Calmann-Lévy, 2001.
Christopher Banks fait le point sur sa vie et ses souvenirs et ses réflexions nous sont relatées à plusieurs moments-clef de son existence.
Le 24 juillet 1930, à Londres, il fait le bilan des sept années qui viennent de s'écouler. Il se souvient de l'été de 1923 « le plus merveilleux des étés. Après bien des années où j'avais été constamment environné de camarades, au pensionnat, puis à Cambridge, je prenais le plus grand agrément à ma seule compagnie ».
C'est en effet, seul que sa mémoire se mettra en route efficacement.
Il rencontre un ami James Osbourne qui l'invite à une soirée. Christopher y croise des personnalités, remarque Sarah Hemmings, une belle jeune femme singulière, « une jeune femme de petite taille, aux chevaux foncés qui lui tombaient sur les épaules et dont l'allure faisait un peu songer à un elfe. Bien qu'elle s'efforça d visiblement de charmer les deux hommes avec qui elle s'entretenait, je pus voir dans on sourire quelque chose qui aurait pu dans l'instant tourner au ricanement. Une légère voussure des épaules, comme celle d'un oiseau de proie, donnait à son attitude je ne sais quoi de calculateur. Surtout je remarquai dans es yeux une expression particulière- une sorte de sévérité, d'exigence sans bienveillance- Dont j'ai conscience aujourd'hui, rétrospectivement , que ce fut sûrement cela plus que tout autre chose qui me conduisit à la scruter des yeux avec tant de fascination ce soir là ». Ce portrait témoigne de la tenue de langue du récit, élégante, raffinée, cherchant à capter les éléments dissimulés.
Sourire froid et grâce hautaine, elle lui plait tout de suite. Cette jeune femme ne cesse de se fiancer avec des hommes d'envergure, dont elle attend beaucoup et qui sombrent dans la déchéance, ou ratent leurs objectifs, dès lors qu'elle s'intéresse à eux, comme si elle leur jetait un mauvais sort...
Le jeune homme se prépare à devenir détective privé : son choix est déterminé par le traumatisme qu'il a vécu enfant : à l'âge de dix ans, vers 1910, alors qu'il vivait à Shangaï avec ses parents, tous deux disparurent sans laisser de traces et Christopher fut rapatrié en Angleterre, sa patrie qu'il ne connaissait pas, et adopté par une vieille tante.
Les années passant il devient un brillant détective, revoit Sarah qui commence à s'intéresser à lui, cherche à la fuir autant qu'à l'attirer, ce mouvement contradictoire les faisant se rapprocher lentement l'un de l'autre. En même temps, il enquête sur la disparition de ses parents, en fouillant dans des archives, interrogeant des personnes, et aussi surtout, faisant des investigations dans sa mémoire.
Le 15 mai 1931, quelques mois plus tard, il nous entretient à nouveau de ses souvenirs et s'immerge dans son enfance à Shangaï : La petite famille vivait en huis-clos dans une petite société d'Anglais issus du colonialisme, la Concession coloniale. Malgré l'apparente cohérence de ce microcosme, il fit d'Akira, un enfant japonais, son ami véritable, plutôt que d'un anglais. Il cherche à déchiffrer les souvenirs qui lui ont laissé une impression bizarre. Le père travaillait pour le compte de Morgan and Brook, la mère (une belle femme dans la tradition victorienne) menait des campagnes actives contre le trafic d'opium qui mine la population. Or la société où travaillait le père importait de l'opium. C'est du moins ce qu'apprend son épouse. Les parents se querellent, le père décide de s'amender et va même jusqu'à s'accuser devant l'enfant. Voir son père s'accuse devant lui, impression pénible pour un enfant et parfaitement rendue.
D'autres faits sont évoqués. La peur terrible qu'enfant, Akira et lui avaient d'un domestique censé collectionner des mains coupées et les transformer en araignées... l'atmosphère de son enfance paraît inquiétante, les événements se précipitent : Christopher est prêt à revivre la disparition de ses parents, s'interroge sur son oncle Philip et son rôle dans l'affaire, puis bientôt, il retournera à Shangaï, faire la lumière. Sa mission est de retrouver ses parents.
Sarah l'y suit, mariée avec un homme à la retraite. La situation est ambiguë dans la mesure où l'on s'attendait à ce qu'elle épouse Christopher ! Mais il ne veut rien faire de sa vie avant d'avoir su à quoi s'en tenir pour ses parents, pouvoir enfin assumer sa condition d'orphelin.
Là-bas à Shangaï d'autres problèmes l'attendent : la société qu'il a connue a volé en éclat, la maison familiale est occupée par une famille chinoise ; nous sommes à présent en pleine guerre sino-japonaise, et c'est dans ce contexte tragique que Christopher se démène pour retrouver ses parents. Il vit à moitié dans le passé, ce qui pourrait lui faire commettre des erreurs...
Ishiguro mène ce récit avec ses qualités habituelles ; le personnage enquête sur son passé, pour retrouver son identité, dévoiler une vérité qui lui aura été dissimulée ; l'ambiance est à l'investigation non sans effets de nostalgie, de mystère, d'étrangeté. Les situations sont toujours ambiguës, le non-dit prédomine, l'ensemble prend la forme d'une enquête passionnante et douloureuse, où l'on est conduit à s'interroger sur les personnes et les actes.
La quête de Christopher croise aussi l'Histoire (la guerre sino-japonaise) qui est l'occasion de descriptions de tableaux effrayants et justes.
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