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10 novembre 2018 6 10 /11 /novembre /2018 10:41
Pauline Delabroye-Allard « ça raconte Sarah » ****

Minuit, 2018, 125 pages.

Un poème en prose, plutôt qu’un roman.  Ça ne raconte rien… ça raconte Sarah ! Bien composé, avec des leitmotivs ( répétition du titre ainsi que de la phrase elle est vivante »). Vivante, mais pas forcément incarnée : Sarah est moins une femme réelle que  l’expression même de la passion amoureuse ( comparée au craquage d’une allumette, à une étincelle, soufre et souffre. Les jeux de mots ne sont pas gratuits, ils retranscrivent parfaitement l’atmosphère incandescente et irrespirable de cette malheureuse histoire). Feu follet.  rythme des présences qui ne comblent pas, et des absences, insupportables aussi.  Puis finalement l’absence finale que ne pourra pas supporter la narratrice.

Le rythme, la ligne mélodique, ses accélérations et ses ruptures, les métaphores bien trouvées, font de ce poème une réussite. N’hésitez pas à le lire, même si, je vous préviens, c’est terriblement éprouvant…

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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 14:05

 

Un jour de comble-en-fond les rochers crouleront,

Les monts plus sourcilleux de peur se dissoudront,

Le ciel se crevera, les plus basses campagnes,

Boursouflées, croistront en superbes montagnes ;

Les fleuves tariront et si dans quelque étang

Reste encore  quelque flot, ce ne sera que sang ;

La mer deviendra flamme, et les  sèches baleines

Horribles, mugleront sur les cuites arènes ;

En son middy plus clair le jour s’épaissira,

Le ciel d’un fer rouillé sa face voilera.

Sur les astres plus clairs courra le bleu neptune

Phoebus s’emparera du noir char de la lune ;

Les étoiles cherront. Le desordre, la nuit,

La frayeur, le trespas, la tempeste, le bruit,

Entreront en quartier ; et l’ire vengeresse

Du juge criminel, qui jà déjà nous presse,

Ne fera de ce Tout qu’un bucher flamboyant,

Comme il n’en font jadis qu’un marez ondoyant…

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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 16:25

Interprétée par Monique Morelli un poème de Louis Aragon....

 

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9 mai 2010 7 09 /05 /mai /2010 14:06

 

Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent the dog from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.

Let aeroplanes circle moaning overhead
Scribbling on the sky the message He Is Dead,
Put crepe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.

He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song;
I thought that love would last for ever: I was wrong.

The stars are not wanted now: put out every one;
Pack up the moon and dismantle the sun;
Pour away the ocean and sweep up the wood.
For nothing now can ever come to any good.

W.H. Auden

 

 

 

 

Arrêtez les pendules, coupez le téléphone,
Pourvu qu'il n'aboie point, jetez un os au chien
Etouffez les pianos et qu'un tambour voilé
Au sortir du cercueil, accompagne le deuil.

Que les avions décrivent des cercles en gémissant
Et tracent dans le ciel ces trois mots : il est mort
Nouez un crêpe au cou des oiseaux blancs
Ajoutez des gants noirs aux tenues des agents

Cétait mon nord, mon sud, l'orient et l'occident
Mon travail en semaine, mon repos du dimanche
Mon midi, mon minuit, ma parole, mon chant
Je pensais que jamais l'amour ne finirait ; j'avais tort

Etoiles, disparaissez, qu'il n'en reste plus une
Démontez le soleil et remballez la lune
Asséchez l'océan, balayez les forêts
Car rien de bon ne peut advenir désormais.

 

W.H. Auden

 

 

 

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14 mars 2010 7 14 /03 /mars /2010 00:33

Poèmes de Paris une anthologie à l'usage des flâneurs

Editions Parigramme, 2009.

 

Ce réjouissant recueil   est  composé par Jacques Jouet, auteur entre autre des « Poèmes du métro »

également romancier et membre actif de l’Oulipo.

Il a choisi 80 poèmes  ayant pour thème d’inspiration la capitale de la France.

