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25 novembre 2007 7 25 /11 /novembre /2007 15:23
  l'austérité telle que nous l'entendons en français n'a pas, d'ordinaire, de points communs avec l'Austérité. Tout au plus avions-nous le dépouillement dans "Anna Blume".

 Voilà pourtant une exception. 
 

Le titre anglais indique qu’il s’agit de « voyages », faisant par là référence au fait que Mr Blank voyage en imagination : dans son passé (souvenirs d’enfance et d’adolescence) dans le manuscrit esquissé d’un certain John Trause dont il imagine la suite.


Ces voyages restent limités. Mr Blank dont le nom évoque la page blanche, l’espace vide, la désincarnation, est un vieux monsieur plus ou moins amnésique, quelque peu handicapé physique, qui vit dans une pièce fermée dont il ne sait s’il peut sortir. On lui conseille en tout cas de rester cloîtré. Il reçoit des visites de la part de gens qu’il se rappelle avoir envoyé autrefois en mission ( des missions difficiles et périlleuses). Ils lui en veulent, tout en étant secourables. C’est Anna Blume qui paraît être le personnage central.


Peut-être le roman  dont  son auteur est le plus satisfait ?


Mr Blank se pense prisonnier de créatures qui lui veulent du mal, mais il sait aussi que c’est plus complexe que cela… 
 

 Mr Blank apparaît cousin des créatures de  Beckett : le thème du vieux monsieur, en détresse, enfermé, entravé dans ses mouvements… surtout l’insistance sur les problèmes matériels, les besoins corporels, les obstacles physiques… mais c’est du Beckett « light ». Mr Blank , si triste que soit sa position, se paye des  petits instant de bonheur et de fantaisie qu’envierait un Molloy.  


De plus il est capable de concevoir une intrigue et de la détailler, en imaginant la suite du récit de John Trause, dont il a lu le début, un manuscrit posé sur son bureau.


Ce récit est intéressant : Les dirigeants du pays imaginé par Trause, La Confédération, veulent à tout prix déclencher une guerre contre leurs voisins les Primitifs (que Mr. Blank va rebaptiser les Djiens) pour exalter le sentiment patriotique; ils veulent également que ce soit les Djiens qui passent pour les avoir attaqués, afin de légitimer ladite guerre. Ils envoient une armée en territoire Djien, et la déciment eux-mêmes, voyant que les Djiens ne réagissent pas. Et se servent d’un haut fonctionnaire Graf, pour lui faire constater, alors qu’il est en territoire Djien, la décimation de cette armée. Ce récit de Graf va servir à laisser croire que les Djiens ont attaqué l’armée en question.


Voilà donc le commentaire d’Auster sur la politique étrangère de son pays. Il n’a rien de rassurant !  Pour pouvoir entrer en guerre contre un pays, faire croire à la population que ce dernier nous a attaqué... 

 

      On croit comprendre que Mr Blank, est sujet d’étude d’un narrateur qui l’espionne avec des micros et des caméras (d’où le ton de précision clinique employé pour décrire ses faits et gestes), et qu’il  a rendez-vous avec les personnages de certains des romans précédents d’Auster, appelés ici « chargés de mission »ou « pupilles » qu’il a envoyés dans le monde  et qu’il ne différencie pas des gens qu’il a connus dans la réalité.

Parce que ses «  créatures », il les avait modelées à partir de personnes réelles.


Il confond ainsi Sophie, son premier flirt dans la réalité, avec Sophie Fanshawe de «  La Chambre dérobée », qui vient lui porter un plateau de repas et le mettre au lit.


 Les personnages sont très remontés contre lui (les femmes excepté) et veulent se venger des destins lamentables qu’il leur a concoctés. Benjamin Sachs, de Léviathan, veut sa mort.

 

Le personnage qui se retourne contre son auteur est un sujet de roman souvent traité. 

Si l’on lit « Cœur de pierre » de Pierre Péju, sorti dernièrement, on constate aussi la présence de personnages de roman qui veulent leur indépendance...


 C’est l’homme qui se fâche contre Dieu, sauf qu’ici les personnages ont des pouvoirs (au moins celui d’inquiéter Mr Blank) et que ce dernier n’est pas tout puissant,  il s’en faut… !


Nous ne savons pas comment le narrateur, certes au courant des faits et gestes et paroles de Blank, à cause des micros et caméras postés dans sa chambre, peut aussi lire dans ses pensées… car, si ce narrateur était vraiment omniscient il n’aurait pas besoin de micros.

S’il  doit en utiliser, c’est qu’il ne connaît pas les pensées de Blank… à la fin du livre, nous apprenons que Blank est devenu le personnage du narrateur, ce qui ne règle pas le problème que j’énonçais.


Le narrateur de l’histoire se présente comme l’un des personnages et parle en leurs noms : «  Mr Blank est l’un d’entre nous désormais, et si désespérément qu’il s’efforce de comprendre, il sera toujours perdu…sans lui nous ne sommes rien, et le paradoxe, c’est que nous, les chimères du cerveau d’un autre, nous survivrons au cerveau qui nous a fabriqués, car une fois lancés dans le monde, nous continuons à exister à jamais et on continue à raconter nos histoires, même après notre mort ».

Il se présente aussi comme le créateur du personnage Blank. Lequel lit le  récit d’un autre parlant de  sa propre personne…

 Auster, Blank, le narrateur, John Trause, tous les mêmes ( écrivains et personnages) mais pas tous dans la même position. 

 

L’ensemble laisse l’impression d’une condition humaine où chacun vit un certain enfermement, (deux des personnages, Blank et Graf, sont prisonniers) sans savoir qui les a enfermés, et ce que sera la suite. Ils se  créent une existence en fabriquant des récits.

 

Ils n’existent chacun que dans le récit ou le rêve d’un autre,( on pense à cette célèbre nouvelle de Borges) y compris s’il se racontent eux-mêmes, ils sont  "l’autre" de leur récit.

Beaucoup de questions métaphysiques hantent le texte : «  Qui est-il ? Que fait-il là ? Quand est-il arrivé là et jusqu’à quand y restera t‘il ? »

 

Un texte riche,  d’où n’est pas absente la réflexion politique.


 
 
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commentaires

J
Les écrivains préférés de paul auster : shakespeare, cervantes, montaignetrois personnages du XVI ème s
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Ah , je n'en savais rien. Je ne reconnais même pas  les influences de ces auteurs dans ce roman.
T
On tient toujours un rôle qui implique des postures ...
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Et  tant mieux si l'on est d'accord avec le rôle que l'on joue !  ce qui n'est pas toujours le cas.
P
J'ai oublié, Trause est formé des lettres d'Auster (ah le vil coquin !).
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P
Wouah ! Très belle analyse, et cette fin ludico-métaphysique ! La condition humaine en quelque sorte ?Bravo d'avoir réussi à montrer toutes les facettes du livres (et même certains ressorts cachés), ce n'était pas une tache facile !Kiki :-)
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Ce compte-rendu je le trouve tout de même un peu chaotique.
D
Sans même connaitre tous les romans de Paul Auster, on peut lire celui-ci pour découvrir cet auteur. C'est court et l'histoire est assez intrigante pour être intéressé jusqu'au bout même s'il n'y a pas vraiment de fin. J'aime beaucoup l'univers de Paul Auster.
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Un univers varié, parfois déconcertant , quelquefois loufoque, souvent noir.

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