Minuit, 2013, 169 pages.
Je n’avais pas lu JP Toussaint depuis longtemps, quelques relectures mises à part. Je me méfiais de ses histoires de Marie, supputant que son humour très particulier lui faisait faux bond dans ce type d’entreprise.
Et me voilà tout de même suivant Marie, artiste spécialiste de la haute couture, et désirant s’investir »en marge de la mode, sur un terrain expérimental proche des expériences les plus radicales de l’art contemporain.
C’est donc la fameuse robe de miel ! on pense vaguement aux robes de Peau d’âne couleur de Temps, de Lune etc. Mais pas du tout !c’est une robe de haute couture sans couture il s’agit de tartiner (d’enrober si on veut) une pauvre fille de la substance en question sur certaines parties du corps (les autres seront poudrées) et la faire suivre par un essaim d’abeilles au son d’une certaine musique électronique.
Le spectacle est parfaitement réussi « le top-modèle martyr entouré de multiples figures de douleur figées, les visages européens, asiatiques, interdits, ralentis, arrêtés, comme dans une vidéo de Bill Viola… » Et même au –delà de ce que l’on avait espéré, puisqu’il y a de l’imprévu parfaitement assumé par Marie.
Des vidéos de ce Bill Viola, on peut en regarder une ou deux pour se mettre dans l’ambiance…c’est plus fantomatique, plus étrange que le tableau qu’on imagine, mais tout dépend aussi de l’éclairage.
Après ce prologue violent, axé humour noir, qui vérifie le vieux proverbe « Honey soit qui miel y pense », c’est la relation amoureuse du narrateur avec Marie qui prend le relai : les partenaires sont séparés, bien que toujours ensemble, c’est à ce prix que dure la relation. En effet, Marie absente, le narrateur attend son appel téléphonique en rêvant d’elle, et autour d’elle, se construisant des fantasmes, jouissant en quelque sorte de cette pause dans la relation, suspendue, mais laissant la possibilité d’une reprise.
Le portrait qui est fait de Marie, n'est pas d'abord celui d'une femme particulière, mais un ensemble de traits :femme d'affaire, artiste très tendance avec goût pour le sadisme, élégance de la mise, nue ou pas, dispositions d'harmonie avec le monde (elle se fond bien dans le décor, on pense à des femmes de Julien Gracq), un ensemble composite, d'où émerge de temps à autre, une femme quasi "normale" avec des problèmes et des attitudes sans surprise.
De Tokyo à l’île d’Elbe, d’un vernissage auquel le narrateur assiste en voyeur, à une suite d’incendies dans une Toscane automnale guère plus gaie que la place Saint-Supplice, d’un cimetière lugubre à un hôtel sans chauffage, Marie et son compagnon se refont une santé. On est content de voir que l’amoureux narrateur supporte aussi bien la présence de Marie que son absence, et continue à la rêver esthétiquement, sans oublier la réalité concrète.
On leur souhaite tout le bonheur possible !
Certaines situations ont ce même potentiel d'étrangeté et d'absurde qu'autrefois, mais dans l'ensemble, l'amoureux narrateur a changé de ton.
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