La plupart sont en français mais quelques poèmes étrangers traduits y figurent.

 

Son but est de «  donner un échantillon représentatif à la fois de l’histoire de la poésie et de la forme d’une ville ».

 

Toutes les époques sont  présentes  du Moyen Age au vingt et unième siècle. Bien sûr certains poèmes sont célèbres( Baudelaire et ses Tableaux parisiens, Cendrars et un extrait de la Prose du Transsibérien...)  et d’autres peu connus voire inconnus ; c’est le charme des anthologies !

 Vous y trouverez les principales formes de poésie,  sauf le poème en prose.

Le livre est divisé en plusieurs rubriques, ( La seine les ponts les canaux ; l’histoire ; les rues ; les montagnes ; les jardins ; les bâtiments… ) chacune préfacée  agréablement par l’auteur.

 

J’ai choisi forcément des pièces courtes :

 

1  Extrait de " Paris les jardins 

 

DORMIR AU PLAFOND

 

C’est si  paisible au plafond !

C’est la place de la Concorde.

Le petit chandelier de cristal

Est éteint, la fontaine dans le noir,

Pas une âme dans le parc

 

Au-dessous, là où le papier se décolle,

Le Jardin des Plantes a fermé ses grilles.

Ces photographies sont des animaux.

Les vastes fleurs et feuillages bruissent ;

Sous les feuilles, les insectes fouissent. 

Il faut aller sous le papier peint

Pour rencontrer le galdiateur-insecte,

Combattre avec un filet et un trident

Et quitter la place et la fontaine.

Mais, ah, si l’on pouvait dormir là-haut….

 

  Elizabeth Bishop, Nord et Sud, 1946

Traduction Claire Malroux

 

2 Extrait de  « Paris l’Histoire »


LE GODEMICHET DE LA GLOIRE

Un vit, sur la place Vendôme,

Gamahuché par l’aquilon,

Décalotte son large dôme,

Ayant pour gland Napoléon.

Veuve de son fouteur, la Gloire,

La nuit, dans son con souverain,

Enfonce-tirage illusoire-

Ce grand godemichet d’airain.

 

Théophile Gautier Poésies libertines

            ( in le Parnasse satyrique du XIXeme siècle, 1864)

 

 

  EXTRAIT DE «  ¨Paris métro »

 

Sous l’métro Mirabeau coule le sang

                         C’est un suicide

          Faut-il qu’on souffre tant

Les pleurs viennent toujours au bout du temps

 

          Vienne la rame où je meurs

       Les pompiers vont je demeure

L’amour s’en va comme le sang coule

             L’amour s’en va

       Comme la rame est  lente

Et comme l’égoïne est violente

                     Vienne la rame où je meurs

                    Les pompiers vont je demeure

 

                                                  François Caradec , les Nuages de Paris, 2007

 

4 Extrait de «  Paris les bâtiments »

 

JOURS D’EPREUVES

 

Jadis je logeais haut, tout contre la gouttière :

Tapi souvent à ma fenêtre en tabatière,

Rêvant à ma misère, à tant d’affronts subis,

J’écoutais les marchands de légumes , d’habits :

Et les tueyux des toits, chefs d’ouevre des fumistes,

Rayaient de noir le fond de mes grands yeux si tristes,

J’entendais parfois un doux bruit de grelots,

En me penchant, j’aimais ce gros homme en sabots

Qui se hâtait pour vendre aux phtysiques jeunesses

La consolation du tiède lait d’ânesse.

 

        Charles Cros Le Coffret de santal, 1873

 

Quel est votre préféré?

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29 novembre 2009 7 29 /11 /novembre /2009 00:11

Olga de Berchold est partie au camp rejoindre celui qu’elle aime : le soldat Verchoud ; Les soldat part en guerre. Olga le suit et souffre sur les chemins. Verchoud est prisonnier. Olga va réaliser sa fortune et revient payer sa rançon : elle ne donne pas tout à la fois par méfiance. La rançon payée, Verchoud tombe malade. Olga le soigne et lui fait, pour la première fois, l’aveu de son amour. Le soldat lui dit que ce n’est pas elle qu’il aime, mais une certaine paysanne qu’il n’a qu’entrevue et à laquelle il n’a pas parlé. Il meurt. Olga est ruinée, désespérée : que va-t-elle devenir ? Elle recherche la paysanne.


