305 pages folio 1953, dix nouvelles courtes.
Il y a une contradiction dans ces textes, c’est que ces nouvelles sont parfaitement achevées et pourtant donnent une impression d’inachèvement de suspension comme si tout n’était pas dit.
Patriotisme :
le narrateur décrit le « seppuku » ( terme que nous traduisons parfois par « hara kiri »bien que le terme noble soit Seppuku : ce suicide est réservé aux samouraï) d’un soldat qui en 1936 ne veut tirer ni sur ses amis devenus mutins pour s’opposer à l’armée impériale ,ni se joindre à eux…
Il entraîne dans la mort sa jeune épouse Reiko !
Dès qu’elle entend dire à la radio que les compagnons de son époux se sont mutinés elle sait immédiatement ce qui va suivre : pour racheter l’honneur de son groupe il va se suicider selon le célèbre rituel, et elle mourra aussi. Elle range leurs effets, et se prépare au grand départ .
Le jeune homme doit se suicider en public : rentré chez lui, il annonce à Reiko qu’elle sera seule ce public. Quel honneur !
Après lui, Reiko se suicidera en se tranchant la carotide ; les femmes n’ont pas le droit de pratiquer le seppuku…qui est une façon bien particulière de s’entailler l’abdomen, puis de faire glisser le poignard afin de faire sortir les viscères.
Ce récit est impressionnant : Mishima était fasciné par ce type de suicide cependant le narrateur du texte émet quelques réticences à l’endroit d’un conditionnement auquel les jeunes mariés adhèrent sans hésitation.
En effet la lettre d’adieu du jeune homme stipule simplement « vive l’armée impériale » , ce qui est relativement banal comme texte pour accompagner un tel geste…
La perfection de l’exécution du suicide montre à quel point ce jeune couple héroïque veut incarner les valeurs inculquées. Dans un tel geste, il n’y a plus de place pour une quelconque individualité, les corps et esprits des deux jeunes appartiennent à la société.
En fait, il y a davantage que l’héroïsme : une véritable attirance pour la mort vécue comme une aventure terrifiante : la mise en scène du suicide est relatée avec précision, ainsi que les petits obstacles rencontrés pour se donner la mort…
La main droite sur le sabre le lieutenant commença de s’entailler le ventre par le travers. Mais la lame rencontrait l’obstacle des intestins qui s’y emmêlaient et dont l’élasticité la repoussait constamment … saisi d'une violente nausée, le lieutenant laissa échapper un cri rauque.
Vomir rendait l'affreuse douleur plus affreuse encore, et le ventre qui jusque-là était resté ferme, se souleva brusquement, la blessure s’ouvrit en grand et les intestins jaillirent comme si la blessure vomissait à son tour"
Les jeunes croient à un au-delà, et j’ai été intéressée par la sensualité qui accompagne le geste .Avant de le perpétrer, ils ont eu des relations sexuelles pour la dernière fois , et l’ont fait mieux et plus fort que d’ordinaire.
Pour un lecteur occidental, il est difficile de croire à des valeurs que la communauté ou la société inculque, comme l’indique le titre. Cependant la tentation de se détruire lorsque l’on est jeune existe en Occident.
Pour nous lorsqu’un jeune couple se suicide, Il y a soit rébellion contre la société, ou refus de vieillir et d’affronter la médiocrité de l’âge adulte, et l’on pense à Tristan et Iseut.
Patriotisme inspira à Mishima un court-métrage dans lequel on a voulu voir une répétition générale de son propre et spectaculaire suicide, qui eut lieu le 25 novembre 1970 ; Mishima tentait paraît-il un coup d’état pour restaurer les valeurs du Japon traditionnel. Ayant échoué ( je ne pense pas qu’il souhaitait réussir, car il n’avait pas de propension à devenir un homme d’état…) il se suicida avec l’aide d’un comparse devant une assemblée nombreuse.
Dans ce court métrage ,Mishima a filmé le double suicide raconté dans "Patriotisme". Si l'image n'est pas très claire, c'est néanmoins très impressionnant.... et assez beau. Vous n'êtes pas obligés de tout regarder.
Si vous aimez ce type de récit, vous pouvez aussi lire « le Maître du thé « de Yasushi Inoué qui relate un autre suicide du même type chez un homme plus âgé.
La mort en été
C’est le récit du deuil de Tomoko, jeune femme qui a perdu deux enfants et sa belle-sœur qui les gardait. Les enfants ont péri noyés ( un instant d’inattention) et la femme de crise cardiaque due au choc et peut-être aussi au désir d’en finir après avoir vu ce dont sa rêverie avait été la cause.
Les enfants ont péri noyés dans une vague, sous le grand soleil d’été, ce fait accentue l’horreur de la tragédie…qui est parfaitement décrite, ainsi que la beauté de l’océan et du rayonnement solaire.
Ce deuil comporte la culpabilité ( Tomoko pense qu’elle aurait dû être là) et le désir de mourir : elle retourne sur la plage avec son mari, l’enfant survivant et la petite fille née après ces événements : elle se tient debout devant les vagues sur la plage « Qu’est ce qu’elle attend ? » se demande son mari. Il le savait d’ailleurs très bien.
Le récit s’achève sur cette inquiétude.
Elle attend qu’une vague l’emporte à son tour, si elle est vraiment coupable. Mais aussi l’on sent cette attente folle que ses enfants renaissent miraculeusement de la vague !
Dans cette fin de ce récit, il y ambigüité. Que vat-elle faire ?
Je crois qu’elle va repartir chez elle et se résigner. Elle et son mari sont réalistes.
C’est la nouvelle qui donne son titre au recueil, et la meilleure aussi à mon sens.
Onnogata : le titre signifie « acteur spécialisé dans les rôles féminins »
Cet amour d’un jeune universitaire pour Mandjiku un acteur de Kabuki qui joue les femmes à la perfection sur scène comme dans la vie, est d’abord un culte rendu à sa beauté androgyne. Purement esthétique. Il se transforme en jalousie lorsque l’objet d’amour, Mandjuki, tombe réellement amoureux d’un jeune metteur en scène moderne très différent de lui.
On ne sait ce que l’adorateur tombé dans la jalousie va pouvoir faire, il se le demande lui-même….
Il se pourrait qu’il se suicide.
La nouvelle a l’avantage de présenter le théâtre Kabuki, ces gestes ritualisés, si différents de notre propre théâtre, lequel repose davantage sur le contenu des pièces, narration dialogue et intrigue. Ici c’est l’observation d’un rituel qui compte. On se rend compte que le théâtre japonais va à l’essentiel, là où nous pourrions passer pour des bavards…
Le style est précis, sobre et incroyablement efficace.
Trois millions de Yens
Est une nouvelle amère, qui critique la société occidentale où l’on cherche à s’approprier des biens à consommer. Un jeune couple « moderne »( années 60) projette de parvenir au bonheur, en programmant toute sorte de réalisations ( posséder des objets indispensables ; procréer et élever des enfants suivant une logique consumériste…) et se procurer l’argent pour y parvenir par des moyens fort discutables.
Je n’ai aimé que ces quatre nouvelles sur les dix proposées…je ne vais donc pas parler des autres, qui se laissent lire sans plus. Le recueil en vaut la peine !
Lu dans le cadre du challenge nécrophile, organisé par Fashion.
Pour la suite de mes lectures mishimiennes je pense me tourner vers une histoire qui se déroule à la mer, car je le trouve excellent à décrire le littoral et l’océan.
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