Gallimard, 1925, 360 pages
Gide l’appelle « son faux premier roman » ; il a été précédé de plusieurs récits qu’on peut tenir pour des romans ou de longues nouvelles et qui n’ont que peu de personnages : par exemple la Symphonie pastorale ; d’autres livres tenant plus de l’essai : les Nourritures terrestres et des récits burlesques : les Caves du Vatican que Gide appelle « une sotie ». Je n’ai pas relu ces livres,je le ferai peut-être.
C’est bien son premier roman dans la mesure où il est assez long et comporte un grand nombre de personnages ; la genèse du roman, de nombreuses scènes devant servir à ce roman, et des réflexions sur le genre romanesque, sont relatée dans un texte parallèle « le journal d’Edouard » , réalité supposée qui jouxte la fiction du roman. Romancier en herbe, auteur du journal, personnage du roman, essayiste à ses heures, Edouard est la figure principale des Faux monnayeurs.
Le roman en tant que fiction, débute avec Bernard, jeune homme qui achève ses années de lycée ; il découvre que son père légitime n’est pas son père biologique. Et quitte la maison après avoir écrit une très méchante lettre à ce « faux « père qui n’a d’autres défaut que de porter un nom ridicule ( Profitendieu) ; Bernard va se réfugier chez son ami Olivier, autre futur bachelier : ils sont très proches, mais leurs orientations sexuelles sont différentes (on le devine facilement, ce n’est pas dit en toutes lettres, nous sommes au début du 20eme siècle). C’est un début extrêmement traditionnel : le bâtard est un personnage de roman classique qui part à l’aventure, libéré de ses attaches familiales. Un narrateur omniscient s’adresse au lecteur avec un « nous » un peu ironique, et nous donne de temps à autre, quelques détails sur l’avancement de l’action ou sur ce que nous saurons(ou pas) concernant l’intrigue. Cela aussi est très classique… Le « journal d’Edouard » n’intervient qu’après quelques chapitres. Nous avons déjà entendu parler d’Edouard par Olivier qui espère bientôt le revoir.
les récits que narre Edouard dans son journal à propos des personnages qu’il rencontre et dont il rapporte et commente le comportement, et le roman proprement dit (celui de l’auteur ?) ne différent pas pour ce qui est de l’intrigue et des personnages.
L’intérêt est de montrer un roman en train de se faire et un roman achevé. De passer ironiquement d’une réalité supposée ( le journal d’Edouard) à une fiction (le roman) de sorte que nous ne savons pas toujours ce qui ressort de la fiction ou de la réalité supposée.
On aime les notes que prend Edouard pour s’interroger sur le genre « roman ». Ces interrogations sont parfois mises en scène. Lorsque Edouard parle de son futur roman avec certains des personnages, ils entreprennent une discussion sur « faut-il partir de la réalité ou d’une idée pour composer un roman ». Edouard ne veut surtout pas de réalisme, les autres se moquent de lui : si l’on ne part pas de la réalité, rien ne peut advenir !
En accord avec Edouard, l’auteur fuit le réalisme, en évitant les notations trop concrètes : il ne décrit pas les personnages, seulement leurs pensées et leurs propos ; pour les paysages et les lieux de vie, rien que le strict minimum.
Le titre « faux monnayeurs « se réfère à un véritable trafic de fausse monnaie perpétré par quelques uns des personnages, mais aussi et surtout à la fausseté des apparences : chacun joue un rôle et triche sur ses pensées et intentions véritables. Certains personnages sont plus faux que d’autres : le comte de Passavent est un romancier à la mode, superficiel, vain, mondain, détestable.
On a dit que les « Faux monnayeurs » préfiguraient le Nouveau roman, je n’y vois rien d’autre qu’un roman classique ; le fait que l’un des personnages tienne un journal de ses rapports avec les autres et s’interroge sur les techniques du roman est un ajout qui ne détruit nullement l’illusion romanesque ; je dirai même que parfois ça la renforce ! Quelquefois, au contraire, les dissertations d’Edouard sont un peu longuettes… le choix de refuser le réalisme conduit à multiplier des notations psychologiques à présent vieillies.
Le ton des différents récits est assez alerte, l’atmosphère change vite, l’humour le dispute au tragique. Les préoccupations culturelles de l’époque sont mises en scène ; nous y croisons Alfred Jarry, des artistes surréalistes, des réflexions sur la psychologie, bien datées de mon point de vue (mais de nos jours avec le succès du « développement personnel » pourquoi pas ) , et sur la musique moderne. Les jeunes gens du roman sont exaltés, tentés par le suicide, cela ne change pas avec les époques, mais certaines considérations sur le corps et l’âme, le désir de pureté… ne passent plus très bien !
Le principal défaut du roman c’est la présence d’un grand nombre de personnages secondaires qui ont l’air prometteurs à leur apparition, et dont l’auteur ne fait finalement pas grand-chose. Parmi les personnages principaux, Edouard et Bernard ne vieillissent pas trop mal ; Olivier par contre est plutôt agaçant… bref ! Les Faux Monnayeurs tiennent-ils encore la route près d’un siècle après ? Plus ou moins…
commenter cet article …