LP, 2009, 570 pages.
L’auteur est en quête du troisième Flaubert celui qui se cache derrière la revendication d’impersonnalité de l’œuvre « Flaubert n’évite aucune occasion de rappeler que le grand art est sans rapport avec l’existence réelle du créateur et il n’a pas de mots assez durs pour en parler : es choses de la vie quotidienne, il dit simplement « Arrières guenilles » ! Pour lui l’œuvre est tout, l’homme n’est rien. »
Sachant que les deux premiers Flaubert sont « celui impersonnel des œuvre et celui inimitable des lettres »le troisième est celui « des manuscrits et carnets, précisément l’écrivain, l’homme-plume au travail ».
Le livre sera donc à la fois une biographie un peu spéciale et un essai sur l'art de Flaubert.
Le récit de Biasi est en partie une biographie classique dans laquelle on va trouver quantité de précisions sur la vie de l’auteur : son enfance à Rouen, ses voyages ses nombreuses maîtresses par mi lesquelles se distingue Louise Colet « tu es bien la seule femme que j’ai aimée et que j’ai eue. Jusqu’alors j’allais calmer sur d’autres les désirs donnés par d’autres » et son entourage, tout cela centré sur l’évolution chez Flaubert de sa vocation d’écriture, les diverse conceptions qu’il en eut, depuis les récits et petites pièces de théâtres qu’il écrivait enfant, juste après avoir acquis la lecture courante, jusqu’à ce chapitre « Madame Bovary c’est qui ? »Ou apparaît une nouvelle conception de là littérature de prose, inventée par Flaubert à l’occasion de l’écriture de ce célèbre roman. Les chapitres suivant montrent une consolidation des conceptions de Flaubert à travers l’élaboration et l’effectuation des œuvres ultérieures.
Pendant l'écriture de Madame Bovary, Flaubert pense déjà à Salambô" Que j'ai hâte donc d'avoir fini tout cela mour me lance dans un sujet vaste et propre... je voudrais de grandes histoires à pic, et peintes du haut en bas".
Son oeuvre témoigne d' un va-et-vient entre deux univers antithétiques d'un côté Bovary l'Education sentimentale, Bouvard et Pécuchet, un coeur simple , les Idées reçues ; de l'autre la Tentation de St Antoine ; Salambô, St Julien l'Hospitalier, Hérodiade, la plupart des écrits de jeunesse à présent publiés.Tantôt la grande oeuvre lyrique ,la tentation du genre sublime( inspirées par ses voyages, et diverses lectures), de l'autre le "sale l'ci-bas en France". En fait, le style noble ( gravis stylus)" et le style " bas" ont été définis autrefois par Virgile ; on apprenait ces deux façons d'écrire dans les classes de rhétorique. Ce que Flaubert fait de son savoir est toutefois sans équivalent avec la tradition!!
Pour revenir à mes découvertes purement biographiques, je découvre là une vie de famille très soudée. Flaubert contrairement à ce que je croyais, ne vivait pas seul à Croisset, mais avec sa mère et sa nièce. Chez les Flaubert, le père et le fils aîné sont chirurgiens et soignent toute la famille, avec des résultats conformes à ce que l’on peut attendre de la médecine de cette époque. La jeune sœur Caroline en meurt, mais Flaubert survit à de nombreuses saignées et une main ébouillantée. Biasi revient longuement sur les crises « d’épilepsie » de Flaubert (dont nul n’a pu faire le diagnostic réel) sa façon de les exprimer, le profit qu’il en tira pour son œuvre « la seule justification de la douleur intime, la sienne ou celle des autres, c’est dans le meilleur des cas, de pourvoir se métamorphoser en une belle phrase ». D’abord des périodes de convalescences forcées mais aussi des expériences inoubliables à mettre en mots et placer dans ses divers récits. Car pour un écrivain en travail, les événements de sa vie deviennent une matière documentaire à transformer en intrigues, et à passer par l’écriture pour faire œuvre. Non seulement les périodes particulières ( les voyages les deuils, les crises morales ou nerveuses) mais les petits événements de la vie quotidienne. Il utilise aussi des documents annexes comme font tous les écrivains (rien de neuf ici) et va même jusqu’à faire écrire une « vie de Ludovica » à une de ses maîtresse, qui relate sa liaison avec elle, document fort pratique dont il se servira.
Cependant l’effort principal de Flaubert consiste… à se relire des milliers de fois afin d’apporter des modifications à son œuvre. Rien de bien neuf non plus, dira-t-on, mais c’est dans les détails que l’on apprend quelque chose. les extraits des manuscrits de Madame Bovary contiennent la vie sexuelle de l’héroïne « complètement mise à plat », détails qui finiront par disparaître petit à petit à mesure que l’on s’approche du résultat final. Nous avons donc et c’est cela qui est vraiment intéressant une idée nette, non seulement de la documentation fort diverses utilisées pour chaque œuvre, mais des brouillons successifs des romans, et le cheminement jusqu’au texte final.
De Biasi veut faire un sort à certaines idées reçues sur Flaubert,notamment, il n’a pas dit « Madame Bovary , c’est moi ».
En effet, Flaubert est bien plus que madame Bovary « Aujourd’hui par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt , par un après –midi d’automne, sous les feuilles jaunes, et j’étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu’ils s disaient et le soleil rouge qui faisaient s’entrefermer leur paupières noyées d’amour ».
Autre mise au point : la célèbre formule " je veux écrire un livre sur rien" ne signifie pas un livre dénué de contenu, un simple artifice de style , de purs jeux de langage. " la métaphore du livre sur rien est en fait celle de la gravité universelle : l'attraction qui équilibre la course des entités stellaires... un chef d'ouvre possède son centre de gravité en lui -même, il accomplit sa révolution sur un axe qui lui appartient".
C'est aussi un livre dont le fond et la forme sont si bien fusionnés qu'on ne les distingue pas l'un de l'autre.
Comment Flaubert s'y prend pour s'approcher de cet idéal c'est ce que dit le livre.
Un ouvrage passionnant dans l'ensemble, dont les derniers chapitres sont à méditer!
Lecture commune avec Maggie