Editions le Monde de Simenon N° 20 Solitudes
175 pages.
Jonas Milk se voit soupçonner d’avoir fait disparaître sa femme, Gina.
Hier soir, elle est partie chez son amie Clémence pour garder le bébé pendant que le couple se rendait au cinéma. C’est ce qu’elle a dit à Jonas. Mais le soir tard, elle n’était pas rentrée, et Jonas a bien vu que rien n’était allumé chez Clémence. Le lendemain, Gina n’ayant pas reparu, il a compris qu’elle avait fait une fugue, été retrouver un homme. Mais lorsque le Bouc chez qui il va prendre son café lui a demandé pourquoi on ne voyait pas Gina dehors un jour de marché, il a répondu « elle est allée à Bourges ».
Mensonge, mais Jonas n’avait pas envie de dire ce qu’il pensait de l’absence de Gina. Même si tout le monde sait qu’elle a la cuisse légère.
Gina ne revient décidément pas, et Jonas se rend compte qu’elle lui a dérobé quelques timbres d’une grande valeur. Il s’obstine à dire lorsqu’on lui en parle qu’elle est allée à Bourges voir une amie. Mais dans cette petite ville où tout le monde se connait et s’observe, on a tôt fait de comprendre que cette histoire de Bourges est fausse. De là à déposer une plainte contre Jonas pour disparition et le faire convoquer au commissariat… !
Jonas revient alors sur son mariage et sur son passé : Arrivé tout enfant avec ses père et mère dans cette petite ville du Berry, après qu’ils aient fui la révolution russe, il n’a pas connu ses sœurs restées là-bas, et , jeune encore, a été privé de ses parents, repartis en Union soviétique à la recherche de leur progéniture. Aucune nouvelle de derrière le rideau de fer. De retour dans la petite ville de son enfance, Jonas s’est établi comme bouquiniste, s’est passionné pour la philatélie, a vécu de façon effacée, routinière, trouvant un fragile équilibre à vivre dans le quartier animé de son enfance. Cependant, il ne fréquente personne, ses contacts se bornant à discuter de la pluie et du beau temps avec les commerçants de la place, et les clients de sa boutique. Son mariage arrangé et à peine consommé, avec Gina à quarante ans alors qu’elle en avait seize de moins, est la chose la plus triste qui soit, et pourtant, dans son extrême solitude, il en était content.
Lorsque le commissaire, détaillant le passé de Jonas, lui demande pourquoi il ne portait pas l’étoile jaune pendant l’occupation, puisqu’il était juif, on atteint des sommets d’ignominie ; mais ce qui affecte le plus Jonas c’est qu’on lui révèle que Gina avait déclaré à tout le monde craindre qu’il ne la tue. Là où le lecteur ne voit qu’une ruse, une excuse, que s’était trouvé cette femme qui préparait son départ, Jonas s’interroge sérieusement sur ce qui aurait pu choquer Gina dans son comportement.
L’auteur nous fait pénétrer dans le monde de Jonas, révélant petit à petit son statut d’étranger, à peine toléré par les habitants de cette petite ville, une population hypocrite, conformiste, grégaire, en attente de bouc émissaire. L’on voit Jonas, resté naïf, malgré son esprit rationnel, perdre ses maigres illusions et s’effondrer son peu de certitudes. Un récit lucide, terrible, effrayant, parfaitement juste.
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