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15 mai 2008 4 15 /05 /mai /2008 23:24

Gallimard (l'Imaginaire) traduction Roger Caillois et René Durand, 1977

1) L'Immortel

Cette nouvelle est précédée d'un aphorisme de francis bacon «  Salomon said there is no new thing upon earth »

d'un extrait de Platon «  All knowlodge was but remembrance »
"J'ai été Homère, bientôt je serais Personne, comme Ulysse ; bientôt je serais tout le monde, je serais mort ».

 

 


Ainsi se termine le  fascicule indiqué comme étant la narration de Joseph Cartophile, que la princesse de Lucinges trouve à Londres dans un volume de  l'Iliade traduction de Pope, qui lui a été donné par le libraire, ce même Joseph qui a dissimulé son histoire dans l'Iliade.

 Le récit c'est sa lecture de ces feuillets :

A l' origine, écrit  Cartaphile, à la première personne du singulier,  il s'appelle Marcus, et il  est soldat de l'empereur Dioclétien.  Il a participé à des  conflits armés en Egypte notamment,  mais la guerre en tant que soldat romain ne lui  a pas permis  d'être un héros. Dans les jardins de Thèbes, un cavalier vient lui révéler l'existence d'un fleuve donnant l'immortalité et d'une cité «  des Immortels ».

Il part avec ses hommes (dont il se débarrasse en route) vers la cité en question,  se lance dans cette  aventure qu'il espère enfin héroïque.

Les philosophes romains disaient «  allonger la vie, c'est allonger l'agonie »  Cette pensée le fait hésiter.  Pourtant la vie avec la mort au bout est elle-même une agonie. Atteint dès le départ par le processus de vieillissement, le corps est  tout entier tendu vers la mort.

 Toutefois, il s'introduit dans le labyrinthe, une pièce donnant sur une autre toute semblable.... Tout en faisant des rêves prémonitoires, il atteint la cité en question.

Il rencontre les Troglodytes (ici cela a le sens de « barbare ») qui sont immortels  ils sont devenus muets et illettrés ; l'oubli a fondu sur eux.

Comme les Lotophages dans l'Odyssée.

Cette cité, raconte l'ex-soldat, n'est pas comme le labyrinthe conçu pour y parvenir et qui  plonge l'homme dans la confusion.

 La cité est seulement absurde, sans invention dans son architecture, un complet « non-sens »

Elle est insupportable et elle rend fou. Pas de description possible. Elle résiste à toute synthèse.

«  Etre immortels est insignifiant ; à part l'homme, il n'est rien qui ne le soit, puisque tout ignore la mort. Le divin, l'incompréhensible, c'est le savoir immortel ».

La roue des indiens : chaque vie est la conséquence d'une vie intérieure et détermine la suivante. Aucune ne détermine l'ensemble.

Les Immortels voulurent vivre (après la cité) dans la pensée et la pure spéculation ;  la vanité de toute entreprise leur est apparue.


Le héros boit à un ruisseau devant la cité  pour ne pas mourir de soif.

Devenu lui-même immortel, il  espère  « un autre fleuve » dont les eaux effacent l'immortalité. Car le mode de vie des Immortels c'est d'être invulnérable à la pitié, le destin personnel ne les intéresse plus. Corps dociles, animal domestique. Plaisir de la pensée. Parfois restitution du monde physique, grâce à une excitation particulière produite par ce phénomène naturel qu'est la pluie.


Mais l'aventure en est absente : ce qui fait l'intérêt de la vie, cette urgence qui donne du poids à ce que l'on fait, même les menues activités, c'est la pensée que l'on va mourir...
Si cette pensée vient à manquer, l'on sombre dans un cauchemar  qui n' ren de commun avec ceux des vivants.

Comme disait Franz Kafka " l'éternité c'est bien long, surtout vers la fin". Le héros du conte n'en peut plus...


En 1921, il se trouve à boire dans un ruisseau d'eau claire. Un arbuste le déchire et il sent la douleur et voit son sang : il est redevenu mortel tels qu'autrefois, ayant bu dans un fleuve qui entourait Thèbes. Il retrouve son état antérieur en buvant à une source un peu semblable à celle qui le fit muter.


Le héros évoque ensuite ses vies diverses dont il se souvient pour chaque d'un fait saillant : traducteur, joueur d'échec, astrologue lecteur d'Homère, assistant de Giambattista Vico qui conçut l'histoire «  circulaire » en opposition  à linéaire.

Commentaires sur ses vies : « mots déplacés et mutilés, mots empruntés à d'autres, telle fut la pauvre aumône que lui laissèrent les hommes et les siècles".

Lorsque s'approche la fin, il ne reste plus que des mots. «  Il n'est pas étrange que le temps ait confondu ceux qui  furent symboles du sort de l'homme qui m'accompagna tant de siècles. »

J.Cartaphile dit qu'il  lui semble parler un peu toutes les langues. Il est libraire en 1929.

 Meurt peu après.


Ce héros ressemble à Borges lui-même, pour qui l'héroïsme est un thème central. Il  veut, comme chez Hegel, mettre sa vie en jeu, et non travailler comme l'esclave.

L'autre thème est l'éternel retour (histoire circulaire, répétition des mêmes schémas toutefois dans des existences diverses).


Un conte philosophique  auquel on peut encore réfléchir.


 






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14 avril 2008 1 14 /04 /avril /2008 23:46

Ce récit a été publié en Argentine en 2005, et chez Christian Bourgois dans la traduction de  Michel Lafon en 2008.


L'auteur l'annonce sans ambages dès l'incipit  («  J'étais une petite fille de sept ans, princesse d'un pays de conte de fées ») il investit le genre du conte.

Il a déjà renouvelé et dévié  le récit de voyage initiatique (Un Episode de la vie du peintre voyageur), le roman  psychologique («  Varamo »), le roman noir («  Les Nuits de Flores ») les enrichissant de sa fantaisie et  de son érudition.


