Dans le Transsibérien se dirigeant vers la Sibérie, Un appelé, Aliocha, à peine majeur, songe à déserter . la future vie de caserne lui fait horreur, d’autres soldats plus âgés l’ont déjà tabassé… Il rencontre une française deux fois plus âgée que lui, Hélène, qui fuit une existence contraignante. Elle est montée à Irkoutsk, et n veut s’arrêter qu’au terminus à Valdivostock. Il la force un petit peu à le cacher dans son compartiment de première classe. Traqués par l’adjudant chef Letchov, et un sale type qui veut les dénoncer, Hélène et Aliocha, avec l’aide d’une employée du train, tentent d’échapper à leurs poursuivants… Nous sommes dans la Russie actuelle, et l’on sent que l’URSS survit…
C’est une longue nouvelle, dan laquelle l’auteure parvient, comme elle sait toujours y faire, à insuffler un sentiment d’urgence, notre sympathie pour des personnages hors du commun, du suspense bien dosé, et témoigner de la beauté de paysages naturels, le lac Baïkal y jouant un grand rôle, même si seulement aperçu de loin.
Un jeune marocain de vingt ans, chassé par sa famille : il a couché avec sa cousine on les a surpris. La fille est envoyée quelque part au loin. Le garçon, Lakhdar, mène une vie errante, vagabondage, petits boulots, et finit par trouver une place fixe dans une communauté religieuse dirigée par le cheikh Nourredine : attiré par la chose écrite, il apprécie de vendre des livres de morale et préceptes religieux, et des Corans bon marché. Avec son ami de toujours, il va draguer et se fait une amie de Barcelone, Elena avec qui il réussit à nouer une relation sérieuse.
Mais la communauté du Cheikh, lors des soulèvements du printemps arabe, choisit le camp de la répression, et la veut plutôt sanglante… Lahkdar, qui n’a pour ami, que le Cheikh et Bassam, choisit de fermer les yeux ; pourtant, la librairie explose, et il doit chercher ailleurs de quoi subsister…
C’est là un roman que je situerai dans la tradition picaresque, le héros part de rien, sa liaison avec sa cousine tourne à la tragédie, à cause des mœurs rétrogrades de sa famille, il va d’aventures en aventures, vivant d’expédients, apprend peu à peu à ouvrir les yeux sur des vérités gênantes, et à choisir son camp… pour autant tout n’est pas recevable dans ce récit ; la fin me laisse dubitative. Les nombreuses références littéraires ne sont pas désagréables, ponctuant le récit de la triste vie quotidienne du héros, un peu répétitive. L’ensemble m’a plu. Ce roman est davantage structuré que « Boussole », qui avait aussi ses charmes. Le meilleur, pour moi, reste « Parle leur de batailles de rois et d’éléphants " mais je suis loin d'avoir tout lu de cet auteur !
2017 , Gallmeister, 301 pages, 1ere publication 1996. USA
Journal d’une jeune fille de 17 ans, Pénélope, (surnommée tantôt Nell, tantôt Pumpkin…) qui vit dans la propriété de ses parents avec sa sœur Eva (18 ans) sur une période d’un an. Les deux filles sont dans une situation critique : à 50 km de San Francisco, et 15 de Redwood, la ville la plus proche, elles vivent seules, orphelines depuis environ six mois.
Les parents sont morts l’un après l’autre et, en même temps, (comme si c’enétait la métaphore), la qualité de vie aux USA s’est détériorée à toute allure : coupures d’électricité, puis cessation complète de distribution, y compris d’eau, et d’essence, magasins qui se vident et ferment, gens qui abandonnent leurs maisons et s’en vont à l’aventure, parfois chassés par des bandes de pillards. Une guerre (ou plusieurs) ont mis le pays KO, on ne sait trop s’il y a encore un gouvernement et ce qu’il fait… la vie se dégrade à tel point, que les gens meurent de maladie faute de médecins et de médicaments, introuvables…. Toute cette situation de science fiction reste dans le flou : guerre, épidémies, assorties de catastrophes nucléaires et naturelles localisées mais répétitives. La romancière se saisit de la dégradation de la société comme argument pour son récit, mais ne se préoccupe pas de nous expliquer le pourquoi de cette sorte de « fin du monde » : on pense au roman « la Route » de Mc Carthy ; ma lecture est lointaine, il me semble que « La Route » avait davantage de puissance, mais il faudrait que je le relise…
Les deux filles sont restées chez elles, et se sont débrouillées ; car avant le désastre, la famille pratiquait déjà une quasi- autarcie : loin de tout, à la lisière d’une forêt ; leurs parents avaient développé une façon spéciale de vivre : la mère avait délaissé sa carrière à la naissance du premier enfant, le père étant seul à avoir un lien social d’ailleurs modeste. Ils n’ont pas envoyé leurs filles à l’école et les ont éduquées à la maison, les jeunes de leur âge, elles les voyaient peu, et n’en fréquentaient pas sérieusement. C’est de l’expérience de leurs parents disparus qu’elles vont tirer leurs ressources. Il y a dans ce récit un côté « parents exemplaires, filles qui marchent sur leurs traces ».
