Gallimard, 2010, 142 pages.
Deux monologues à la troisième personne du singulier, pour faire parler deux femmes en pleine crise conjugale à un siècle de distance : Claire et Henriette. Leurs propos sont alternés et l’on passe de l’un à l’autre sans transition, le monologue de l’une s’interrompt au milieu d’une phrase pour reprendre et s’achever dans la narration de l’autre.
Cet effet de style devrait nous faire sentir que les deux femmes sont semblables même si leurs histoires sont très différentes. D’autres correspondances viennent rendre ces femmes solidaires : le rôle positif joué par le piano, la tendresse et la crainte pour leurs petites filles, une panne de voiture, et leurs hommes, qui sont vraiment minables, dans un cas comme dans l’autre.
De nos jours, Claire vient de rentrer de vacances avec sa petite fille de 5 ans et ne veut pas regagner le domicile conjugal. Elle s’est rendu compte, depuis un moment déjà, qu’elle "n’aime" plus son mari. Plus exactement : elle ne le désire plus. Un matin, au petit déjeuner, il lui est apparu comme « un petit garçon » et l’homme en lui, elle ne l’a plus perçu. En psychanalyse on dirait « son mari n’a plus le phallus ». Non seulement il n'a plus le phallus, mais il n'a pas le statut d'homme à ses yeux. Elle a commencé à s’ennuyer à son côté, et à détester les amis qu’ils fréquentent.
La séparation est inévitable, car Claire a de bons revenus qui vont lui permettre de vivre seule, probablement avec la garde de son enfant.
C’est tout pour l’intrigue. Claire se retrouve en panne de voiture, abandonne cette voiture, trouve sa valise trop lourde, l’abandonne aussi, erre un moment avec sa petite fille, se saoule pour se retrouver dans une chambre d’hôtel extrêmement confortable, et se souvenir de son métier, rare et difficile, elle fabrique des pianos de concert.
Le mérite de l’auteur, c’est d’avoir montré une femme qui ne quitte pas son mari « parce qu’elle a rencontré quelqu’un d’autre », comme c’est trop souvent le cas dans les fictions, mais une femme qui se rend compte qu’elle aspire à vivre seule, et qu’elle est prête à « s’aimer ».
Henriette, l’autre femme, en 1914, désire encore Joseph, son second mari, homme politique embarqué dans une situation difficile, mais lui s’est trouvé une maîtresse, qu’il partage avec un journaliste. Henriette est à la fois déprimée désespérée et folle de rage. Dans cette situation périlleuse, elle manque de se perdre mais choisit la vie… l’histoire est inspirée de celle d’Henriette Caillaud, dont l’aventure est bien connue.
Tout cela est rendu dans une narration « à fleur de peau », vive, exubérante, bien rythmée, de façon à nous faire éprouver les sentiments les sensations le chagrin, au cours d’évocations, d’énumérations, et de détails réalistes ; certaines phrases sont bien trouvées, d’autres un peu convenues. Certaines situations bien rendues, restent dans l’esprit du lecteur : le mari devenu stupide aux yeux de la femme au petit déjeuner, la petite fille jouant du piano tandis que sa mère observe à la fois cette enfant et son père tourné vers sa maîtresse.
l'avis d'Anis
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