La petite ramasse ce qu'elle croit être une pierre précieuse, mais  au toucher l'objet se révèle mou et sans forme, fait d'une substance onctueuse inconnue, peut-être répugnante, et qui sent bon.

C'est l'annonce de toutes sortes d'expériences à venir, que sa curiosité insatiable lui fera toujours apprécier (je voulais toujours tout essayer...j'étais un cas extrême de je te vois je te veux).

Au deuxième chapitre, elle présente son père «  Le Roi mon père...c'était un saint ou en langage courant un brave homme », et le grand château où ils vivent...


En effet, le héros du conte n'est pas la petite fille en elle-même, mais le couple « la princesse et son père », d'autant plus exemplaire, qu'ils ne sont jamais désignés  par un prénom ou un nom.

Pour la fillette son père fut mal marié avec une fausse psychologue  qui a également menti sur son âge, une marâtre, qui torture son père (Bien évidemment, à sept ans elle prend le parti du père), et «  elle venait d'un autre milieu, du monde phosphorescent des célébrités, ambitieuse, passionnée pourquoi avait-il fallu qu'elle épouse un obscur rêveur impénitent »


Le père, employé de bureau, pour échapper à cette conjugalité atroce accepte de « vendre son âme  aux puissances surnaturelles, en échange de la réalisation de tous ses désirs... pour la première fois de sa vie, il paya au prix fort..»


Nanti de ces pouvoirs, le père achète un domaine, procure à sa femme une petite fille ( la source inépuisable me produisit)  mais s'occupe seul de cette enfant » ma relation avec papa était la source des histoires, de tout ce qui donnait du charme et de l'intérêt à la vie » , et en fin de compte crée un  royaume pour lui et sa fille «  la monarchie turque de Biscaye » qui peut dès maintenant occuper une place de choix dans la prochaine édition du  dictionnaire des « lieux imaginaires » de Manguel.


Le rationnel côtoie le féérique, non sans ironie : ce pays est reconnu par la communauté européenne. Quoique turc, il se situe quelque part dans le pays Basque...il y a des montagnes ténébreuses, des hivers aux pluies interminables, de drôles de vipères...

Ils ont deux principaux  serviteurs : un goûteur de plat (Prospero) et un  « poète classique biscayen » Héctor, que papa nomme juge errant « chargé de rendre la justice là ou la justice ne parviendrait pas ». La description qui est faite d'Héctor est celui d'un bouffon de cour. Nul n'a jamais lu ses vers « mais il savait distinguer entre la simple extériorisation de sentiments et une véritable confrontation avec  la littérature ».


Un jour, le roi est mis en difficulté par ses sujets à cause de  couteaux qui se transforment en vipères. Des hommes-boucs prennent la fillette en otage et la tiennent prisonnière dans un vieux cinéma désaffecté. N'est rendue que contre son âme. «  Dépouillée de mon âme, c'est-à-dire de mon éternité, j'entrais dans le cours inexorable du temps. Et comme aucun père ne veut que sa fille grandisse et cesse d'être une fillette, il devenait impératif de récupérer mon âme ».

 

Ils se mettent en route vers le cinéma désaffecté. Le poète juge devient porte-bagage... 


 Le récit de « la petite goûteuse » est fort savoureux, mais il n'est pas toujours aisé d'interpréter les différentes séquences. On peut méditer longtemps sur la signification des «  hommes-boucs » ; d'un vieux perroquet qui guérit la surdité lorsqu'il profère un mot ; du poète juge qui devient porte-bagage ; du Christ, personnage à barbe noire qui habite un vieux château, avec des Papes pour servir un repas copieux. On discute de l'opportunité de faire installer l'électricité...  

«  Ma Mère me fait un chantage permanent avec sa mauvaise santé »dit aussi ce Christ-là, qui a néanmoins  un but «  arriver à boucler un jour son grand œuvre, l'herbier chimique des émotions ».


Lire la présentation de l'auteur sur le site deChristian Bourgois

Un autre article très agréable à lire sur le site du Matricule des Anges 

Mes  billets sur  Varamo et   Un épisode  de la vie du peintre voyageur

Un article intéressant sur le blog Wodka

 

 

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21 septembre 2006 4 21 /09 /septembre /2006 10:04

l'Idole des Cyclades

 

Deux archéologues, Somoza et Morand ont déterré une statuette dans une petite île grecque Skoros pendant leurs vacances. Morand est avec Thérèse et Somoza porte la chandelle ce qui gêne le couple. Tous trois font passer la frontière à cette « idole » primitive datant des temps préhistoriques. Thérèse a caché l'idole avec succès dans un sous-vêtement de sa propre lingerie.

Deux ans plus tard, Somoza possède toujours la statuette dans son atelier. Il est tombé amoureux de cette déesse préhistorique et en a fait de nombreuses copies ; il n'est satisfait d'aucune mais tient des propos bizarres à Morand comme s'il était  possédé et cherchait à se mettre en transe. Tout cela semble concerner Thérèse...

 la situation se retourne brutalement en une chute d'autant plus excellente qu'elle est rapide et parfaitement logique sans être vraiment attendue...

 

La Nuit face au ciel

«  Et à certaines époques, ils allaient chasser l'ennemi : on appelait cela la guerre fleurie »

 

C'est une nouvelle à un seul personnage (comme  le singulier  récit «  N'accusez personne » ) ; un jeune motocycliste est victime d'un accident de moto en voulant éviter une femme qui traverse au vert. Après l'évanouissement, il revient à lui, se voit transporté, prend acte d'un membre cassé, de son transport à l'hôpital et perd conscience de nouveau. Sa conscience de blessé hospitalisé, plâtré, buvant un bouillon, ou de l'eau minérale, écoutant les malades autour de lui, alterne avec un mauvais rêve dans lequel il doit lutter contre les Aztèques pour éviter d'être sacrifié.   Le récit est une vraie réussite ; insoutenable de part en part à cause de tout petits détails de vie quotidienne se mêlant au grand rêve du guerrier luttant contre les barbares, à cause du rendu  de l'interminable souffrance physique et morale du personnage.