Max Jacob Le Cornet à dés (1917).
 

Ce poème est particulièrement savoureux .

Max Jacob excellait dans l’art de satiriser en quelques phrases courtes et bien senties le ridicule de certaines intrigues romanesques classiques. La chute est tout à fait remarquable et ô combien juste !

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22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 13:53

Pour le dimanche poétique, Celsmoon et Mango ont  publié des poèmes sur des vampires. 

D'ailleurs, le vampire est très présent en ce moment  dans toute la blogosphère ( ou presque...)

Voir aussi Ys ( le vampire de Ropraz)

Lou et son bloody swap...


Vous m'inspirez! Il faut que  je  cite mon vampire à moi, celui que  j'ai connu en mon âge tendre ...






 

Chaque nuit, à l'heure où le sommeil est parvenu à son plus grand degré d'intensité, une vieille araignée de la grande espèce sort lentement sa tête d'un trou placé sur le sol, à l'une des intersections des angles de la chambre. Elle écoute attentivement si quelque bruissement remue encore ses mandibules dans l'atmosphère.


Vu sa conformation d'insecte, elle ne peut pas faire moins, si elle prétend augmenter de brillantes personnifications les trésors de la littérature, que d'attribuer des mandibules au bruissement. Quand elle s'est assurée que le silence règne aux alentours, elle retire successivement, des profondeurs de son nid, sans le secours de la méditation, les diverses parties de son corps, et s'avance à pas comptés vers ma couche. Chose remarquable! moi qui fais reculer le sommeil et les cauchemars, je me sens paralysé dans la totalité de mon corps, quand elle grimpe le long des pieds d'ébène de mon lit de satin.


Elle m'étreint la gorge avec les pattes, et me suce le sang avec son ventre. Tout simplement! Combien de litres d'une liqueur pourprée, dont vous n'ignorez pas le nom, n'a-t-elle pas bus, depuis qu'elle accomplit le même manége avec une persistance digne d'une meilleure cause! Je ne sais pas ce que je lui ai fait, pour qu'elle se conduise de la sorte à mon égard. Lui ai-je broyé une patte par inattention? Lui ai-je enlevé ses petits? Ces deux hypothèses, sujettes à caution, ne sont pas capables de soutenir un sérieux examen; elles n'ont même pas de la peine à provoquer un haussement dans mes épaules et un sourire sur mes lèvres, quoique l'on ne doive se moquer de personne.


Prends garde à toi, tarentule noire; si ta conduite n'a pas pour excuse un irréfutable syllogisme, une nuit je me réveillerai en sursaut, par un dernier effort de ma volonté agonisante, je romprai le charme avec lequel tu retiens mes membres dans l'immobilité, et je t'écraserai entre les os de mes doigts, comme un morceau de matière mollasse. Cependant, je me rappelle vaguement que je t'ai donné la permission de laisser tes pattes grimper sur l'éclosion de la poitrine, et de là jusqu'à la peau qui recouvre mon visage; que par conséquent, je n'ai pas le droit de te contraindre. Oh! qui démêlera mes souvenirs confus! Je lui donne pour récompense ce qui reste de mon sang: en comptant la dernière goutte inclusivement, il y en a pour remplir au moins la moitié d'une coupe d'orgie. »



