Seuil (Fiction et Cie) 2012, 220 pages.
Il s’agit d’un roman biographique, dont le personnage principal est Alexandre Yersin ( 1863- 1943), médecin, chercheur en biologie, inventeur, explorateur, grand voyageur… un homme exceptionnel, connu seulement dans les milieux scientifiques, avant que l’auteur ne le signale à l’attention du public littéraire.
« Comme nous tous, Yersin cherche à faire de sa vie une belle et harmonieuse composition… sauf que lui y parvient. »
Né dans le canton de Vaud, orphelin de père, Yersin montre très tôt de l’intérêt pour toutes les sciences expérimentales. Avant même d’être reçu médecin il devient chercheur en microbiologie, avec l’équipe de Pasteur qui vient de guérir de la rage le jeune Joseph Meister. Mieux encore, il va partir en Asie du sud-est avec la Compagnie Maritime, découvrir un espace inexploré et une tribu (les Moï) un espace qu’il va coloniser sous le nom de Nha-Trang ; il y aura d’autres épisodes mémorables notamment son action sur le bacille de la peste à Hong-Kong, ses étonnants travaux en botanique, et sur les animaux d’élevage et de laboratoire. Sans compter la triste vieillesse du chercheur qui aura connu le nazisme (voir le double sens du titre).
L’auteur raconte le vie de Yersin à la troisième personne, avec de belles phrases choisies, laconiques, désenchantées mais admiratives. Beaucoup de phrases sans verbes mais d’une haute tenue littéraire. Des phrases en suspens comme je les aime, et même de l’humour (les développements sur les animaux « sacrifiés » par Yersin, en principe pour trouver des vaccins…)
L’auteur parsème son récit de leitmotivs : par exemple le refrain lancinant à propos des hommes sans père, celui du besoin de mouvement des vrais aventuriers de la vie. Des refrains qui donnent un rythme étonnant à ce récit.
Patrick Deville a aussi mis en parallèle le personnage de Rimbaud avec celui de Yersin.
Ils ne se sont pas connu ; Rimbaud est plus âgé de 9 ans et mourut prématurément ( si Yersin était tombé sur lui, il eût sans doute pu le soigner !). En outre, la littérature n’était pas un objet dont Yersin aurait pu s’emparer avec profit. Ce qui les rapproche, c’est l’absence de père (et donc l’errance), le goût de l’aventure, la curiosité inlassable ; Rimbaud quitta les Parnassiens devenus routiniers, comme Yersin les « Pasteuriens » lorsqu’ils n’eurent plus rien à lui apprendre et lui plus rien à découvrir dans ce contexte…
Les héros de l’auteur sont des hommes passionnants et passionnés, qui n’aiment pas s’ennuyer et vont de découvertes en découvertes, même au péril de leur vie. Il sait nous faire partager son enthousiasme.
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