 

Fin d'un jeu

La nouvelle qui donne son titre au recueil est l'une des plus réussies.

Le peu que je sais de la biographie de Cortazar ne fait pas état de frère ou de sœur ni de progéniture ; cependant plusieurs de ses nouvelles mettent en scène des enfants ou de jeunes adolescents et ce ne sont pas les moins bonnes.

Ici  c'est une narratrice d'une douzaine d'années qui prend la parole ; elle est la cadette de trois sœurs qui ont l'habitude de se déguiser et de faire du théâtre après le déjeuner aux alentours de la maison familiale «  au bas d'un remblai  à l'ombre des saules près de la voie ferrée ». C'est beaucoup plus sophistiqué. Le jeu est dirigé par Léticia leur aînée qui tire au sort l'une d'entre elle et le jeu qu'elle doit jouer : soit une statue, soit une attitude ; les « attitudes sont des allégories de sentiments : l'Envie, la Charité, la Honte... qui doivent être jouées avec un maximum de mimiques expressives et peu d'ornements.

Léticia l'aînée, maîtresse du jeu, est invalide ; elle souffre d'une malformation de la colonne vertébrale. La narratrice l'appelle aussi la « Vénus de Nino » qui renvoie effectivement à une statue, mutilée de surcroît.

«  Elle savait qu'on ne lui dirait rien, que dans une famille où quelqu'un a un défaut de conformation et beaucoup d'orgueil, tout le monde, à commencer par la malade elle-même, fait semblant de l'ignorer ou plutôt ont fait ceux qui ne savent pas que l'autre sait. »

 

Si les filles se donnent autant de  mal c'est  qu'elles ont des spectateurs . Le jeu va prendre une nouvelle tournure le jour où un l'admirateur se manifeste...

 

 

Chaque nouvelle du recueil «  Fin d'un jeu «  révèle en effet la dangerosité du jeu ( de la mise en scène à laquelle se livrent des partenaires liés par une sorte de mauvaise plaisanterie qui débute de façon très ordinaire, comme un jeu ou comme une  politesse qu'on se fait, une histoire que l'on se raconte pour éviter la réalité gênante, l'embellir, ou n'en parler que par euphémisme. Cependant le jeu se développe, prend une ampleur inattendue et  les personnages  s'y trouvent englués, parfois incapables de s'en sortir  autrement que par une issue fatale. Beaucoup de ces nouvelles sont des histoires de possession

 

 

(voir aussi «  Les Ménades »)

 

 

 

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25 août 2006 5 25 /08 /août /2006 21:00
TOUS les feux le feu . 1966 .
 Nous avons huit nouvelles : le titre fait référence aux deux nouvelles en contrepoint qui s’annulent l’une l’autre dans une incendie.
 
Toutes les nouvelles jouent sur deux séries qui s’opposent et se rejoignent : deux vies, deux personnages, deux espaces, 2 récits différents
 
 
L’Autoroute du sud.
 
Cette nouvelle a été adaptée au cinéma par Ettore Scola sous le titre «  Le Grand embouteillage ».
 
Le changement de vie : des automobilistes immobilisés sur une autoroute recréent une société, forment une communauté, reproduisent une organisation sociopolitique. Le personnage principal dit «  l’ingénieur de la 404 » représente le point de vue dominant.
Bientôt les personnages sont identifiés à leurs véhicules. «  Dauphine » « Taunus » ( c’est le chef) « simca » . Où en référence à leur âge : «  les vieux de la DS » ou à la religion «  les bonnes sœurs de la 2CV »
 
Des événements essentiels se produisent de ceux qui contribuent à souder une communauté : des décès ( le suicidé de la caravelle) ; des repas, ; des échanges de véhicules/domiciles.
 
Le cadre devient anachronique lorsque survient la première neige sur cette autoroute de retour de vacances. On commence à assurer la circulation des biens grâce à « La Porsche », dont le propriétaire a des relations avec l’extérieur au départ et de ce fait organise une activité commerciale au sein du groupe.
 
 Le temps subit des distorsions importantes puisque plusieurs saisons se succèdent en vingt-quatre heures qui sont vécues comme de longues périodes de temps.
 
Et puis, le « bouchon » cesse, les autos repartent, la vie recommence : les occupants des véhicules veulent croire que c’était un rêve sauf l’ »ingénieur de la 404 » qui croit bien avoir procréé.
 
2) La Santé des malades.
 