Apparemment cette éducation leur permet de se débrouiller plutôt mieux et différemment des autres …pour ce qu’elles en savent, et autrui quant il se manifeste représente une menace ou une option vaine ( le personnage d’Eli par exemple) …
La narratrice est très attachante et on s’identifie à elle ; l’intrigue progresse bien, et
La façon dont les filles tirent parti des plus petites choses, et des situations critiques, avec courage et adresse, rendent la lecture agréable. La puissante relation sororale ajoute à l’intensité du texte. cette relation influence la fin de cette histoire; on aura l'impression que c'est la soeur qui gagne; la soeur dont les tendances schizophrènes sont renforcées par la situation
La traduction est globalement bonne, et l’original, on le sent bien, écrit avec un bon sens du suspens, des descriptions soignées, parfois inventives, bref on ne peut pas s’empêcher d’aimer ce texte, même si dans la deuxième partie, la romancière ajoute une péripétie un peu trop romanesque, inutile, et peu convaincante.
La fin nous fait réfléchir : le retour à l’état sauvage étant impossible, le retour à la civilisation également, on se demande comment la situation pourrait évoluer. Je n'ai pas digéré que
Nell renonce à l’encyclopédie qui la reliait au monde, c’est moche.
Trois récits en alternance : 1 ) Ivan, écrivain cubain exilé et devenu vétérinaire, raconte sa vie, et notamment sa rencontre, pas si fortuite, de l’homme qui aimait les chiens... Tous les protagonistes aiment les chiens dans ce récit, c'est ce qui les rapproche...et tous les personnages élèvent des " Barzoï " y compris Ramon Lopez Mercader: ce chien, un lévrier russe à poils longs, n'est pas n’importe quel chien. C'est une race qu’élevait traditionnellement la noblesse russe. Nos protagonistes, tous prolétaires, ou/ et révolutionnaires, vénèrent ces chiens... !
Yvan apprend de ce curieux homme malade accompagné de ses chiens, une incroyable histoire qu'il finira par écrire et dont nous avons le contenu dans les deux autres récits. augmenté de ses recherches sur le personnage de Trotski; et de son vécu personnel très pénible à Cuba, dont le socialisme vieillit mal très mal.
2) l’exil et le fuite de Trotski (Lev Davidovvitch) depuis son séjour forcé en Sibérie à Ama-Alta jusqu’à son assassinat près de Mexico le 20 août 1940 ; entre les deux les séjours en Turquie, puis en France (rapide et anxiogène) où résidait son fils, en Norvège, et au Mexique près de Frida Kalho et son compagnon Rivera entre autres.
Son travail acharné, ses écrits, son étonnement, ses remords de certaines décisions malencontreuses pour ne pas dire tragique. Les purges staliniennes sans fin, et la mort de tous ses enfants ; son effort pour regrouper ce qui lui reste de famille.
3) la vie et les œuvres de Ramon Mercader, assassin de Trotski : catalan, membre du PCE ainsi que sa mère et son frère, il devient résolument stalinien après une enfance et jeunesse chaotique. Le lent travail d’entraînement (physique et psychologique) auquel il se soumet, pour devenir agent infiltré et approcher sa victime, sous les ordres d’un certain Kotov ( qui change de nom tout le temps aussi) et de sa mère. Mercader a passé 20 ans en prison avant de rejoindre Moscou où il fut plutôt bien traité ( mieux que son mentor). Lorsque Ivan le rencontre à Cuba, il semble avoir compris qu’on l’a manipulé et n’est plus si fier de son geste…
Un roman très bien documenté, où l’on plonge en pleine guerre civile d’Espagne, et où l’on comprend que toutes ces factions de gauche (socialiste, communistes, anarchistes, républicains, trotskistes) se faisaient la guerre entre eux , d’où comment s’étonner que Franco ait fini par gagner ?! On ressent que Mercader en se soumettant à sa mère et à son amant, n’a jamais réussi, ni cherché à être indépendant, se croyant un héros.