Il parle, et il ne cesse de se déshabiller. Il appuie une jambe sur le matelas, et de l'autre, pressant le parquet de saphir afin de s'enlever, il se trouve étendu dans une position horizontale. Il a résolu de ne pas fermer les yeux, afin d'attendre son ennemi de pied ferme. Mais, chaque fois ne prend-il pas la même résolution, et n'est-elle pas toujours détruite par l'inexplicable image de sa promesse fatale? Il ne dit plus rien, et se résigne avec douleur; car, pour lui le serment est sacré. Il s'enveloppe majestueusement dans le replis de la soie, dédaigne d'entrelacer les glands d'or de ses rideaux, et, appuyant les boucles ondulées de ses longs cheveux noirs sur les franges du coussin de velours, il tâte, avec la main, la large blessure de son cou, dans laquelle la tarentule a pris l'habitude de se loger, comme dans un deuxième nid, tandis que son visage respire la satisfaction. Il espère que cette nuit actuelle (espérez avec lui!) verra la dernière représentation de la succion immense; car, son unique voeu serait que le bourreau en finît avec son existence: la mort, et il sera content.



Regardez cette vieille araignée de la grande espèce, qui sort lentement sa tête d'un trou placé sur le sol, à l'une des intersections des angles de la chambre. Nous ne sommes plus dans la narration. Elle écoute attentivement si quelque bruissement remue encore ses mandibules dans l'atmosphère. Hélas! nous sommes maintenant arrivés dans le réel, quant à ce qui regarde la tarentule, et, quoique l'on pourrait mettre un point d'exclamation à la fin de chaque phrase, ce n'est peut-être pas une raison pour s'en dispenser! Elle s'est assurée que le silence règne aux alentours; la voilà qui retire successivement des profondeurs de son nid, sans le secours de la méditation, les diverses parties de son corps, et s'avance à pas comptés vers la couche de l'homme solitaire. Un instant elle s'arrête; mais il est court, ce moment d'hésitation. Elle se dit qu'il n'est pas temps encore de cesser de torturer, et qu'il faut auparavant donner au condamné les plausibles raisons qui déterminèrent la perpétualité du supplice. Elle a grimpé à côté de l'oreille de l'endormi. Si vous voulez ne pas perdre une seule parole de ce qu'elle va dire, faites abstraction des occupations étrangères qui obstruent le portique de votre esprit, et soyez, au moins, reconnaissant de l'intérêt que je vous porte, en faisant assister votre présence aux scènes théâtrales qui me paraissent dignes d'exciter une véritable attention de votre part; car, qui m'empêcherait de garder, pour moi seul, les événements que je raconte?