L’humour noir y est prédominent, davantage encore que dans la précédente : Il s’agit aussi d’une situation courante mais pathologique. Les membres d ‘une famille entretiennent la vie de leurs morts par discours lettres et pensées. Les vivants sont les vrais morts. Dans cet univers carcéral, quitter la mère, c’est mourir : (Ceux qui ont quitté la maison familiale succombent à des accidents) Alexandre le fils, ayant terminé ses études, a pris un avion pour Buenos Aires où l’attend une bonne situation. L’avion s’écrase sans survivants…
L’agencement ingénieux du récit c’est de le débuter sur Célia qui va mourir puis de faire un long flash-back sur Alexandre.
On a caché à maman ( diabétique, dépressive) la mort d’Alexandre qu’elle n’aurait pas supporté de savoir. Garder le mort en vie pour la mère, se révèle un avantage : Charles prend la place de son frère plus brillant …et mort. Maintenant il faut lui dissimuler la mort de Célia dont les malaises et le passage de vie à trépas sont évoqués entre parenthèse ou par petites phrases rapides pour laisser place au grand jeu : comment maintenir une morte de plus en vie pour maman ?
Les filles se racontent à l’envi «  la vie des morts » qu’elles inventent pour en faire le récit à maman. Il y a aussi ces lettres innombrables que les vivants doivent écrire pour en faire la lecture à maman et qui remplacent les visites que les morts remettent toujours à plus tard grâce à d’ingénieux prétextes. C’est aussi ce que fait l’écrivain avec ses personnages pour le lecteur. La création littéraire est souvent montrée dans ces situations apparemment sans rapport.
C’est un thème fréquent et on l’exploite pour montrer que le « disparu » dont on veut cacher le décès par égard pour quelqu’un  n’est mort pour personne surtout pas pour les mystificateurs, très heureux de maintenir sa présence ! On se souvient du film «  Good Bye Lenin » où c’est la chute du mur de Berlin qui est cachée à la mère  dont la santé chancelante ne pourrait le supporter… à grennd renforts de moyens audio-visuels sophistiqués ; plus récemment, on pourrait aussi évoquer le film de Julie Bertuccelli «  Depuis qu’Otar est parti » qui exploite le même thème avec autant de talent que Cortazar me semble t’il.
 
La pointe qui clôt le récit est l’une des meilleures jamais trouvées.  L’une des filles survivantes reçoit une lettre d’Alexandre ( écrite à l’intention de maman par son frère sa sœur ou elle ) la lettre d’un mort qui s’adresse à une morte puisque maman elle aussi s’est éteinte, rendant inutile la comédie qu’ils se jouaient . Mais comment vivre si les morts doivent être vraiment morts ?
Aussi la jeune femme qui reçoit la lettre se demande spontanément : «  comment annoncer à Alexandre la mort de maman ? »
 
 
3) Réunion : le narrateur de l’histoire est supposé être Che Guevara non nommé, mais parfaitement reconnaissable.
En 1958, ils prennent le pouvoir à Cuba, renversant Battista avec Castro ( «  Luis dont personne ne peut porter le masque »). L’accent est mis sur l’enthousiasme révolutionnaire dû à la jouissance de faire la guerre, de risquer sa vie,  comme un jeu, à la solidarité au sein du groupe. Des thèmes peu pratiqués jusque là par Cortazar mais qui témoigne  d’une époque où l’auteur amalgame esthétisme et dénonciation sociale et envisage la littérature comme un acte révolutionnaire. Toutefois, des idées, un programme éthique sérieux, est revendiqué. Méditation sur le « quatuor « La Chasse » de Mozart en contemplant des feuilles d’arbres, un lyrisme qu’ à priori je n’aurais pas  prêté à Guevara mais la nouvelle est inspiré de son livre « passage de la guerre révolutionnaire ».
 
4) Mlle Cora
 
Plusieurs monologues et dialogues se succèdent sans transition, ponctuation ni incises et reviennent de l’un à l’autre. Les locuteurs ne se présentent pas de sorte qu’on a l’impression de surprendre des bribes de pensées ou de conversation.
Un adolescent hospitalisé se rapporte la relation qu’il a avec son infirmière Mlle Cora en le commentant. Elle fait de même. Ils se répondent imaginairement sans s’entendre. La communication est d’une nature particulière puisque les paroles qu’ils ont échangées ne sont qu’évoquées. Et peut-être ne se sont-ils rien dit en réalité.  Secondairement, on lit aussi des paroles et des transcriptions de pensées attribuables à d’autres personnages : des chirurgiens dont l’un est lié à Mlle Cora, la mère de l’adolescent…
Cette manière de transcrire le discours donne lieu à des ambiguïtés
Intéressantes.
Mais je ne vois pas la nécessité de faire mourir l’enfant : ceci n’a rien à voir avec le but recherché : témoigner d’une certaine forme de communication.
 
5) L’île  à Midi. Vie monotone Ennuyeuse, autre vie entrevue par un hublot : fantasme. Il arrive si vite qu’il en meurt. Impression que l’avion n’est pas tombé par hasard mais par l’effet de la volonté du narrateur.
 
6) Directives pour John Howell est une variation sur le « Paradoxe du comédien » . Fiction jeu et réalité. Où l’on est un autre personnage. Doubles l’acteur improvisé et le principal. Rice est le vrai nom du personnage et Howell celui de l’acteur. L or qu’ils se rejoignent à la fin, on pense qu’ils se prennent l’un pour l’autre et pourraient se détruire.
 
 
 
7) Tous les feux le feu
Deux histoires en contrepoint. Comme chez « Mlle Cora », les paroles de deux personnages.
A) A Rome, un empereur, mari jaloux , une femme , un gladiateur séduisant que le jaloux va sacrifier.
B) De nos jours, un ménage à trois, même histoire, même déroulement. Les deux histoires prennent le relais l’une de l’autre sans transition apparente mais le parallélisme est évident. Les victimes se succèdent dans le même ordre : le jaloux, le troisième qui n’en peut mais. Et l’incendie qui éclate dans chaque histoire fait flamber les deux récits ensemble et mourir les personnages restants.
8) L’Autre ciel.
 