Le personnage de Trotski est plutôt bien vu, pas idéalisé, mais pas non plus antipathique, l’auteur a su être assez subtil. Staline apparaît comme un stratège rusé et efficace, puis comme un monstre, et aussi comme un rustre, sans culture ni éducation. Trotski aurait échoué parce qu'il était trop intellectuel. C'est déjà l'idée qu'on s'en faisait.
Il ya tout de même beaucoup de répétitions (interminables les rencontres à Moscou entre Mercader et son mentor, qui n’avancent pas beaucoup dans le réflexion.
Un ensemble intéressant, plein d'informations sur Trotski, sur la vie à Cuba dans les très difficiles années 80, sur le lent et implacable travail pour devenir un agent infiltré, et un assassin...
Henrietta vient de perdre son mari, et elle est encore toute déboussolée. Oona , sa fille, vient de se séparer de son mari, et est venue vivre chez sa mère. Lydia fille d’Oona, 15 ans, quitte un collège BCBG, dans le Vermont. Son petit ami lui a volé une photo d’elle nue et la fait circuler sur le net avec diverses variantes.
Toutes trois vont affronter leurs problèmes respectifs et améliorer leur ordinaire en s’entre aidant.
Il ya quelques invraisemblances dans cette histoire. Henrietta, et son mari tenaient à la fois une ferme et un restaurant haut de gamme (qui a périclité quelques temps avant le décès du mari). On se demande comment Henrietta pouvait élever les bêtes (dont la viande servait au restaurant), s’occuper du potager (idem pour les légumes) et du verger, toute seule ??? ça me paraît difficile d’autant que cette femme nous est présentée comme passionnée par les objets et les livres (elle était professeur dans on jeune temps) et n’a rien d’une fermière. Pour dîner, elle commande des plats indiens !
Autrefois, Henrietta , en plus de s’occuper de la ferme, a écrit un roman érotique, qu’elle envisage de republier pour éponger les nombreuses dettes contractées avec son époux. On ne sait pas trop pourquoi elle a eu besoin d’écrire ce roman, ni pourquoi son mari n’avait pas d’opinion là-dessus ???
La fille Oona , chirurgienne orthopédique, n’a pas une minute à elle, au début du roman ; puis elle semble avoir tout son temps subitement, pour s’occuper de sa mère et de sa fille.
Le papa de Lydia est franchement pénible, et les amours éphémères d’Oona avec un psy d’opérette ne tiennent pas debout ! Seule l’histoire et la personnalité de Lydia la lycéenne, entubée par son copain pervers, et malmenée par un groupe de filles dans une pension pas très honnête, a quelques cohérences. Dans l’ensemble, je me suis ennuyée, et l’auteur n’a pas su me faire avaler ses couleuvres.
Abandons : La Daronne Hannelore Cayre ( pouvait faire un bon sketch ou une courte nouvelle mais pour un roman même court, la lassitude vient vite).
Au début de la 2 eme guerre mondiale, les Shepard père et fils se rendent dans une clinique d’optométrie au sud de Manhattan, pour tenter d’améliorer la mauvaise vue de Charles, le père. Ils n’y arriveront pas, la voiture tombe en panne dans le Queens. Bien qu’Evan, le fils soit mécanicien, il faut sonner chez les gens pour téléphoner à un garage. Ils tombent sur la famille Drake !
Gloria est une femme de 50 ans, bavarde et esseulée, et ne veut pas laisser repartir les deux hommes. Sa fille Rachel est jolie, quoique effacée et intimidée. Phil le jeune frère de 16 ans, s’ennuie mortellement pendant les vacances, cherche un homme plus âgé à admirer... Tous trois sont subjugués par Evan, bien de sa personne, et Gloria mise sur le père. Les deux hommes se laissent plus ou moins faire. A Cold Spring, leur demeure, ils ne sont pas à la noce avec la maman alcoolo-neurasthénique. Evan a déjà contracté un mariage, est divorcé avec une petite fille qu’il voit toutes les semaines.
