La biquette n’opposa aucune résistance. A peine l’eût-il abordée qu’elle le suivit, tant elle espérait quelque herbe pour se sustenter et craignait de passer la nuit dehors. La température en dessous de zéro était nettement dissuasive. Faire la fine bouche n’eût en rien servi ses intérêts.
Elle se laissa emmener dans la fourgonnette de Seguin, sécher puis caresser la toison, flatter la barbiche, et risqua même un brin de coquetterie
à préciser que son pelage noir et souple, dont Monsieur Seguin lui fit compliment, frisait par temps de pluie.
Habitué à se procurer ses bêtes au marché ou chez quelque paysan, le vieux filou se réjouissait d’avoir trouvé celle-ci errant dans une rue peu fréquentée. Il pourrait lui dire, au cas où elle voudrait contester son sort, qu’elle ne valait rien, alors que même un esclave s’achète…
Cette nouvelle chèvre n’était ni farouche ni revêche. Un premier entretien le convainquit qu’elle était largement pubère quoique dépourvue d’expérience. Il expliqua à sa nouvelle recrue comme aux précédentes, qu’elle serait nourrie et logée, à condition de rendre de petits services, et à quel point elle devrait éviter la montagne, avec ses hordes de loups…
Djali lui assura n’aimer point les hauteurs : « Je trouve que les pierres y sont sèches, l’herbe rare, et le silence
moins éloquent que celui d’un enclos. Je n’aime point à gambader pour chercher ma nourriture et préfère l’avoir sur place. Je prise moins l’expérience de se faire dévorer, que celle
de périr d’ennui dans un enclos. »
-Voilà qui est raisonné, apprécia Seguin, mais je te trouve quelque peu sévère pour mon offre ! N’as-tu point pensé à moi ? Je ne voudrais pas me vanter mais je me flatte d’être une compagnie agréable pour n’importe quelle chèvre. Si seulement les autres avaient bien voulu prendre leurs responsabilités, et ne pas se mettre en quête de n’importe quel gourgandin ! ».
Puis il ajouta qu’il n’aimait pas l’ascétisme chez les chèvres ; le discours étonnamment rationnel de Djali lui faisait craindre quelque indocilité de sa part, du moins dans l’intimité. Il commençait à trouver que sa nouvelle bique s’exprimait un peu trop bien. L’instruction ne valait rien à la gent caprine pour ce qu’il voulait en faire.
Comme on atteignait à la spacieuse demeure de Seguin, il fit admirer à Djali son hélicoptère garé dans un grand champ qui servait de piste d’atterrissage. A l’entendre, il se rendait souvent en montagne pour se porter au secours des alpinistes en danger et prétendit en avoir sauvé quinze ; des gros costauds pas des gringalets!