« Réveille-toi, flamme amoureuse des anciens jours, squelette décharné. Le temps est venu d'arrêter la main de la justice. Nous ne te ferons pas attendre longtemps l'explication que tu souhaites. Tu nous écoutes, n'est-ce pas? Mais ne remue pas tes membres; tu es encore aujourd'hui sous notre magnétique pouvoir, et l'atonie encéphalique persiste: c'est pour la dernière fois. Quelle impression la figure d'Elsseneur fait-elle dans ton imagination? Tu l'as oublié! Et ce Réginald, à la démarche fière, as tu gravé ses traits dans ton cerveau fidèle? Regarde-le caché dans les replis des rideaux; sa bouche est penchée vers ton front; mais il n'ose te parler, car il est plus timide que moi. Je vais te raconter un épisode de ta jeunesse, et te remettre dans le chemin de la mémoire... » Il y avait longtemps que l'araignée avait ouvert son ventre, d'où s'étaient élancés deux adolescents, à la robe bleue, chacun un glaive flamboyant à la main, et qui avaient pris place aux côtés du lit, comme pour garder désormais le sanctuaire du sommeil. « Celui-ci, qui n'a pas encore cessé de te regarder, car il t'aima beaucoup, fut le premier de nous deux auquel tu donnas ton amour. Mais tu le fis souvent souffrir par les brusqueries de ton caractère. Lui, il ne cessait d'employer ses efforts à n'engendrer de ta part aucun sujet de plainte contre lui: un ange n'aurait pas réussi. Tu lui demandas, un jour, s'il voulait aller se baigner avec toi, sur le rivage de la mer. Tous les deux, comme deux cygnes, vous vous élançâtes en même temps d'une roche à pic. Plongeurs éminents, vous glissâtes dans la masse aqueuse, les bras étendus entre la tête, et se réunissant aux mains. Pendant quelques minutes, vous nageâtes entre deux courants. Vous reparûtes à une grande distance, vos cheveux entremêlés entre eux, et ruisselants du liquide salé. Mais quel mystère s'était donc passé sous l'eau, pour qu'une longue trace de sang s'aperçût à travers les vagues? Revenus à la surface, toi, tu continuais de nager, et tu faisais semblant de ne pas remarquer la faiblesse croissante de ton compagnon. Il perdait rapidement ses forces, et tu n'en poussais pas moins tes larges brassées vers l'horizon brumeux, qui s'estompait devant toi. Le blessé poussa des cris de détresse, et tu fis le sourd. Réginald frappa trois fois l'écho des syllabes de ton nom, et trois fois tu répondis par un cri de volupté. Il se trouvait trop loin du rivage pour y revenir, et s'efforçait en vain de suivre les sillons de ton passage, afin de t'atteindre, et reposer un instant sa main sur ton épaule. La chasse négative se prolongea pendant une heure, lui, perdant ses forces, et, toi, sentant croître les tiennes. Désespérant d'égaler ta vitesse, il fit une courte prière au Seigneur pour lui recommander son âme, se plaça sur le dos comme quand on fait la planche, de telle manière qu'on apercevait le coeur battre violemment sous sa poitrine, et attendit que la mort arrivât, afin de ne plus attendre. En cet instant, tes membres vigoureux étaient à perte de vue, et s'éloignaient encore, rapides comme une sonde qu'on laisse filer. Une barque, qui revenait de placer ses filets au large, passa dans ces parages. Les pêcheurs prirent Réginald pour un naufragé, et le halèrent, évanoui, dans leur embarcation. On constata la présence d'une blessure au flanc droit; chacun de ces matelots expérimentés émit l'opinion qu'aucune pointe d'écueil ou fragment de rocher n'était susceptible de percer un trou si microscopique et en même temps si profond. Une arme tranchante, comme le serait un stylet des plus aigus, pouvait seule s'arroger des droits à la paternité d'une si fine blessure. Lui, ne voulut jamais raconter les diverses phases du plongeon, à travers les entrailles des flots, et ce secret, il l'a gardé jusqu'à présent. Des larmes coulent maintenant sur ses joues un peu décolorées, et tombent sur tes draps: le souvenir est quelquefois plus amer que la chose. Mais moi, je ne ressentirai pas de la pitié: ce serait te montrer trop d'estime. Ne roule pas dans leur orbite ces yeux furibonds. Reste calme plutôt. Tu sais que tu ne peux pas bouger. D'ailleurs, je n'ai pas terminé mon récit. -- Relève ton glaive, Réginald, et n'oublie pas si facilement la vengeance. Qui sait? peut-être un jour elle viendrait te faire des reproches. -- Plus tard, tu conçus des remords dont l'existence devait être éphémère; tu résolus de racheter ta faute par le choix d'un autre ami, afin de le bénir et de l'honorer. Par ce moyen expiatoire, tu effaçais les tâches du passé, et tu faisais retomber sur celui qui devint la deuxième victime, la sympathie que tu n'avais pas su montrer à l'autre. Vain espoir; le caractère ne se modifie pas d'un jour à l'autre, et ta volonté resta pareille à elle-même.



Moi, Elsseneur, je te vis pour la première fois, et, dès ce moment, je ne pus t'oublier. Nous nous regardâmes pendant quelques instants, et tu te mis à sourire. Je baissais les yeux, parce que je vis dans les tiens une flamme surnaturelle.