La situation s’envenime, lorsqu’Evan accepte d’épouser Rachel, et qu’ils louent une maison à Cold Spring avec la fatigante Gloria…
Ces deux familles sont très bien mises en scène avec leurs défauts, leur banalité, leurs manques divers, et assez souvent une certaine bonne volonté plus ou moins mise à mal. Le jeune Phil est presque le personnage que j’ai préféré, mais tout le monde est très bien, et cette humanité rend triste. Ces hommes qui ne pensent qu’à partir au front pour … devenir ou redevenir « des hommes » ! Ces femmes qui tournicotent dans leur logis, boivent, bavardent, perdent la tête… ! L’auteur est un admirateur de Raymond Carver et cela se sent.
Summer est la sœur du narrateur, disparue, au cours d’un pique-nique, près du lac Léman, il y a vingt-quatre ans de cela.
Le narrateur était le petit frère de 14 ans, boutonneux, sujet aux tics, qui accompagnait les quatre filles de 19 ans , Summer et ses amies. Mal à l’aise, fasciné par les cheveux, blond, bruns, dénoués comme des lianes, les bikinis et les petits shorts, les longues jambes dorées, les rires complices et les chuchotements dont il est exclu, bien qu’elles soient gentilles avec lui… elles ont joué à cache-cache, et voilà Summer disparue !
Ces vingt-quatre ans, nous allons les vivre avec l’adolescent devenu un homme seul, qui n’a cessé de penser à sa sœur, à se demander où elle pouvait être, ce qui lui était arrivé. A ‘l’aide, de réminiscences (revivre des scènes à al fois ordinaires et énigmatiques,avec les parents, la sœur, les amies, le copain de Summer, les amis des parents, revivre des moments particuliers et les interroger, ces moment, à l’aide d’un questionnement qui fait la part belle aux métaphores filées de créatures marines, d’eaux scintillantes ou sombres, aux profondeurs pleines de secrets, de monstres et de poissons… Enfant, Summer possédait un aquarium qu’elle peuplait d’espèces particulières de poissons ; une passion qu’elle partageait avec son père.
Ce regard porté par le narrateur, observateur troublé, espion aussi, ressemble à celui des garçons dans Virgin Suicide ; difficile de ne pas évoquer ce film tant l’ambiance y ressemble.
Le garçon nous conte aussi ses expériences, un copain bizarre , une amie de Summer qui devient sa maîtresse mais ne lui révèle rien de ce qu’il veut savoir, et il la quitte, les parents toujours aussi agaçants, avec leurs non-dits, les psys et autres sophrologues ( vraiment les pires qu’on puisse trouver apparemment…)
Il est mal parti, le mec ! Et pourtant, il va réussir, trouver ce que dans le fond il n’ignorait pas.
Il nous fait participer à cette quête, avec une écriture travaillée, il est vrai, mais pas très originale. Une rêverie aquatique, parfois un peu forcée, et d’autres métaphores plutôt sinistres (description du psy ) bref un ensemble soigné mais quelquefois à la limite du ridicule.
Et voilà ce que ça donne :
Les profondeurs du lac Léman, des masses sombres à la surface, monstres suffocants, imaginer l’intérieur de leur bouche chair rose
Quelquefois Summer est là, immobile sous la surface ; ses cheveux bougent dans le courant… Mais ce n’est pas elle, ce sont les algues qui ont dessiné un corps
La nuit, Summer me parle sous l’eau… Sa bouche est ouverte, palpitante, comme celle des poissons noirs. Comme un chuchotement de l’eau je suis là.
Cela a commencé il y a quatre mois…. Mon bureau de la tour USB des Eaux-vives à Genève… le jet d’eau semblait à portée de main… l’eau qui retombe en écume soyeuse , comme de la mousse , du champagne ou une gigantesque giclée de sperme.
La moquette beige, épaisse, dégageait l’odeur suave de ces produits d’entretien, dont le leu translucide évoque un ciel de printemps ou une mort hygiénique.
Le ciel translucide comme le cœur d’un dieu.
Il est tellement difficile de savoir ce qui a eu lieu, ce qui n’était qu’un rêve. Qui étions-nous ? Quelles forces souterraines habitaient nos cœurs ?