Les deux hémisphères. Deux lieux, deux vies pour le narrateur qui s’ennuie à Buenos Aires, et, chaque fois qu’il emprunte le passage Guèmes, se retrouve à Paris avec Josiane, menant une existence passionnante à la poursuite du fantôme de Lautréamont. Cf la citation en exergue.
Rue Vivienne, le quartier où vivait l’auteur des « Chants » , il retrouve Josiane, quand il se lasse de son épouse à Buenos Aires. Ce pourrait être une histoire qu’il se raconte mais il la présente comme vraie : au-delà du passage de Guèmes, c’est l’univers du fantasme : Josiane est une prostituée amie, elle est plus excitante que l’épouse ( Schéma classique…) et autour d’elle rôdent des personnages ambigus haut en couleurs plus ou moins hors-la loi. L’existence magique commence donc à Paris, toujours à la nuit tombante, dans des bars mal famés ; un serial killer hante le coin. Il a tué des femmes, et ne peut être que Maldoror, suivant l’étroite communication que le narrateur entretient avec les « Chants ». Josiane et lui croisent plusieurs fois un individu qui leur paraît louche et intéressant à la fois. Ce pourrait être le tueur, ou un observateur fasciné une sorte de double du narrateur : et bien sûr, il est Isidore Ducasse, non nommé mais reconnaissable ce qu’on dit de lui ressemble au peu que l’on en sait, dans la fiction. Et un jour, le tueur est pris, et l’étrange individu disparaît. Ne faisait-il qu’un avec le tueur ?
Puis c’est toute l’histoire qui s’effiloche : Josiane quitte le quartier, le narrateur doit renoncer à son rêve éveillé…
la rencontre de Cortazar avec Lautréamont est fort intéressante. Si l'on ne devait lire qu'une seule de ces nouvelles, on pourrait peut-être choisir celle-là.
 
Lisez  aussi l'article du Dr Orlof que je viens de trouver ! Passionnant...
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23 août 2006 3 23 /08 /août /2006 17:52

 

Deuxième nouvelle de " Tous les feux le feu" ( 1966),je brûle d'en faire un billet séparé...

 


   L’humour noir y est prédominent, davantage encore que dans la précédente : Il s’agit aussi d’une situation courante mais pathologique. Les membres d ‘une famille entretiennent la vie de leurs morts par discours lettres et pensées. Les vivants sont les vrais morts. Dans cet univers carcéral, quitter la mère, c’est mourir : (Ceux qui ont quitté la maison familiale succombent à des accidents) Alexandre le fils, ayant terminé ses études,  a pris un avion  pour  Buenos Aires où l’attend une bonne situation. L’avion s’écrase sans survivants…

 

 

L’agencement ingénieux du récit c’est de le débuter sur Célia qui va mourir puis de faire un long flash-back sur Alexandre.

 

 

On a caché à maman ( diabétique, dépressive) la mort d’Alexandre qu’elle n’aurait pas supporté de savoir. Garder le mort en vie pour la mère, se révèle un avantage : Charles prend la place de son frère plus brillant …et mort. Maintenant il faut lui dissimuler la mort de Célia dont les malaises et le passage de vie à trépas sont évoqués entre parenthèse ou par petites phrases rapides pour laisser place au grand jeu : comment maintenir une morte de plus en vie pour maman ?

 

 

Les filles se racontent à l’envi «  la vie des morts » qu’elles inventent pour en faire le récit à maman. Il y a aussi ces lettres innombrables que les vivants doivent écrire pour en faire la lecture à maman et qui remplacent les visites que les morts remettent toujours à plus tard grâce à d’ingénieux prétextes. C’est aussi ce que fait l’écrivain avec ses personnages pour le lecteur. La création littéraire est souvent montrée dans ces situations apparemment sans rapport.

 

 

C’est un thème  fréquent et on  l’exploite pour montrer que le « disparu » dont on veut cacher le décès par égard pour quelqu’un  n’est mort pour personne surtout pas pour les mystificateurs, très heureux de maintenir sa présence ! On se souvient  du film «  Good Bye Lenin » où c’est la chute du mur de Berlin qui est cachée à la mère  dont la santé chancelante ne pourrait le supporter… à grennd renforts de moyens audio-visuels sophistiqués ; plus récemment, on pourrait aussi évoquer le film de Julie Bertuccelli «  Depuis qu’Otar est parti » qui exploite le même thème  avec autant de talent que Cortazar me semble t’il.

 

 

 

 

 

La pointe qui clôt le récit est l’une des meilleures jamais trouvées.  L’une des filles survivantes reçoit une lettre d’Alexandre ( écrite à l’intention de maman par son frère sa sœur ou elle ) la lettre d’un mort qui s’adresse à une morte puisque maman elle aussi s’est éteinte, rendant inutile la comédie qu’ils se jouaient . Mais comment vivre si les morts doivent être vraiment morts ?

 

 

Aussi la jeune femme  qui reçoit la lettre se demande spontanément : «  comment annoncer à Alexandre la mort de maman ? »

 

 

 

 

 

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19 août 2006 6 19 /08 /août /2006 10:09

       Antonioni s'est inspiré de cette nouvelle pour « Blow up » : je me souviens d'un photographe de mode, David, qui, dans un parc londonien, prend une photo de couple et s'aperçoit, l'image développée tirée et agrandie, qu'il s'agissait d'un crime  et non de jeux amoureux... 

     Le narrateur de la nouvelle, Michel, qui parle de lui à la 1ère et troisième personne, tantôt relate ce qu'il fait, tantôt le critique ( « A quelle personne faudrait-il raconter cela ?» et «  qui a vu ? ») prend des photos en  amateur et ne souhaite pas faire de l'esthétique  (il est traducteur d'espagnol de son métier) mais lui aussi tient à dérober une part de réel, à traquer,  à voir ce qu'il ne devrait pas voir, et le retenir. 

Jusqu'ici  il s'est borné à surprendre de petits spectacles étranges,   des moments d'instabilité  «immortaliser  un chat en équilibre précaire sur une vespasienne »...


  Ce jour-là il est intéressé par un couple à la pointe de l'île St Louis ( ici  l'action est à Paris)un garçon très jeune et une jolie femme qui pourrait être sa mère : jeux amoureux qu'il regarde «  s'il y a une chose que je sais faire c'est regarder » inventant une petite biographie pour l'adolescent et s'amusant à supputer jusqu'où iront les choses, s'il perdra sa virginité ou non avec cette femme, et imaginant la suite de l'histoire.