Je me demandais si, à l'aide d'une nuit obscure, tu t'étais laissé choir secrètement jusqu'à nous de la surface de quelque étoile; car, je le confesse, aujourd'hui qu'il n'est pas nécessaire de feindre, tu ne ressemblais pas aux marcassins de l'humanité; mais une auréole de rayons étincelants enveloppait la périphérie de ton front. J'aurais désiré lier des relations intimes avec toi; ma présence n'osait approcher devant la frappante nouveauté de cette étrange noblesse, et une tenace terreur rôdait autour de moi. Pourquoi n'ai-je pas écouté ces avertissements de la conscience? Pressentiments fondés. Remarquant mon hésitation, tu rougis à ton tour, et tu avanças le bras. Je mis courageusement ma main dans la tienne, et, après cette action, je me sentis plus fort; désormais un souffle de ton intelligence était passé dans moi. Les cheveux au vent et respirant les haleines des brises, nous marchâmes quelques instants devant nous, à travers des bosquets touffus de lentisques, de jasmins, de grenadiers et d'orangers, dont les senteurs nous enivraient. Un sanglier frôla nos habits à toute course, et une larme tomba de son oeil, quand il me vit avec toi: je ne m'expliquais pas sa conduite. Nous arrivâmes à la tombée de la nuit devant les portes d'une cité populeuse. Les profils des dômes, les flèches des minarets et les boules de marbre des belvédères découpaient vigoureusement leurs dentelures, à travers les ténèbres, sur le bleu intense du ciel. Mais tu ne voulus pas te reposer en cet endroit, quoique nous fussions accablés de fatigue. Nous longeâmes le bas des fortifications externes, comme des chacals nocturnes; nous évitâmes la rencontre des sentinelles aux aguets; et nous parvînmes à nous éloigner, par la porte opposée, de cette réunion solennelle d'animaux raisonnables, civilisés comme les castors. Le vol de la fulgore porte-lanterne, le craquement des herbes sèches, les hurlements intermittents de quelque loup lointain accompagnaient l'obscurité de notre marche incertaine, à travers la campagne. Quels étaient donc tes valables motifs pour fuir les ruches humaines? Je me posais cette question avec un certain trouble; mes jambes d'ailleurs commençaient à me refuser un service trop longtemps prolongé. Nous atteignîmes enfin la lisière d'un bois épais, dont les arbres étaient entrelacés entre eux par un fouillis de hautes lianes inextricables, de plantes parasites, et de cactus à épines monstrueuses. Tu t'arrêtas devant un bouleau. Tu me dis de m'agenouiller pour me préparer à mourir; tu m'accordais un quart d'heure pour sortir de cette terre. Quelques regards furtifs, pendant notre longue course, jetés à la dérobée sur moi, quand je ne t'observais pas, certains gestes dont j'avais remarqué l'irrégularité de mesure et de mouvement se présentèrent aussitôt à ma mémoire, comme les pages ouvertes d'un livre. Mes soupçons étaient confirmés. Trop faible pour lutter contre toi, tu me renversas à terre, comme l'ouragan abat la feuille du tremble. Un de tes genoux sur ma poitrine, et l'autre appuyé sur l'herbe humide, tandis qu'une de tes mains arrêtait la binarité de mes bras dans son étau, je vis l'autre sortir un couteau, de la gaîne appendue à ta ceinture. Ma résistance était presque nulle, et je fermai les yeux: les trépignements d'un troupeau de boeufs s'entendirent à quelque distance, apportés par le vent. Il s'avançait comme une locomotive, harcelé par le bâton d'un pâtre et les mâchoires d'un chien. Il n'y avait pas de temps à perdre, et c'est ce que tu compris; craignant de ne pas parvenir à tes fins, car l'approche d'un secours inespéré avait doublé ma puissance musculaire, et t'apercevant que tu ne pouvais rendre immobile qu'un de mes bras à la fois, tu te contentas, par un rapide mouvement imprimé à la lame d'acier, de me couper le poignet droit. Le morceau, exactement détaché, tomba par terre. Tu pris la fuite, pendant que j'étais étourdi par la douleur. Je ne te raconterai pas comment le pâtre vint à mon secours, ni combien de temps devint nécessaire à ma guérison. Qu'il te suffise de savoir que cette trahison, à laquelle je ne m'attendais pas, me donna l'envie de rechercher la mort. Je portai ma présence dans les combats, afin d'offrir ma poitrine aux coups. J'acquis de la gloire dans les champs de bataille; mon nom était devenu redoutable même aux plus intrépides, tant mon artificielle main de fer répandait le carnage et la destruction dans les rangs ennemis. Cependant, un jour que les obus tonnaient beaucoup plus fort qu'à l'ordinaire, et que les escadrons, enlevés de leur base, tourbillonnaient, comme des pailles, sous l'influence du cyclone de la mort, un cavalier, à la démarche hardie, s'avança devant moi, pour me disputer la palme de la victoire. Les deux armées s'arrêtèrent, immobiles, pour nous contempler en silence. Nous combattîmes longtemps, criblés de blessures, et les casques brisés. D'un commun accord, nous cessâmes la lutte, afin de nous reposer, et la reprendre ensuite avec plus d'énergie. Plein d'admiration pour son adversaire, chacun lève sa propre visière: « Elsseneur!... », « Réginald!... », telles furent les simples paroles que nos gorges haletantes prononcèrent en même temps. Ce dernier, tombé dans le désespoir d'une tristesse inconsolable, avait pris, comme moi, la carrière des armes, et les balles l'avaient épargné. Dans quelles circonstances nous nous retrouvions! Mais ton nom ne fut pas prononcé! Lui et moi, nous nous jurâmes une amitié éternelle; mais, certes, différente des deux premières dans lesquelles tu avais été le principal acteur!


