Publié chez Métailié (Bibliothèque écossaise) 2003, 200 pages.
Luke, le narrateur, a toujours vécu en symbiose avec sa mère, (Notre relation ressemblait à celle du prêtre et de l’enfant de chœur à la
messe : elle était le célébrant moi j’assistais) y compris après la mort de celle-ci, il sent toujours sa présence, la voit plus ou moins (ne sait si c’est lui ou elle qu’il
voit). Le père était dominé, ridiculisé, laissé à l’écart.
Nous ne savons rien de l’existence sociale des protagonistes : le sous-titre « roman de chambre » annonce un huis clos sévère.
Enfant, Luke ne sortait que pour attraper des animaux de petite taille, qu’il prit l’habitude de torturer et tuer y compris le chat de son
père.
Cependant, il est instruit, et s’interroge sur l’ordonnance de l’univers, lequel est lié à la perfection du langage :
Quand Dieu créa Adam, il lui dit d’aller dans le jardin et de nommer les arbres et les animaux, …Sans doute ces noms n’existaient pas avant qu’Adam
les invente. Ainsi les enfants de la maison muette connaissait le monde comme Dieu : leur Eden était toujours créé de frais, comme il l’était au commencement.
D’un autre côté, s’il se trouvait que les noms inventés par Adam étaient précisément ceux que Dieu avait utilisés quand il fit surgir du néant les rocs et les
arbres et les créatures du monde ? Si tel était le cas, ces noms seraient les mots d’une langue originelle, quelque chose qui se serait perdu après la Chute, or si ces mots pouvaient être
retrouvés, ils donneraient un nouveau sens au monde…
Seul, dans la maison parentale, désoeuvré, Luke songe à une expérience satisfaisante permettant de saisir comment vient le langage à un être qui ne
serait pas « contaminé » par les paroles entendues autour de lui.
Cela suppose que les êtres humains naissent dépourvus de langage, c'est-à-dire ignorants, ou dégagés, de toute filiation.
Platon, dans le Cratyle, s’interroge sur la nature des rapports entre les mots et les choses, à travers Cratyle qui soutient l’idée que les mots correspondent aux
choses par nature, et Hermogène qui défend la thèse de l’arbitraire du signe.
Depuis, les recherches en linguistique ont donné raison à Hermogène, mais certains poètes croient, même à notre époque, que les mots, et les choses que
désignent ces mots, ont un rapport intime préexistant, que la poésie serait à même de retrouver.
Or John Burnside est un poète.
Et Luke est un psychopathe ; il a besoin de croire à une langue originelle, pure, à une âme, à un ordre caché, à une fusion, coïncidence parfaite
entre les mots et les choses, entre les êtres, pour justifier l’indéfectibilité de son lien à sa mère.
Il en a besoin, aussi pour justifier ses expériences de torture, de sadisme, sur les gens et les animaux.
Son but est de réitérer les expériences célèbres que l’on fit aux siècles passés : enfermer des enfants nouveaux-nés dans une pièce, sans compagnie, afin
de voir quel langage ils développeraient.
Le résultat semble être qu’aucun langage articulé ne vint à ces enfants, ils furent autistes, certains se laissèrent mourir.
Cependant, Luke est persuadé de parvenir à un aboutissement inédit.
Tout ensemble illuminé, et en quête d’un prétexte pour couvrir les pulsions criminelles qu’il sent en lui, il peut se les avouer à travers un
discours scientifico-religieux.
Il choisit avec soin ses futurs sujets d’expérience : des femmes perdues sans famille, livrées à la rue, ou chargées d’enfants perturbés, les recueille,
les utilise… nous savons dès l’incipit, la gravité de ses « expériences » sur les femmes, sur les enfants, sur des nouveaux-nés jumeaux en particulier,
voulant en outre vérifier jusqu’à quel point ils ne font qu’un, puis les « séparer », de diverses et horribles manières ; séparer l’âme du corps, séparer l’enfant de sa voix,
séparer l’enfant de son frère, séparer une personne de sa vie, séparer la mère de l’enfant ( il procède à des accouchements). Il cherche la séparation d’avec sa mère qui ne s’est jamais
effectuée. Les expériences s’achèvent par la mise à mort des sujets.
Le récit de Luke développe avec minutie ses exactions sur une période de plusieurs années.
Il n’est pas facile de venir à bout d’un tel livre. A l'issue de la lecture, on peut sentir de légers troubles nerveux : notre larynx devient sensible, notre
gorge se noue...
L’écriture est précise, descriptive, soignée, la mise en scène étudiée. Et pourtant, les fréquents récits rétrospectifs( ici, ce mot convient mieux que "
flash back") que développe le narrateur à propos de ses souvenirs d'enfance, alourdissent le texte, et nuisent à l'intensité dramatique : ces récits sont longs, et ne se détachent pas
assez de l'action proprement dite.
A vrai dire, la lecture est un peu ennuyeuse, tout autant qu’éprouvante.
J’ai tenu à écouter l’interview de John Burnside, effectuée pour le compte de l’émission « Affinités électives », sur France culture, jeudi 7
février à 21 heures. L’écrivain est, comme je l’avais supposé, profondément religieux et parle un langage ésotérique.
Selon lui, Lilian, la jeune femme muette recueillie par Luke, est « une sainte ».Les sons émis par les deux pauvres enfants reclus, doivent s’apparenter à une
communion mystique avec le cosmos.
Je ne suis pas franchement en phase avec cette vision du monde.