 

Quand il a pris enfin son cliché, la femme l'a vu, la femme réclame l'image, le garçon s'enfuit, un homme plus âgé apparaît...


« Ils me regardaient, lui surpris et interrogateur, elle irritée et hostile de corps et de visage, qui se savaient volés, ignominieusement pris dans une petite image chimique » ; le récit le dit et le répète à l'envi sous diverses formes prendre la photo c'est aussi un crime, c'est voler les gens, voler leurs corps leur image,  et peut-être leur âme.

 

Et  l'on ne prend la photo que pour surprendre ( et prendre)  quelque spectacle interdit. Celui qui prend la photo est criminel, voleur,  ceux qui se font prendre se rendent également coupables de quelque étrangeté qui justifie précisément qu'on  les « prenne », étrangeté qui devient un délit au moins dans l'interprétation du photographe. 


La photo en question n'est pas récupérée, et il n' s'agissait pas non plus d'un crime de sang. Tout au plus un couple pervers  voulait-il corrompre un mineur lui promettant de l'argent ; c'est ce qui apparaît sur l'image qui hante le photographe ; une interprétation à partir des gestes, des expressions  et de ce qui advint lorsque son cliché fut pris. «  cette femme n'était pas là pour son plaisir, elle n'encourageait pas, ne caressait pas pour s'emparer de l'ange dépeigné et s'amuser ensuite de sa terreur de sa grâce haletante. ..le maître véritable attendait ...il n'était pas le premier à  envoyer une femme en avant-garde pour lui ramener des prisonniers ligotés de fleurs »    Mais le photographe a  interrompu la manœuvre et «  sauvé  le garçon pour cette fois.  Ce spectacle interdit peut s'énoncer « un homme et une femme persécutent un enfant  qui veut faire comme les adultes »  variante de la scène du crime imaginée par Antonioni.


Pourquoi  « les fils de la vierge » ? Ici une ambiguïté surgit du fait qu'en français  fils (ficelles) et fils (rejeton) sont  homonymes. Ce n'est pas le cas en espagnol.

Le garçon aux prises avec les adultes mal intentionnés «  prit se jambes à son cou ... et se perdit comme un fil de la vierge dans l'air du matin » dès lors que l'altercation au sujet du cliché  détourne l'attention de ses persécuteurs supposés. « Mais les fils de la vierge s'appellent aussi dans mon pays la bave du diable et Michel dut  supporter  de minutieuse invectives ...de la part de la femme et l'homme en gris. »  Double signification : cheveux  d'ange ( le garçon est plusieurs fois comparé à un ange )  et  aussi fils minuscules secrétés par les araignées pour tisser leur toile.  Le narrateur se laisse prendre dans le filet où les deux adultes voulaient faire tomber le jeune garçon. Ce filet, c'est aussi et en définitive lui qui le tisse, écheveau inextricable de rêveries fascinées par les images vues et ce qu'elles supposent de luttes d'enfant ange avec les parent- démons, de crime,  de perte de virginité...



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14 août 2006 1 14 /08 /août /2006 18:08

 

     Le narrateur assiste à un programme de musique classique  varié et sans surprise ( le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, le Dom Juan de Strauss, la Mer de Debussy, La Cinquième…) 

le chef d’orchestre fête ses cinquante ans de métier ; ce n’est pas, de l’avis du narrateur, un orchestre réellement génial, mais  ses performances sont honorables et même intéressantes.  Le public :  «  des gens tranquilles  et comme il faut » qui ont l’habitude des concerts de ce type.  Rien qui puisse déclencher le moindre trouble… et pourtant, ce soir là  cet auditoire ( hommes et femmes de tous âges ) se montre  dès le départ étrangement sur excité comme s’il s’agissait d’un événement  d’une extrême importance.  Leur exaltation se traduit d’abord en paroles : un enthousiasme que le narrateur juge  exagéré et puéril à l’égard des mérites du Maître : on  a ressenti  l’interprétation  comme vibrant d’une intensité dramatique irrésistible ; le narrateur l’a jugée au contraire «  sèche et retenue ».
 

 

Pendant le deuxième acte, il remarque une femme vêtue d’une robe rouge qui passe entre les sièges et semble hystériser la salle. L’assistance se transforme progressivement en une meute de fans déchaînés qui envahit la salle  et s’empare des musiciens de leurs instruments, saisissent le Maître par les chevilles et l’entraînent  hors champ. Le narrateur reste étranger à ce délire ( ainsi qu’un autre  auditeur aveugle un  sage aède ) et commente ironiquement les agissements de cette foule dont la vénération outrancière  devient agressive et volonté de destruction aveugle, à cause de « la femme en rouge et son fidèle cortège ».

Il est comique d’imaginer pareille fête dionysiaque dans ce type de concert et le narrateur ne se prive pas d’en suggérer les détails….

 

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14 août 2006 1 14 /08 /août /2006 16:21

   

    Le recueil : «  Fin d’un jeu » (1956-64) ; déjà traduit en français rassemble une assez grande diversité de nouvelles.


  La surprise ( toujours renouvelée)  c’est « N’accusez personne » ( No se culpe a nadie) dans la première partie du recueil, un récit des années cinquante, d’une grande virtuosité, cruel, angoissant, violemment ironique, et qui mérite la plus grande attention. Trois pages, deux ou trois longues phrases, un personnage, un homme, un lieu, sa chambre avec fenêtre  grande ouverte, une action : enfiler un pull-over bleu marine, action qui se révèle  malaisée, impossible,  générant des sensations effrayantes.  L’injonction qui sert de titre à ce récit, indique au lecteur aussi bien qu’aux proches de l’homme aux prises avec le maudit vêtement, que l’on ne peut pas conclure à  l’intervention d’une puissance maléfique,  ni davantage à  une volonté autodestructrice du  personnage.  C’est un processus  (au départ simple gêne) qui se révèle  fatal.