Un archange, descendu du ciel et messager du Seigneur, nous ordonna de nous changer en une araignée unique, et de venir chaque nuit te sucer la gorge, jusqu'à ce qu'un commandement venu d'en haut arrêtât le cours du châtiment. Pendant près de dix ans, nous avons hanté ta couche. Dès aujourd'hui, tu es délivré de notre persécution. La promesse vague dont tu parlais, ce n'est pas à nous que tu la fis, mais bien à l'Etre qui est plus fort que toi: tu comprenais toi-même qu'il valait mieux se soumettre à ce décret irrévocable.


Réveille-toi, Maldoror! Le charme magnétique qui a pesé sur ton système cérébro-spinal, pendant les nuits de deux lustres, s'évapore. »


Il se réveille comme il lui a été ordonné, et voit deux formes célestes disparaître dans les airs, les bras entrelacés. Il n'essaie pas de se rendormir. Il sort lentement, l'un après l'autre, ses membres hors de sa couche. Il va réchauffer sa peau glacée aux tisons rallumés de la cheminée gothique. Sa chemise seule recouvre son corps. Il cherche des yeux la carafe de cristal afin d'humecter son palais desséché. Il ouvre les contrevents de la fenêtre. Il s'appuie sur le rebords. Il contemple la lune qui verse, sur sa poitrine, un cône de rayons extatiques, où palpitent, comme des phalènes, des atomes d'argent d'une douceur ineffable. Il attend que le crépuscule du matin vienne apporter, par le changement de décors, un dérisoire soulagement à son coeur bouleversé.

 

 

 

 

 

Référence : Chants de Maldoror , chant V, dernière strophe : où Maldoror, délivré de son fantasme, pourrait redevenir un homme.
(On verra au chant VI qu'il n'en est rien).


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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 00:36

 

On avait dit au vicaire tout à fait par hasard «  Vous devriez faire de la poésie » et le vicaire avait composé un poème, entre autres,dont les deux premiers vers étaient :

 

«  J'aime la bonne soupe

Le soir après les vêpres »

 

Il la montra au curé qui lui dit : «  Pour la première fois, ce n'est pas mal cette histoire de soupe ; mais ça ne rime pas et ça n'a pas de rythme. A mon avis, si vous n'alliez pas si souvent à la ligne, ça serait de la prose ».

 

Et le vicaire concéda qu'il pourrait introduire quelque coupe. «  Une coupe de vin ça n'est pas déplacé dans un bon repas et ça rime avec soupe. C'est ennuyeux pour les vêpres, dit-il, je ne vois que cèpes, mais il manque un «  r ». Est-ce permis? Ou alors lèpres, mais comment introduire ce mot dans un morceau si joyeux? »

 

«  Voyez-vous, fit le curé, c'est là la difficulté de la poésie. »

 

Et le vicaire haussant les épaules conclut «  c'est un genre faux », et n'en écrivit plus jamais d'autre.


