Actes-sud, 2013, 347 pages.
Scénariste en fin de vie, Milo, allongé sur un lit d’hôpital rêve ce que fut sa vie et celles de ses proches.
Cela prend donc la forme d’un scénario-roman, qui suit alternativement Milo, demi-indien devenu Québécois puis Brésilien d’adoption, depuis son enfance chaotique, jusqu’à son état actuel, mais aussi son grand-père Neil Noirlac, irlandais , rêvant de devenir écrivain, admirateur de Yeats, pris dans la tourmente de la guerre entre les deux Irlande et les Anglais, puis contraint à l’exil. Le troisième personnage Awinita fut la mère de Milo, Indienne Crie, prostituée et ses efforts pour en sortir.
Le narrateur introduit dans le roman son ami Paul Schwarz, metteur en scène, pour que le récit que nous lisons prenne l’apparence des prémices d’un éventuel long métrage. « Coécrit par Milo Noirlac et Paul Schwarz et produit par Blackout film ». Sombre programme !!
En tant que cinéaste, il intervient pour commenter le récit, indiquer si c’est un plan ou une séquence, les changements de point de vue et les ruptures « on coupe » ou les fondus , au noir le plus souvent, puisque le noir est la couleur dominante, indiquée dans le titre, le nom d’un personnage, et les humeurs de Milo son « noir du noir ». Le récit est « noir » aussi, on s’en rend compte soit très douloureux et avec peu de bonheur. Le fameux « on coupe » est à double sens et ces moments de ruptures scandent les récits à bon escient. Tout cela au rythme d’une danse brésilienne, la capoeira, dont les différentes figures donnent aux chapitres leurs noms.
Dans l’ensemble, Nancy Huston reste fidèle aux techniques de narration qu’elle affectionne et qui lui réussissent – parfois très bien- depuis les « Variations Goldberg », à savoir le monologue intérieur, le dialogue au style direct, une oralité maîtrisée exprimant des sentiments vifs que l’on ressent « à fleur de peau »mais non sans humour… évidemment noir !
Ici elle mélange de façon savoureuse plusieurs langages, le français du Québec, l’anglais canadien familier, avec parfois un peu d’allemand, des extraits de poèmes (Yeats et Shakespeare en particulier) le français écrit, et celui en phrases courtes et sans verbes du récit scénaristique. Cette forme de roman-scénario convient bien au talent particulier de l’auteur : les récits de vie des trois personnages mettent en scène des époques, moments d’Histoire, lieux et situations personnelles très variées. On aime particulièrement le « nous », appliqué au vécu douloureux d’Awinita, et l’histoire de Neil (la plus intéressante des trois).
Ce récit est ambitieux et dans l’ensemble très réussi, quoique un peu bavard. On ne « coupe » peut-être pas assez ?
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