 

Il repose sur une  difficulté mineure, courante, que tout un chacun a déjà éprouvée mainte fois : enfiler un vêtement un peu juste qui vous colle à la peau et se trouver pris dedans de manière à ne plus pouvoir sortir la tête ; un moment d’anxiété ou de perturbation, perte des repères spatio-temporels, peut s’en suivre qui trouve en principe un rapide dénouement.

Et si cela tournait mal ?  L’auteur tire de tous les côtés sur le tourment éprouvé le transformant en cauchemar!

 

Lisez-le!vous éprouverez de l'effroi,ainsi qu'une singulière jubilation...

 

 

 

 

 

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11 août 2006 5 11 /08 /août /2006 12:48

  Cette nouvelle est incluse dans le recueil " Les Armes secrètes"


Vous pourrez aussi la lire séparémenr dans la collection de poche Folio- 2 euros

 

 

       Bruno est le biographe de Johnny saxophoniste de jazz, suicidaire et victime d’hallucinations. C’est le récit de l’impossible dialogue entre le critique  et l’artiste, et de tous les malentendus  qu’ils endurent.

 

«  Ce que je pense est au-dessous du plan où le pauvre Johnny essaie d’avancer avec ses phrases tronquées, ses soupirs, ses rages soudaines et ses pleurs… il est la bouche, lui, et moi l’oreille…tout critique, hélas est le triste aboutissement de quelque chose ».

 

L’artiste lui, se situe toujours dans les commencements.

 

Cependant Bruno va tenter d’appréhender la quête musicale de Johnny  avec des mots que ce dernier ne pourra que critiquer. Cet entretien infini et impossible prend place dans la vie quotidienne de Johnny, vie déréglée, précaire, chaotique, pleine de drogue d’alcool et de séjour psychiatriques avec de fréquent changement de compagne de vie, comportements de destruction   il détruit parfois son saxo quand il ne l’abandonne pas plus ou moins volontairement  sans pouvoir le retrouver; on doit toujours lui procurer un nouvel instrument à la dernière minute ; parfois il joue très bien mais s’éclipse avant la fin du concert ou de l’enregistrement, parfois il refuse de jouer etc… tous ces détails peu surprenants d’ailleurs sont consignés et  répétés par Bruno, qui ressent les évolutions de  la création difficile que Johnny  ressent comme ratée.   En écho le biographe évoque parfois en deux ou trois phrases de dérision sa propre vie bourgeoise et bien réglée.

 

Placer ses histoires dans la réalité quotidienne la plus banale et y faire pointer l’étrange ( parfois l’on  peut opter pour le surnaturel mais rien ne l’entérine à priori) qui envahit progressivement tout le paysage, est un des secrets de la réussite de l’auteur et de l’attachement immédiat que l’on éprouve à la lecture de textes qui ne sont pas d’une lecture facile si l’on veut  y porter toute l’attention qu’ils méritent.

 

Ici l’élément « fantastique » ce sont les impressions de Johnny ses voyages dans un imaginaire qu’il éprouve comme réel et  que la musique lui a apportée (décalages et distorsions dans  sa perception de la temporalité). Bruno tente de traduire ses propos confus en un langage de critique musicale « politiquement correct » :

 

« Johnny a abandonné le langage hot- en vigueur jusque dans les années 40-parce que ce langage violemment érotique était trop passif pour lui. Chez lui le désir s’oppose au plaisir et l’en frustre parce que le désir le pousse à aller de l’avant, à chercher  et l’empêche de considérer comme des audaces les trouvailles de jazz traditionnel …

 

De telles phrases provoquent le fou rire, l’irritation ou la colère du créateur  qui lui ,n’a pas de démarche rationnelle ni de conception esthétique, ne sachant qu’une chose : que sa musique lui a changé la vie pour le pire surtout, rarement pour le meilleur :«  sûr de quoi, dis-moi un peu, alors  que moi, pauvre diable pestiféré j’avais assez de conscience pour sentir que le monde n’était qu’une gelée, que tout tremblait autour de nous et qu’il suffisait de faire un peu attention, de s’écouter un peu de se taire un peu, pour découvrir les trous ».

 

Johnny a un avantage et un inconvénient sur la plupart des  artistes : il ne s’est jamais pris pour un personnage important, n’est pas entré dans le jeu de ses admirateurs. Il leur a résisté.

 

 Dans cette résistance pourtant, on  soupçonne que Johnny n’a pu éviter le piège : il est entré dans le jeu de Bruno, négativement, jouant les artistes maudits à sa manière,  faisant tout pour gâcher son art..

 

 Ainsi résiste t’il à son biographe, maladroitement mais non sans se faire un peu entendre jusqu’à ce que Bruno finisse par douter réellement de lui : Johnny n’est qu’un pauvre type, faillible et même pas bon musicien, un pauvre diable, une victime lâche et souffreteuse.

 

Puis Bruno se reprend :  la musique de Johnny est géniale, bien sûr, « un jazz qui se situe sur un plan apparemment désincarné où la musique se meut enfin en toute liberté comme la peinture délivrée du représentatif peut enfin n’être que peinture…cette musique que J’aimerais pouvoir qualifier de métaphysique, Johnny semble vouloir l’utiliser pour s’explorer lui-même pour mordre à la réalité qui lui échappe un peu plus tous les jours »

 

Sans parvenir à donner de lui en tant qu’homme une image avantageuse.

 

   Ces deux personnes n’en font qu’une, finit-on par penser : c’est l’écrivain lui-même qui  se débat avec ses intuitions qu’il doit se résoudre à rédiger non sans les déformer, non sans se trahir. C’est la vie qu’il mène imaginairement comme personnage, en face de sa réalité bourgeoise et bien réglée qui compte si peu pour lui qu’il l’évoque de temps à autre avec une  ironie désenchantée. L’existence de Johnny  dans laquelle il  tente d’intervenir est bien plus réelle. Et lorsque Johnny meurt, faute d’être juste, le livre de Bruno a quelque chose d’un achèvement.