 

Référence «  128 poèmes composés en langue française de Guillaume Apollinaire à 1868 »choisis et présentés par Jacques Roubaud, (pièce N° 96) Gallimard, 1996.

 

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1 novembre 2009 7 01 /11 /novembre /2009 10:23

L’Adieu

 


 



 





J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps Brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends




Guillaume Apollinaire

 

Alcool fut publié en 1913. Guillaume Apollinaire, de son vrai nom Wilhelm de Kostrowitzky n'obtint que peu de succès suite à cette publication, comme il est d'usage pour presque tous les chef d'œuvre : ils ne sont pas écrits pour satisfaire le public, l'auteur ayant des exigences plus élevées, et de ce fait le rebutent d'emblée.

La remarque de Georges Duhamel qui qualifie cette œuvre de «  boutique de brocanteur » n'est pas forcément péjorative.


J'ai compté en tout trente pièces. Elles sont en vers libres ou blancs. Apollinaire livre ses textes sans ponctuation, mais l'a retirée après l'avoir mise. Elle existe donc mais dissimulée: c'est un de ces messages à l'encre sympathique...


Adieu est un poème court ; le plus bref est le célèbre «  Chantre » qui est un seul vers à lui seul. Il y en a aussi de fort longs ( Zone).

D'autres poèmes que l'adieu traitent du voyage de l'errance de la solitude.

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24 octobre 2009 6 24 /10 /octobre /2009 23:33

Ni vu ni connu
Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu !


Ni vu ni connu,
Hasard ou génie ?
A peine venu
La tâche est finie !


Ni lu ni compris ?
Aux meilleurs esprits
Que d’erreurs promises !


Ni vu ni connu,
Le temps d’un sein nu
Entre deux chemises !


Paul Valéry ( Charmes)

 

Extrait de Charmes, recueil paru en 1921. Paul Valéry a cinquante ans. Sa maîtrise des techniques poétiques est parfaite, son expérience étendue. "Charmes" comporte vingt-deux pièces dont j'ai lu  environ la moitié.  Ce sont  de vraies merveilles.

 

Beaucoup de ces poèmes célèbrent la vie, les sensations,  des états d'esprit, l'émerveillement devant la beauté et la complexité du réel ( L'Abeille, Les Grenades, Les Pas, l'Aurore,le Cimetière marin...) c'est aussi le cas pour le poème que j'ai choisi. Même si le sens nous entraîne aussi au-delà d'une simple célébration.

 

Le Sylphe peut paraître très court , très concis à tous les points de vue : brièveté du mètre ( pentasyllabique) et du poème lui-même ( quatre strophes et quatorze vers ).  C'est qu'il exprime la brièveté de la vie,   la contradiction qu'est le vivant qui court vers la mort ( vivant et défunt), l'impossibilité de s'incarner mais non de s'impliquer (  il existe une " tâche" à accomplir) ni de se procurer du plaisir( sein nu).

Le ton est emprunt d'ironie ( "Ni vu ni connu", comme si l'on jouait à quelque jeu de dissimulation) et même d'un certain humour mélancolique. Le rythme vif de cette course n'empêche pas des modulations fort diverses ( interrogations, exclamations, et le temps de souffler ( entre les virgules).


Mais il est aussi une figure du poète, ( ni lu ni compris?) et  l'insaisissable de la  production poétique ( dans ses effets).  Une autre représentation de la création poétique est donnée dans " la Pythie" (  celui-là très long et de facture tragique) qui énonce aussi l'impersonnalité de la poésie, certes sur un ton bien différent...


"Voici parler une sagesse
Et sonner cette auguste Voix
Qui se connaît quand elle sonne
N’être plus la voix de personne
Tant que des ondes et des bois
!"

 

 

 

 

 

 

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