La construction du roman est bonne, les divers moments de vie qui se superposent dans la conscience du narrateur sont présentés habilement. Les plages de rêveries sont coupées par des actions et des dialogues courts et secs, si bien qu’on se laisse entraîner.
Gallimard, 2017, 485 pages titre original The Muse
Londres 1967 ; Odelle, venue de Trinidad travaille dans un magasin de chaussures ; elle en souffre car elle possède un diplôme d’enseignement supérieur et s’essaie à l’écriture. Elle souffre aussi du racisme, son origine et sa couleur de peau l’on reléguée à cet emploi subalterne qu’elle exerce depuis plusieurs années…
Sa candidature au Skelton ( une galerie d’art) est acceptée par la directrice Marjorie Quick , une femme étrange qui semble avoir des secrets. Odelle devient dactylo ; un jour un jeune homme Lawrie Scott se présente, muni d’un tableau que sa mère, récemment décédée lui a légué. La toile (une huile) représente » d’un côté, une fille tenant la tête sans corps d’une autre fille entre ses mains, et de l’autre, un lion, assis, hésitant à bondir sur cette proie. « Le décor est pastoral jaune et vert, le ciel indigo, en arrière-plan on aperçoit un genre de petit château blanc.
Ensuite, nous sommes propulsés en 1936, en Andalousie : la famille Schloss fuyant l’Allemagne nazie s’est réfugiée dans une demeure qu’elle loue à un certain don Alfonso ; Harold le père vit du commerce de l’art, de plus en plus mal, la mère Sarah se contente d’être belle et dépressive, la fille Olivia peint en secret. Elle sait qu’elle a du talent, mais ne peut pas imaginer qu’en tant que femme, ses tableaux puissent intéresser.
Deux enfants naturels d’Alfonso, Isaac et Tereza leur servent de domestiques. En fait, ils sont aussi des amis de la famille. Le jeune Isaac devient communiste, d’autant plus que l’Espagne, dans une situation instable, va devenir franquiste…
Dès lors nous suivons en alternance les deux histoires celle de 1967, et celle de 1936 ; le tableau mystérieux, et ceux qui en sont proches sont l’objet d’une quête et d’une enquête de la part d’Odelle.
C’est le récit de 1936 qui est le plus percutant ; et me plaît le plus. Les événements de 1967, semblent avoir été conçus pour mettre en valeur le devenir du tableau et des survivants de cette terrible époque. Il est certain qu’Odelle et Olivia sont jumelles par delà les époques et les lieux : toutes deux sont artistes et ont des difficultés à se mettre en valeur.
Pourtant les deux histoires n’ont pas le même intérêt à mes yeux. Surtout, je ne suis pas satisfaite du sort réservé à Marjorie Quick, et le personnage du jeune Lawrie semble bien fade.
Le roman reste intéressant dans l’ensemble, la légende de Rufina et Justa bien mise en perspective, et les protagonistes du drame andalou font un beau roman. Bien sûr je me suis demandé à quoi pouvait ressembler le tableau et ceux dont il est question dans le roman et qui ont le même sujet. En fait le tableau n’existe pas de la même manière que Miniaturiste, toutefois les tableaux dont l’auteure s’est inspirée sont très intéressants.
Le narrateur, qui vient de perdre sa femme, décide de retourner au pays de son enfance Liévin, qu’il a quitté en 1974, juste après la terrible catastrophe minière, qui a coûté la vie à 42 mineurs ; son frère Joseph fut la quarante-troisième victime, et, depuis, Michel. son jeune frère, vit dans le deuil. Suite eu décès de Joseph, son père a mis fin à ses jours, sa mère s’est éloignée. Michel a vécu seul toutes ces années ( bien qu’avec son épouse) dans la culte de Joseph dont il garde les effets comme autant de reliques dans une cave.
Mais à présent, il est temps d’agir. Il va chercher à retrouver le contremaître qui assurait la sécurité de la mine, en ce temps là, et s’est montré particulièrement négligent…
"J’allais venger mon frère, mort en ouvrier. Venger mon père, mort en paysan. Venger ma mère, morte en esseulée. J’allais tous nous venger de la mine. Nous laver des Houillères, des crapules qui n’avaient jamais payé leurs crimes.
