ou non, ayant perdu au moins un enfant, et écrit ensuite à propos de cette perte.
D’ailleurs Philipe Forest écrit lui-même à propos de Victor Hugo et Mallarmé et de leurs deuils respectifs, façon de se mettre sur les rangs des écrivains endeuillés de cette façon particulière, si douloureuse. Le titre de son récit est tiré du « Tombeau d’Anatole » de Mallarmé, essayant lui aussi d'ancrer la disparition de son petit garçon dans la littérature, dans un espace fictif où l'enfant trouve une place.
Cette éternité de l’enfant qui meurt , c’est le temps qui s’étire pour vivre les derniers moments.
Il n’y a pas, dans ce récit, d’enfant mort, la mort ne se conçoit pas, et celle d’un enfant non plus-du moins s‘il a vécu un certain temps…même in utéro, dans certains cas.
Pauline a vécu quatre ans et a succombé à un ostéosarcome. Le narrateur de cette histoire est le père de l’enfant, non nommé, auteur du livre.
La tragédie vécue par Pauline et ses parents est narrée de façon à peu près chronologique depuis l’avant-tragédie ( Une semaine à la neige) jusqu’à la fin de Pauline un an plus tard, avec l’épilogue ou la conclusion du père( j’ai fait de ma fille un être de papier)
L’auteur tente de se définir comme écrivain ( entre les chapitres on lit des moments de réflexion) écrivain mais pas romancier, tant l’histoire de Pauline et la manière dont elle est relatée , réaliste, documentaire, suscitant la réflexion, paraît éloignée d’une œuvre de fiction même autobiographique.
Pourtant l’auteur emploie le mot « roman ». « Un roman est une entaille dans le bois du temps ». C'est dans la fiction, que l'enfant vit encore.
Les chapitres 3 à 6 de cette troisième partie « Dans le bois du temps » sont largement consacrés à des considérations sur l’écriture et le roman : « De façon essentielle, un livre ne devrait exister que s’il se fait malgré son auteur , en dépit de lui, l’obligeant à toucher le point même de sa vie, où son être, irrémédiablement se défait ». C’est assez juste.
On est également intéressées par les pages dans lesquelles l’auteur se demande pourquoi des romanciers ( ou romancières) n’ont pas voulu avoir d’enfants. Balzac dit « on fait des enfants ou des livres pas les deux". Pourquoi le refus de l’enfant de chair, lorsque l’on choisit des êtres de papier ?
Dans l’ensemble, ce roman donne l’impression d’une rédaction fort soignée, (on sent que c’est le prof qui écrit) et d’une famille exemplaire : la petite fille est héroïque devant ses souffrances. Elle montre une adaptation exceptionnelle à l’hôpital et ses cruelles contraintes. Malgré la maladie elle ne ressemble jamais à « une petite fille qui va mourir » , mais exerce son charme jusqu’à la fin sur le personnel soignant les multiples opérations et traitements sont subis sans révolte.
C’est là peut-être tout le mystère des jeunes enfants. Leur monde est très différent du nôtre. Leur perception du temps, de la vie, de la mort, de l’importance de tout cela, est tellement dissemblable de celle de l’adulte, que l’on est toujours surpris. Reste que la souffrance physique est tout de même éprouvée…
Le narrateur parle de l’acharnement thérapeutique qu’on leur a reproché de laisser faire : lorsque Pauline est si atteinte que la guérison ne se conçoit plus guère, on la torture encore, certes pas pour la faire souffrir, mais pour reculer la séparation finale, pour pouvoir toujours attendre un miracle.
Pauline pourrait ne pas se prêter à cette torture, mourir avant, ou montrer par son comportement que l’insupportable n’est rien d’autre que l’insupportable. Sans doute se prête-t-elle à la tyrannie des parents désespérés, et des médecines, parce qu’elle ne veut pas leur manquer. L’enfant se soucie moins, semble-t-il ici, d’avoir peur pour soi, que pour les autres, en disparaissant.
Cela nous amène à nous demander « qu’est-ce qui fait que l’on a peur pour soi ? De « se manquer à soi » ? Cela se peut-il ? Il faudrait parler de l’angoisse de castration qui, en psychanalyse, est corrélative de l’angoisse de mort, et de la plus ou moins grande sévérité du surmoi.
Ces symptômes se développent à l’âge de trois ans, environ. C’est à ce moment-là que Pauline est tombée malade. Elle est encore exempte de ces symptômes. Jusqu’ici son existence s’était déroulée sans nuages.
La conduite d’Alice, sa mère, se révèle aussi impressionnante. Jamais le moindre manquement, ni défaillance, pas de pleurs, ni devant l’enfant, ni devant le malheur, jamais de découragement apparent, une assistance et une complicité toujours parfaite envers la fillette.
Le narrateur-auteur lui aussi est , au moins « Quelqu’un de bien ». Ceci d’ailleurs va à l’encontre de ses réflexions sur le roman. Si celui-ci s’écrit contre et malgré son auteur , il ne donnerait pas au lecteur une image sans faille du monde qui est le sien. Ici nous avons l’impression que tout le monde est irréprochable.
C’est normal, il doit préserver son épouse, lui-même, Pauline dont il y a ici un panégyrique, voire une hagiographie, avec le récit du malheur d’une famille, et comment pourrait-il en être autrement ?
Lorsque l’on lit un récit sur des êtres confrontés à des maladies graves, mortelles, et à leur entourage, on a toujours des récits héroïques. Je songe aussi aux livres de Marie Depussé. Peut-être la souffrance rend-elle héroïque ?
Il lui arrive aussi de dire « des choses vraies » : par exemple sur les gens très malades qui s’en sont sortis et déclarent ensuite orgueilleusement que c’est parce qu’ils étaient courageux et /ou avaient envie de vivre. Ainsi nul ne peut dire qu’il se bat contre le réel ( la maladie qui atteint le corps) le réel n’étant pas un adversaire.
Vrai aussi les réunions de parents d’enfants malades « qui n’ont en fait rien à se dire » ; l’expérience de la maladie ne les réunit pas, elle les sépare, elle les fait vite se tourner le dos ».
L’auteur nous dit être davantage du côté du lyrisme, du pathétique, vouloir donner une vision tragique non masquée de ce qui a été vécu. Lisons-le de cette façon, donc.
Autres réflexions : l’auteur pense que les rites funéraires sont un homage aux morts. Ils sont tout aussi bien la crainte d’une vengeance qui pousse les vivants à les honorer. Croyons-nous les morts vraiment morts ? Et les vivants tellement vivants ?
Comment percevons-nous les êtres que l’on ne connaît que virtuellement ? Les connaissances « Internet » ? Dont on ne sait pas le nom, que l’on n’a pas vu en vrai ? Que l’on ne peut toucher ? Ce ne sont pas des êtres « de papier », mais des êtres… numériques ? cybernétiques ? éventuels ? potentiels ?
« Le vivant devient être de fiction, simulacre que l’on fait vivre, parce qu’il retient en lui la forme hallucinée de ce qui a été ».
En tout cas, un livre important, qui permet de se poser à nouveau les questions essentielles sur lesquelles toujours nous achoppons.
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