 

Dans ces conditions, le créateur et celui qui tente d’interpréter sa propre pensée n’est jamais le même et jamais tout à fait un autre.

 

 

 

On vérifie cette intuition dans la nouvelle suivante qui donne son titre au recueil «  Les Armes secrètes » : un homme qui vient de rencontrer une jeune femme qui compte pour lui, commence à ressentir les intrusions d’une conscience qu’il ne connaît pas et qui prend partiellement  de la place au point qu’il ne peut plus le repousser. Cette conscience appartenait au précédent amant de la jeune femme lequel n’était pas précisément un ami…

 

 

 

 

 

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9 août 2006 3 09 /08 /août /2006 10:01

Julio  Cortazar : nouvelles (1945-1982) édition intégrale. Gallimard, 2001 (Du Monde entier).


Le premier recueil de nouvelles de Cortazar s'intitule « L'Autre rive ».

il est basé sur le thème du double. 

Un homme qui vit seul avec ses petites habitudes décide soudain d'aller chez une collègue de travail : il s'y voit, en train de vaquer aux occupations qu'il aurait dû effectuer s'il n'était pas sorti (titre : Lointain miroir).

un comptable qui vit avac sa mère et sa sœur se trompe d'appartement, et rentre chez son voisin de palier. Personne ne s'aperçoit  de la chose sauf lui et il doit s'accoutumer à être le voisin... ce n'est pas trop difficile (Mutation).

Le « Rescapé de la nuit », véritable réussite,  met en scène un individu qui habite avec sa grand-mère et auquel il serait difficile de donner un âge précis. Il pourrait avoir 12 ans ou 40 ans... en tous cas il  se réveille d'un cauchemar : il a rêvé qu'il était mort. Après soulagement vient la nouvelle angoisse : il  se regarde dans la porte vitrée de son armoire qui ne lui renvoie pas son image- mais celle de son cadavre gisant sur le lit.  Il va réveiller sa grand-mère, et sans oser lui parler de ce divorce problématique entre son corps et lui, constate qu'elle l'entend, et même qu'elle peut le toucher. Retourne à sa chambre, tente de réveiller le cadavre, le griffe, puis le caresse et le peigne, lui ferme les yeux, pour qu'il soit présentable pour sa grand-mère. Le matin arrive ; il avait encore rêvé : mais son corps maintenant vivant porte les traces de ce qu'il a fait subir au « cadavre de la nuit » : coiffage, griffure ect...


Le recueil n°2, Bestiaire, introduit l'élément fantastique bien connu de la créature étrange (plus ou moins animale mais avec ce petit supplément qui nous entraîne au-delà  de la  simple animalité) que connaissent les lecteurs de nouvelles plus célèbres tels que «  Axolotls » que Cortazar écrira plus tard.

On s'intéresse ici aux mancuspies, ces bêtes étranges, répugnantes pour le commun des mortels, qu'un groupe d'infortunés compagnons nourrit  dans le but de les vendre. Ces personnes sont hypocondriaques et se soignent avec des substances homéopathiques aux noms latins ( nux vomica, belladona,) qui les rassurent, pour des maux psychosomatiques aux descriptions bizarres, regroupée sous le titre «  céphalée », qui en dépit de cette désignation, sont plus complexes que des maux de tête...

Comme dans la nouvelle "axolotls," les éleveurs de mancuspies, ont bien des points communs avec leurs infortunés  compagnons. Comme eux, ils sont promis à une mort prochaine.


Les personnages aux prises avec  ces créatures étranges ( ou plus ordinaires : il est question d'un tigre dans une autre nouvelle)  sont des exclus . L'animal avec lequel ils ont à en découdre, n'est qu'un symptôme cruel de leur mal de vivre. Ainsi cette nouvelle non moins étrange du jeune homme à qui l'on a prêté un appartement .  Il se plaint à la propriètaire d'être victime  d'une maladie qui consiste à  « vomir des petits lapins »  dont ensuite il ne peut se résoudre à se débarrasser ; la maladie s'est accentuée depuis qu'il vit dans l'appartement de sorte qu'il  ne peut plus continuer à vivre. ( « Dernière lettre à  une amie en voyage »)

«  Quand je sens que je vais vomir un petit lapin, je me mets les doigts dans la bouche, écartés comme une pince, et j'attends de sortir de ma gorge comme une effervescence  de sels de fruits ».

De quoi l'énoncé « vomir un petit lapin » est-il la métaphore, on ne le sait pas franchement, on peut imaginer bien des choses ! A coup sûr, c'est une expérience érotique incomparable à quoi le jeune homme ne saurait renoncer. Par des phrases simples et concrètes, des répétitions, des explications faussement innocentes qui nous entraînent lentement vers la chute finale, l'auteur nous  saisit à ce point que l'on a  presque l'impression physique  de ce dont il  relate l'improbable expérience.


Le troisième recueil «  Les Armes secrètes » est  l'un des plus célèbres.

Le recueil débute par «  Les Lettres de maman » : un couple, Laura et Luis est hanté par le souvenir de Nico, le frère de Luis, premier fiancé  de Laura, que Luis lui a  pris, profitant de circonstances  telles que la timidité de Nico, et sa maladie. Les deux jeunes gens se sont mariés quelques semaines après sa mort dans la réprobation générale et ont fui comme des coupables pour aller vivre à Paris.

Deux ans plus tard, Luis constate que Laura et lui ne parlent jamais de Nico, silence criant  qui favorise la présence écrasante de l'absent .

lAlors la mère de Nico, restée à Buenos Aires, qui leur écrit régulièrement, se met à parler de son fils défunt comme s'il existait encore et annonce sa prochaine visite ...



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