Michel a une raison particulière de se venger, qui donne à son action un sens double. Ce vengeur se définit aussi comme écrasé par une forte culpabilité. En dépit de son mariage, il a vécu dans le deuil de son frère, et n’a rien fait d’autre que célébrer les rituels de son passé avec lui.
Un récit émouvant, terrible à bien des égards ; certaines choses étonnent : que Joseph ait choisi d’être mineur dans les années 70, (un choix, oui, car il avait un autre job) m’a saisie ; décider d’être mineur dans les années 70 ?? Il n’y avait aucune tradition familiale dans ce sens, son père était fermier.
Joseph a invoqué la fierté la solidarité l’amitié qui lie les ouvriers. Il l’a si bien fait sentir à son petit frère, que celui-ci était prêt à le suivre ! Il n’empêche, ce choix laisse à penser. Les mineurs sont considérés comme des héros, la tradition de ce métier a une aura bien particulière, qui perdure dans les années 70 ; à Liévin, on recrute encore, mais beaucoup de mines ferment.
Sans vouloir dévoiler la fin, je dirais que la lettre d’adieu du père (qui va revêtir une énorme importance dans ce récit) m’a beaucoup choquée.
Gallimard, 2017, 212 pages ( 1ere publication en 2016)
Tout comme François Weyergans ( La vie d’un bébé, publié dans les années 80) Mc Ewan fait du fœtus, le narrateur du roman. Je n'ai pas accès à ce roman, déjà ancien, sinon j'aurais comparé la façon dont les deux auteurs mettaient les fœtus en scène.
Ici, il s’agit d’une parodie d’Hamlet, on le sait dès l’exergue, et le couple engendreur du futur bébé ce sont la mère et le beau-père de l’infortuné foutu fœtus. D’ailleurs, ils portent les mêmes noms ( Trudy, gentil pseudo pour Gertrude, et Claude) que dans la tragédie de Shakespeare.
Ce couple est installé dans une maison londonienne et géorgienne, de prix, mais délabrée et pas du tout entretenue, qui appartient au père du narrateur. Trudy est une belle femme avec de longues tresses blondes savamment enroulées : complètement amoureux déjà, notre fœtus l’imagine ; d’après ce qu’il entend dire, elle ressemble à … je vous laisse deviner.
Trudy et Claude complotent pour assassiner le père ; pas de quoi nous étonner on a déjà vu cela.
Le fœtus, lui, est carrément savant ( il écoute la radio et la télé toute la journée avec sa mère et ce n’est pas TF1 ni Chérie FM…) bref c' est déjà un citoyen avisé sur l’état du monde et pourvu d’une excellente culture générale , notamment en œnologie. Trudy et Claude boivent beaucoup et d’excellents cépages.
Si bien qu’on plaint, le petit drôle, qui, à peine né, devra téter du lait ! Il sera déçu et dégrisé… se dit-on, sauf s’il reste avec sa mère et le même accès aux bons vins (mais il y a peu de chance…).
Ian Mc Ewan a réussi la gageure de mettre le fœtus en situation, grâce à de nombreux détails réalistes sur son ressenti physique, dont certains sont amusants ; par ailleurs, il ne voit rien, mais entend tout, imagine ce qu’il ne voit pas, interprète le moindre petit son, grincement de porte, goutte d’eau qui tombe, vêtement qui glisse, le moindre silence des protagonistes, bref il a tout pour être détective.
La mélancolie hamlétienne ne lui fait même pas défaut « la courageuse communauté que je vais bientôt rejoindre, cette noble congrégation humaine, ses coutumes, ses dieux et ses anges, ses idées enflammées et sa géniale effervescence ne me font plus vibrer. Un poids alourdit le voile qui enveloppe mon corps minuscule. A peine s’il ya en moi de quoi fabriquer un petit animal, et encore moins un homme. Je suis prédisposé à une stérilité mort-née, puis à la poussière »
L’écriture est élégante, soignée, ironique, et la réussite de cette parodie serait totale si le lecteur pouvait être quelque peu surpris ! Mais ce récit brillant reste très attendu dans son déploiement, et sa chute, le héros l’a trop bien imaginée, et elle se déroule comme prévu ! Dommage…
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Comptes rendus de mes lectures avec des aspects critiques + quelques films de fiction Récits de journées et d'expériences particulières Récits de fiction : nouvelles ; roman à épisodes ; parodies. mail de l'auteur : dominique-jeanne@neuf.fr