Minuit, 640 pages, 2020.
On est dans un hameau, près de La Bassée, l’un de ces bouts de villages qui périclitent aux marges des marges de nos campagnes. Ce n’est presque rien, trois maisons presque perdues, loin de tout. Il y a la ferme de Bergogne, rejeton d’une ancienne famille paysanne qui s’obstine à faire tourner l’exploitation, la maison de Christine, qui approche de soixante-dix ans, artiste peintre installée là depuis vingt ans, après son divorce, et une troisième maison, vide et à vendre. La Bassée est un lieu familier aux lecteurs de Mauvignier : Jeff, l’un des personnages de Dans la foule (Minuit, 2006), en venait et c’est là que se déroule le drame Des hommes (Minuit, 2009).
( en Attendant Nadeau)
On retrouve dans ce roman quelques un des thèmes de prédilection de Mauvignier, les trois voyous avec le petit dernier qui peine à exister derrière ses frangins ( un trio un peu semblable dans « Dans la foule « par exemple), un couple qui fait mal semblant d’être soudé pour l’enfant et pour survivre eux-mêmes, ( Bergogne et Marion ) un couple où l’un aime trop et l’autre n’en peut plus de se laisser aimer… et la façon de mettre en scène plusieurs personnages qui vont prendre la parole l’un après l’autre et exprimer leur ressenti, dans une narration polyphonique . Ici, sept personnages ( c’est beaucoup plus que d’ordinaire chez Mauvignier) endurent la narration tour à tour, et cette chorégraphie est très bien maîtrisée !
De même que la montée progressive de la tension ; cela commence par les lettres anonymes que reçoit Christine, l’habitante d’une des trois maisons du hameau ; cette femme de 69 ans, est peintre et s’occupe principalement de sa toile en cours « la Femme rouge » , ce tableau aura de l’importance par la suite et la façon dont l’image initiale s’impose à Christine (une robe) et ce qu’elle devient sur la toile sera un des moments forts du roman. Au début, on note simplement que le rouge la couleur et l’air de la femme , indiquent qu’il y aura de la violence .
Ce n’est pas un jour comme un autre : ce sont les quarante ans de Marion, la voisine de Christine : on lui prépare une fête d’anniversaire que Christine juge un peu outrée à l’image de l’amour que Bergogne porte à son épouse. Mais elle veut y participer car elle aime Bergogne comme un fils . La première scène inquiétante c’est l’arrivée d’un jeune homme teint en blond (l’air punk ?) qui voudrait visiter la maison vide ( la troisième maison du hameau qui est à vendre) ; il est d’un politesse obséquieuse qui instille un certain malaise. Christine a l’impression qu’il la connaît alors qu’elle ne l’a jamais vu. Bientôt les événements vont se précipiter…
On a dit que ce roman ressemblait à Funny Games : certaines situations sont en effet reprises de ce film, mais l’atmosphère et les personnages sont complètement différents. Dans Funny Games les voyous n’ont aucune raison personnelle de s’en prendre à la famille à laquelle ils s’attaquent, ils ne les connaissent pas. Nous avons du sadisme pur. C’est bien autre chose que Mauvignier met en scène.
Ses personnages ont une psychologie et des identités socioculturelles, une réelle densité que soulignent la façon très particulière qu'a Mauvignier de décrire au ralenti des scènes diverses ( scènes ordinaires apporter un plat , déboucher une bouteille; scènes d'introspections, ça bouge dans la conscience d'un protagoniste; scènes d'action violente...) et de répéter ces scènes avec des variations significatives. Du grand art ! un roman qu'on ne lâche pas...
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